lundi 28 juin 2010

Bardo : Au delà de la folie : la logique du contradictoire.

Dans Bardo Thödol : un renversement, nous avons éclairé comment Chögyam Trungpa a renversé la compréhension habituelle de cet ouvrage emblématique du bouddhisme tibétain pour l'occident, où ce maître a séjourné et travaillé.

Pour aller plus loin que l'exégèse de Fabrice Midal, nous avons lu les transcriptions de 2 séminaires réalisée aux USA par Chögyam Trungpa (CT) en 1971 et reliés dans son livre déjà cité : "Bardo : Au delà de la folie", paru en France en 1995 (traduction de "Transcending Madness" paru en 1992).
Cet ouvrage permet de lier les deux éclairages complémentaires (au sens de Bohr et Lupasco) sur le bardo : d'abord chaque monde traditionnel (au nombre de 6 : dieux, dieux jaloux, êtres humains, animaux, fantômes affamés et êtres infernaux) est associé à un état de bardo caractéristique, cet état étant perçu comme un point culminant de l'expérience de chaque monde; ensuite chaque monde renferme le cycle complet des 6 bardos (les modes d'être du bardo), qui lui sert de moyen de renforcer et de soutenir son pouvoir. [sur l'être].
Ainsi, le bardo, décrit comme l'expérience d'une zone mal définie, est à la fois relié à son contexte ("à l'espace" dit souvent CT) dans lequel il se déroule et est à la fois l'expérience intensifiée de chacun des mondes, qui lui fournit une "signature" en quelque sorte.
Vu selon le modèle physique newtonien, le "monde" serait l'espace dans lequel le bardo se déroule, le "monde" est le contexte de l'expérience vécue.
Vu selon le modèle physique relativiste et quantique (voir article 1 et article 2), le monde et le bardo sont en interrelation "étroite" (intriquée), l'un et l'autre "fournissant" le contexte non séparé de l'expérience.
Vu selon la logique lupascienne (voir les articles correspondant sur ce blog), la logique de l'inclusion, les 6 mondes sont antagonistes et contradictoires aux 6 mode d'être du bardo (eux mêmes antagonistes et contradictoires), les 6 états de bardo sont le "tiers inclus" des 6 mondes et des 6 modes d'être du bardo. Nous voyons bien ici que le bardo est deux "choses" "à la fois", comme la lumière peut-être vue "à la fois" comme une particule et une onde : en fait, la lumière est selon la logique lupascienne qui est celle de la métaphysique de la physique quantique, à la fois particule, onde,  et ni-particule et/ou ni-onde...

Si C. Trungpa ne se réclamait pourtant ni de Bohr ni de Lupasco, cette dernière interprétation a pourtant le mérite d'être synthétique et de dégager une triade {monde, mode d'être du bardo, état de bardo} qui s'exprime (s'actualise et se potentialise) selon 6 possibilités (6 "colorations") : les 6 permutations-polarités possibles de la triade. [ En mathématique non commutative, le triplet (a,b,c) "engendre" les 6 couples différents ab, ba, ac, ca, bc et cb.] Dans la tradition bouddhiste tibétaine, ces 6 possibilités sont liés à 6 moments de forte intensité émotionnelle : colère, avidité, ignorance, désir, envie et orgueil. Ces 6 moments d'intense émotion aboutissent aux 6 mondes traditionnels. Liés intimement à ces 6 mondes (comme nous venons de le voir), il y a l'expérience du bardo qui se colore selon 6 tonalités différentes mais vues selon deux "angles" complémentaires.
Au total, nous avons les 6 triades exprimées par CT comme suit :
{monde des dieux ; bardo de la méditation/claire lumière ; état d'éternité/vide}
{monde des dieux jaloux ; bardo de la naissance ; état de vitesse/immobilité }
{monde des humains ; bardo du corps illusoire ; état du réel/irréel }
{mondes des animaux ; bardo du rêve ; état endormi/éveillé }
{monde des fantômes affamés ; bardo de l'existence/devenir ; état du saisir/lâcher prise }
{monde infernal ; bardo de la mort ; état de douleur/plaisir et détruire/créer }

Cet ordre d'écriture des triades n'est pas donné par "hasard" même si il faut comprendre que les mondes comme les bardos forment un enchaînement ou un cycle (ainsi le monde des dieux ou le bardo de la méditation ne sont pas en  n°1 dans le cycle, il existe une symétrie a priori non brisée) et il est important de constater et de comprendre le dynamisme de chaque "terme" (monde ou bardo) qui contient non contradictoirement son antagoniste. L'essentiel est de saisir ces dynamismes entre les polarités réductrices qui "solidifient" le monde/l'expérience. Les triades écrites plus haut représentent ces "solidifications", les "expressions ultimes du piège que constituent ces mondes" selon CT, chaque expression offrant "une possibilité d'éveil ou de confusion totale, la santé mentale ou la folie". Mais, comprenons bien, ce ne sont pas deux extrêmes exclus l'un de l'autre mais bien, inclus l'un dans l'autre et vice versa. C'est bien pourquoi l'éveil du bouddhiste n'est pas la béatitude que l'occidental veut parfois y voir seulement.

