samedi 30 janvier 2010

Chaos et Imprédictibilité : une ode au présent.

Jean Staune connait bien Trinh Xuan Thuan (TXT)(astrophysicien) qui d'ailleurs lui a préfacé son bouquin ("L'existence ..."). J'avais découvert TXT avec Mathieu Ricard dans "L'infini dans la paume de la main" et j'avais beaucoup apprécié sa façon d'aborder pour nous (les béotiens ?) les 1001 mystères de l'infiniment grand. J'ai donc eu envie de plonger à nouveau dans la riche vulgarisation de TXT : il écrit très bien et ses images sont souvent percutantes.
J'ai parcouru "Le Chaos et l'Harmonie", qui sous tend une bonne partie de "L'existence .." de Jean Staune mais sans référence à la religion ni sans aborder frontalement et longuement l'évolution biologique de la vie et ses modèles (néodarwiniens essentiellement).

Bref, un passage du Chaos et l'Harmonie m'a percuté. Il s'agit de l'explicitation de la manifestation du chaos dans les mouvements planétaires ("chaos" au sens mathématique du terme, tel que étudié en premier par Henri Poincaré dans le problème à N corps en mécanique céleste : "sensibilité aux conditions initiales") et de ses conséquences.

Conséquence combinatoire d'abord : il résulte de cette sensibilité aux conditions initiales une imprédictibilité de l'évènement étudié (au delà d'un certain horizon de temps). Ah, on se dit alors : c'est pas grave ! En deçà de l'horizon calculé (par exemple 200 millions d'années (terrestres !) pour notre système solaire), le système est stable ! Rien à craindre à l'échelle de temps humaine ! Et pourquoi donc ? L'homme (nos très lointains descendants) sera toujours là, non ? Il existe (à ce jour !) une petite probabilité qu'une collision de planètes se produise dans notre système : cette probabilité est mise en évidence par des modélisations d'orbites sur une échelle de temps de 5 milliards d'années (temps qui reste à la Terre !). Bon, c'est bien. A quoi çà nous sert aujourd'hui cette information ? De quelle information parle t on exactement d'abord ?
L'imprédictibilité nous projette dans le futur, par définition incertain et non vécu. Du futur prédictible grâce des modèles numériques de la réalité (climat, sinistres, bourse, etc..) c'est déjà du passé en quelque sorte puisque, dans un intervalle (temporel) de confiance certain à 95% au mieux, on sait déjà, on a presque déjà vécu. Mais peut on vivre seulement à 95% au mieux par modèles interposés notre réalité, notre présent ? Oui, c'est ce que nous faisons quasiment tout le temps, tous les jours, à chaque instant lorsque nous ressassons notre "passé", notre prévision météo du lendemain, notre cours de bourse plancher déclencheur de nos achats du lendemain, notre traumatisme infantile que nous analyserons demain avec notre psy, notre nuit d'amour après le dîner de ce soir, nos courses à faire dans deux jours pour le voyage du week-end etc..etc...Nous vivons dans notre "passé". Qui, c'est vrai, n'a pas encore été vécu à 100% par notre conscience mais qui déjà fait grandement partie de notre vie à l'instant présent.
L'imprédictibilité nous déploie donc un espace particulier au sein de notre présent : un futur déjà passé mais pas encore vécu et pourtant déjà là ! Nous croyons repousser l'imprévu au loin par nos calculs très sophistiqués mais que faisons nous réellement par ce comportement ?
Nous calculons les possibles.  Pour demain, donc pour aujourd'hui, donc pour maintenant.

La deuxième conséquence sur le "chaos" illustrée par le Chaos et l'Harmonie se trouve dans le paragraphe "le futur indéfini du système solaire", quand TXT parle des travaux récents de Jacques Laskar sur la modélisation des orbites des planètes du système solaire. Je cite :
"La réponse donnée par l'ordinateur est sans équivoque : le système solaire tout entier, y compris les planètes intérieures, est chaotique. (...) Cette dépendance si extrême à l'égard des conditions initiales signifie que le présent est déconnecté à la fois du futur et du passé. Le futur est imprévisible, et le passé à jamais perdu. (...)les trajectoires planétaires ont un passé indéfini et un futur incertain, car les mesures des positions des planètes ne sont jamais parfaitement précises."
Nous voyons donc deux concepts à l'œuvre : la sensibilité aux conditions initiales des systèmes (macroscopiques) à N corps les rend "chaotiques", imprévisibles, indéterminés absolument et donc résolument imprédictibles. Egalement, l'indétermination intrinsèque liée à la mesure des conditions initiales amplifie d'autant l'intervalle de confiance des mesures et donc la plage d'expression du chaos ! Ces deux indéterminations, qui sont bien indépendantes, caractérisent parfaitement ces systèmes macroscopiques qui nous contiennent. Que nous reste il alors, si le passé comme le futur, sont à jamais perdus, indéfinis, incertains, imprévisibles, déconnectés entre eux ?
Le présent, non ?

vendredi 29 janvier 2010

Humeurs au carré !