Bien, mais qu'est-ce que le bardo, au juste ? "Bar signifie "entre" (...) "zone mal définie" et do c'est comme une tour ou une île dans cette zone, ce no man's land. C'est un peu comme une rivière qui n'appartient à aucune rive, mais il y a une petite île au milieu, entre les deux. .../...Bar [c'est ] la situation occupant le milieu, entre deux extrêmes. Quant à do, (...) c'est une île (...) éloignée qui sort de nulle part, mais qui est pourtant entourée d'un océan, d'un désert, ou de quelque chose d'autre. Le bardo, c'est donc ce qui ressort comme une île, dans les situations de la vie, ce qui est entre deux expériences. (...) C'est cette sorte d'incertitude entre deux situations."
Chögyam Trungpa donne ici les deux vues complémentaires et subtiles du bardo : à la fois rivière entre deux rives, rivière n'appartenant ni à l'une ni à l'autre et île au milieu de cette rivière, point culminant de ce no man's land. Dans les nombreux exemples, représentations, que le maître donne à ses étudiants du bardo, nous retrouvons toujours les deux vues liées et contradictoires et finalement les analogues du tiers inclus de S. Lupasco (ni ceci, ni cela et ni pas ceci, ni pas cela) : "L'expérience du bardo offre un moyen d'une très grande puissance pour résoudre le problème des extrêmes. Il ne s'agit pas de se déclarer pour ou contre, mais de tenter de faire ressortir les deux extrêmes simultanément."
Le paradoxe relevé dans ces descriptions, heurtant la logique dominante occidentale de l'exclusion, freinant vraisemblablement la diffusion et la compréhension de ces principes bouddhistes en occident, tient, de notre point de vue, entièrement et essentiellement dans le référentiel choisi pour donner sens à ces notions. Immerger ces concepts au sein de la logique de l'inclusion, le principe du contradictoire par exemple de S. Lupasco, permet enfin de leur fournir toute la puissance éclairante nécessaire à leur subtilité. Or, saisir l'expérience du bardo, c'est selon CT, saisir la méditation qui elle même éclaire entièrement ce fameux rapport de présence au monde que nous avons illustré dans "La déité : une relation au non-ego". Et se saisir de ce rapport de présence, c'est se saisir de l'enjeu du bouddhisme nous a rapporté Fabrice Midal.

Ainsi, il est plus clair avec cette vue que l'état de bardo est toujours décrit avec un couple de contradictoires (voir les triades plus haut) : vitesse/immobilité par exemple. Cet état est alors parfaitement isomorphe au tiers inclus lupascien.
Ainsi, il est plus clair que le mode d'être du bardo (naissance, par exemple) est antagoniste du monde qu'il colore (dieux jaloux, ici) : inclus dedans (comme une potentialisation) et exclus à l'extérieur (comme une actualisation). Le bardo sert à la fois à entrer dans le monde et à en sortir, il peut solidifier l'expérience d'un monde particulier et aussi aider à le laisser impermanent. Il y a là exactement le même jeu dialectique que dans le principe du contradictoire lupascien : lorsqu'un monde s'actualise, le bardo associé se potentialise; lorsqu'un monde se potentialise, le bardo associé s'actualise; il arrive aussi un état d'exact potentialisation et d'actualisation (ou ni actualisation et ni potentialisation) du monde et du bardo : c'est l'état du bardo associé totalement contradictoire et désigné comme tel.
Ainsi, il est plus clair que les triades désignées plus haut représentent des dynamismes lupasciens.

Comment ces dynamismes interagissent entre eux, comment les mondes et/ou les bardos que nous avons décris sont ils reliés ? Dans le chapitre "Etre : les six mondes", CT donne une clé liée au rapport de présence que l'être entretient avec son environnement : plus ce rapport de présence est fin, subtil, raffiné, plus l'état d'esprit "monte" dans le cycle depuis l'enfer jusqu'au monde des dieux; inversement, plus ce rapport de présence est épais, grossier et vulgaire, plus l'état d'esprit "descend" dans le cycle du monde des dieux jusqu'à celui des enfers...
Il y a aussi la caractéristique du rapport à l'égo, au soi : plus ce rapport est étroit et fixe, plus la conscience solidifie l'expérience, la situation vécue, le monde décrit comme polarité réductrice de la triade. Plus ce rapport est "souple", plus la conscience voit les dynamismes en jeu. Nous décrivons bien ici les états dynamiques et antagonistes du rapport de présence au monde que l'esprit/le corps entretiennent avec leur environnement : "ces mondes ont été décrits en tant que six types de conscience. (...) on pourrait presque parler d'inconscience au lieu de conscience. (...) C'est la raison pour laquelle on appelle ces niveaux [inconscients] loka, mot qui signifie "sphère" ou "monde. (...) Les six mondes sont donc l'espace fondamental à travers lequel opère toute l'expérience du bardo."
Traverser sans cesse ces six mondes, en fonction de ses "humeurs", de ses états émotionnels, dans un sens ou dans l'autre, c'est cela qui se nomme le samsara : le tourbillon. Nous traversons les six mondes par l'expérience du bardo qui permet, en quelque sorte, ce passage incessant. Mais grâce à la nature "duale" du bardo, ce dernier est aussi une porte d'entrée vers la "sortie" du cycle samsarique : il ne s'agit pas de fuir en courant, il s'agit de voir tous les aspects possibles de l'expérience au même niveau, toutes les "contradictions" en quelque sorte...
Expérimenter l'état contradictoire du bardo, c'est çà, "sortir" du cycle du samsara. Expérimenter l'état contradictoire du bardo, c'est çà, ressentir la santé mentale ou la folie : être sur ce "fil du rasoir" (selon une vue occidentale), être dans ce no man's land, cet espace de tous les possibles, où tout est (selon la vue du bouddhisme tibétain). Etre dans la confusion/claire lumière au même moment ? Non, pas tout à fait, la confusion permet de "bouger" dans le cycle, alors que la claire lumière permet aussi de comprendre ce mouvement...
Curieusement, cela ressemble ici à la conscience de conscience, contradictoire "absolument", liée à l'expérience du tiers inclus lupascien...
Mais cette conscience de conscience n'est pas "la conscience de soi" mais son antagoniste, cette relation au non-ego que nous avons déjà illustré avec la déité.
Mais il ne faut pas rester fixé sur cette relation au non-ego en tant que possible polarité réductrice, il faut s'en saisir et dé-saisir à la fois, en tant que dynamisme réunissant les deux polarités extrêmes.

Tout est là.

Nous reviendrons par la suite sur ce que nous apprennent chaque bardo séparément et ensemble : un éclairage original sur notre vie quotidienne...

samedi 19 juin 2010

Considérations sur les HPI : Universalité et Singularité.

Dans Surdoué, HPI : a-normalité.., nous avons, avec l'aide précieuse, théorique et expérientielle, de Nikos Lygéros, abordé la vue sociale du concept de HPI (Haut Potentiel Intellectuel). De la recherche basique de définition de concept, nous avons illustré qu'il était nécessaire de sortir du cadre dans lequel la société l'enferme et qu'il fallait, non réitérer ce cadre étroit au sein de sociétés spécifiques très spécialisées (car regroupant "exclusivement" des HPI par exemple) et ayant la tentation légitime et humaine de rester confinées, mais bien plutôt de tenter d'élaborer une heuristique sur cette complexité. En bref, s'intéresser au contenu et à la finalité plutôt qu'au contenant et à la forme.

N. Lygéros s'y est bien évidemment attelé : dans Sur les dangers de l'intelligence, il introduit comment la société Pi a été fondée en 1999 et sur quels principes et dans quel cadre elle fonctionne. L'architecture conceptuelle est donné par sa M-Classification. Ce document, qui se veut outil opératoire, est riche d'enseignements. Voyons çà.
Tout d'abord, il est clair que N. Lygéros souhaite, par le haut, construire un édifice : il s'interroge en premier sur la notion de génie et notamment de génie universel. De nombreux articles de son opus (en ligne) illustrent et documentent ce concept. Nous avons retenu la Nécessité de création et de découverte, comme une recherche bibliographique auprès de ces hommes et femmes qui ont inspiré sa pensée. Les plus importants sont certainement à ses yeux ceux qui, au sein de son opus, possèdent une entrée à leur nom !