Entendu sur France Inter tout à l'heure avec Mathieu Vidard, Emmanuel Garnier parler de son livre "Les dérangements du temps" sur une synthèse diachronique du climat depuis 500 ans.
Mise en perspective (prise de champ) des dérèglements climatiques actuels au sein d'une assez longue période historique. Eclairage sur le temps (time) et le jugement humain d'un évènement déformé par un défaut de mémoire. Non, la tempête de 1999 vécue en France n'est pas la tempête du siècle, par exemple.
Eclairage également sur la complexité du climat et la tentative de sa maitrise par l'homme.
J'apprends ainsi que les historiens-climatologues ont élaboré un projet transdisciplinaire, en y mêlant notamment les sciences sociales, pour y puiser justement les évènements ressentis dans la mémoire des sociétés et non plus seulement des données factuelles de météorologie. Car les faits en l'espèce sont simplement des mesures de variables mathématiques, il y manque l'information essentielle pour l'homme : çà nous fait quoi ? C'est froid ou chaud ? C'est violent ou doux ? Il y manque donc le couplage entre deux champs : le champ scalaire de la variable (pression, température, etc.) et le champ (tensoriel ?) psychique de l'observateur expérimentant ladite pression ou température. Ce couplage, cette liaison nécessaire (sujet/objet) est enfin perçue dans toute son essentielle dimension ou brutale vérité, aussi par les scientifiques.
D'ailleurs, Emmanuel Garnier illustrait ce propos en substance en argumentant que la modélisation (numérique) sur le climat  a besoin de cales "subjectives" pour se tarer. Tout modèle doit se confronter aux faits et à des mesures, des saisies de la "réalité". Mais là, on parle bien de mesures de ce que ressent l'homme.

Chouette !

En guise de préambule...?

J'ai découvert Jean Staune il y a environ un an, à Nöel 2008. Par l'entremise de son bouquin au titre presque ésotérique : "Notre existence a t elle un sens ?" qui je l'avoue aisément m'a réconcilié avec les sciences dites "dures" ou formelles. Réconcilier car je découvrais là un homme singulier qui se bat au quotidien pour lier ensemble des savoirs académiques très spécialisés, pour échapper, selon ses propres arguments, à la parcellisation du savoir, pour tenter donc, un mouvement centripète vers son essence et non se laisser bercer par l'éclatement centrifuge des connaissances.
J'ai dévoré ce livre. Beaucoup de choses m'ont touchées et comme le dit très bien Bernard d'Espagnat, ce livre est "une sorte de GPS ou de système Galileo : je veux dire un outil bien utile à qui veut, à partir de l’apparent fouillis que constitue le bagage scientifique actuel, se construire une vision ordonnée des choses" .

Mais Jean Staune a un dessein en écrivant cette histoire qui assemble 20 ans de sa vie, car il est croyant. Et bien que pour ma part je le trouve tout à fait honnête et rigoureux, son propos est néanmoins de nous éclairer "la science" par un "besoin" spirituel, comme une nécessité ontologique. Comme si, faire de la science devait aboutir nécessairement à remettre en perspective l'arrière plan de la science, sa métaphysique et les questions existentielles de l'homme.
Je me souviens encore de la surprise ressentie à la lecture de "Une brève Histoire du Temps : du Big Bang aux trous noirs" de Stephen Hawking lorsque cet homme (que j'admire) finit par s'interroger sur la finalité de toute cette "construction" et du "derrière" les choses en invoquant Dieu (presque) dans ses équations. Surprise de jeune homme naïf et peu porté sur la philosophie de constater que la physique et les mathématiques amènent aussi au débat existentiel.
Pourquoi d'ailleurs écrire sur Dieu alors que ce blog n'est pas censé lui laisser un espace a priori ? C'est plutôt pour écrire sur la complexité et ce qui nous relie (selon Edgar Morin), nous, les humains, nos sciences et nos croyances.

Jean Staune est là, ici, pour illustrer son rôle dans mon propre mouvement vers l'essence et vers le monde.
Prenons çà comme un préambule ?