M-Classification est une colonne vertébrale de l'arborescence des connaissances à saisir pour élaborer une "complexité de l'intelligence" ainsi  qu'une méthode.  { D'ailleurs, certains reprochent à N. Lygéros outre sa prolifique production (!), son auto-référencement assez fréquent qui débouche selon eux sur une pensée tautologique : il est plus certain que c'est le foisonnement arborescent d'articles en tous genres et sur de nombreux sujets qui crée le sentiment de confinement et d'auto-célébration intellectuelle, alors même qu'un nombre certain mais plus restreint (en mathématiques ou en philosophie) sont rigoureusement documentés et ouverts à la critique. } Il s'agit donc de méthode et les séquences décrites dans M-Classification renvoient pour la plupart à d'autres références, d'autres articles, d'autres items en arborescence ouverte.

Une méthode pour quoi ? Et bien, il semble aller de soi que cette méta-méthode, qui se veut générique, se décrit assez bien elle-même. Elle décrit aussi par nature son créateur qui depuis toujours semble se heurter à sa singularité : comment la saisir ? Il se sait intelligent, d'autres l'ont aussi ré-assuré, mais à un point où il se retrouve bien seul (cf Idées sur l'Homo Scientis, par exemple) et fort démuni par les modèles existant alors sur l'intelligence. Et si il construisait lui-même ce nouveau modèle, comme un nouveau paradigme, ouvrant l'horizon des Très Hauts Potentiels Intellectuels ?


1) il part donc de l'observable "intelligence" dont la mesure par le quotient intellectuel (Q.I.) se réduit aujourd'hui à quatre "domaines" de savoir : mathématiques, sciences, lettres, philosophie. Cette mesure donne lieu à une échelle normée donc à une quantification de l'observable (par isomorphisme). Mais N. Lygéros postule des seuils critiques correspondant à des phases qualitatives. Il étudie donc particulièrement les aspects qualitatifs liés aux seuils de rareté élevés (% de présence faible dans la population) et sur des QI élevés (supérieur à 150 ou + 3 écarts-types). (pour un simple aperçu de la notion de QI, pour un tableau reliant QI, Sigma (écart type), rareté et % de présence)
2) il définit ensuite ces aspects qualitatifs en les classant selon trois groupes : surdoué, génie et génie universel. Il rapproche ces notions de personnes célèbres. Il tente donc d'établir par analogie bibliographique un éclairage sur les trois groupes définis préalablement.
3) il définit alors les "bases" de nouveaux tests qui selon lui vont permettre de "mesurer" quantitativement ces aspects qualitatifs. Ces tests seront utilisés essentiellement pour affiner spécifiquement et discriminer un faible nombre d'individus entre eux puisque la plupart débutent à partir d'une rareté statistique supérieure à 1/1000. Nous y reviendrons en détail...
4) Ces discriminations réalisées, il est possible de réunir ensemble ces individus singuliers voire très singuliers. C'est là que N. Lygéros postule qu'il est nécessaire de sortir du cadre social "normal" pour ces individus : non pas réinventer la normalité de l'a-normalité au sein de clubs "chics" mais bien plutôt faire émerger un nouveau "modèle" : "Si le groupe est prométhéen alors c'est un modèle de l'humanité. (...) La notion de groupe s'identifie à celle de société. ". Au sein de ce raisonnement se tiennent les Principes Heuristiques que nous avons déjà évoqué (voir Principes Heuristiques ...), principes qu'il semble nécessaire d'utiliser pour arriver à cette fin.
5) Enfin, N.L. transfère tous ses axiomes au sein d'une structure sociale par un isomorphisme de groupe et établit ainsi formellement les "objets" sociaux d'une société "idéale" gérée par des individus très singuliers.
A quoi sert la méthode décrite ? A découvrir et non à conserver.
La formalisation des préceptes contenues dans M-Classification fournit une ontologie de la démarche heuristique consubstantielle à l'intelligence. Sa téléologie s'exprimant avec force au dernier point (6.7) : "L'œuvre crée l'être".
Autrement dit : l'intelligence existe (point 1) et elle s'exprime au travers de l'œuvre qui advient, nous la mesurons donc, in fine, par tout ce qu'elle permet de découvrir.

Voici bien une question/réponse ouverte !

Revenons cependant sur ces sociétés regroupant des individus à Haut Potentiel Intellectuel et leur statut : "ouverte sur le monde ou fermée" ? Par définition, une société, un regroupement d'humains, dont l'objet est clairement identifié, la finalité, les moyens, les ressources (les membres) et la production intellectuelle sont clairement visibles pour tous n'est pas une société "fermée" ni encore moins occulte. Que l'entrée soit restreinte à certains individus ne remet pas en cause le statut de système ouvert, en revanche, il existe un biais qui caractérise donc cette société. Pour prendre l'analogie avec une cellule vivante, celle-ci est un système dynamique ouvert sur son environnement et sa membrane (son "fermé") est bien le "biais", la cloison, la frontière qui la caractérise de son environnement. En d'autre termes, la coupure déplaçable entre le sujet et l'objet caractérise la dualité mais n'enferme pas cette dernière dans un schéma statique. Enfin, pour reprendre les termes de N. Lygéros, puisque toutes ces sociétés se définissent peu ou prou par leur rapport à l'intelligence, il faut examiner non leur statut proprement dit, mais ce qu'elle nous permettent de découvrir !

Cette question sur les conditions, critères,  d'admission au sein de ces sociétés à Haut QI est certainement LA question cruciale qui a animé nombre de ses membres. Nous pouvons en avoir un aperçu dans  ce document résumé de Darryl Myaguchi, avec beaucoup d'humour ! Enfin, l'organisation de l'information, du savoir et donc du pouvoir au sein de ces sociétés est symptomatique de leur degré d'ouverture aux autres : Kevin Langdon, membre de nombreuses sociétés regroupant des individus à haut QI (dont The Mega Society et Mensa USA) nous livre ici son manifeste pour une liberté d'expression, preuve qu'au sein de ces regroupements, les problèmes sociaux restent étonnamment similaires à ceux  de la société générale !

Et si en fait, malgré ces batteries de tests, (voir ce tableau de 2000, où 60 tests sont répertoriés avec les scores minima d'entrée pour chaque société existante de l'époque (14)), l'observable "Intelligence" ne se laissait pas mesurer ? Nous reviendrons plus tard sur cette question...

Cela nous ramène à la classification initiale qualitative et quantitative des expressions de l'intelligence. N. Lygéros défend son point de vue dans ce très bel article : Ontologie et Téléologie. La synthèse lygérienne n'est pas dogmatique malgré les apparences, nous pouvons trouver d'autres sources d'études qui s'approchent des phases décrites ici : surdoué, génie et génie universel. Un document de 1987 (The Outsiders) paru chez Prometheus Society (fondée en 1982 par Ronald Hoeflin) de Grady Towers illustre ainsi les corrélations entre Haut QI, scores élevés à certains tests et fréquence de désordres mentaux et/ou sociaux dans ces populations : il apparait déjà chez Leta Hollingworth ("Children above 180 I.Q." 1942) que ce seuil de QI autour de 5 sigma discrimine fortement des comportements sociaux singuliers. Cette très forte singularité, exprimée socialement par des troubles psychologiques voire psychotiques (pour une forte partie de cette population d'après les travaux de Lewis Terman) explique aussi l'isolement de ces personnes. Il est troublant ensuite de lire N.Lygéros : "Autant le génie pouvait avoir une définition propre et au moins théoriquement indépendante de l’humanité, autant cela est impossible pour le génie universel. Car ce dernier, par nature, doit être nécessairement reconnu par l’humanité comme tel. Pour lui, son ontologie, c’est sa téléologie." Et plus loin : "De plus, à la différence du simple génie, il ne vit qu’à travers la mort car ce n’est uniquement en se consumant qu’il devient ce qu’il est. Il doit mourir pour être." Deux notions semblent s'opposer : génie/singularité (avec les troubles sociaux relevés) et universalité. Le couplage entre ces deux antagonismes est "brillamment" illustré chez Lygéros par la métaphore de la bougie et de la flamme : "le point de vue de la flamme est encore plus remarquable car elle n’appartient à aucune des bougies tout en faisant partie de chacune d’entre elles. Elle n’est à personne en particulier car elle est à tous. Elle s’appuie sur les bougies pour l’aider à éclairer le monde, elle est changeante par nature puisqu’elle ne cesse de changer de substrat néanmoins elle a un caractère immuable par sa diachronicité. Bien que de type caméléonien, elle ne représente pas un caméléon mais la pensée des caméléons, la téléologie de leur ontologie."

Toutes ces considérations nous amènent à :
1) Il semble difficile d'examiner scientifiquement les trop "hautes" singularités liées à l'intelligence, leur nombre très réduit empêche l'application de la méthodologie classique. Néanmoins, un certain nombre d'études longitudinales portant sur des groupes d'individus ont déjà permis des classifications et des comparaisons avec d'autres groupes de population. Par une démarche heuristique, N. Lygéros entend ouvrir cet examen vers de nouveaux horizons où l'universalité rejoint la singularité et définit son ontologie. Dit autrement, la science semble, in fine, de peu de secours pour comprendre les THPI. Prenons cela comme un état temporaire...

2) Les sociétés regroupant les HQI sont multiples mais ont toutes connues les mêmes problèmes de constitution, de régulation et de pérennité : à savoir des querelles d'ego. MENSA échappe sans doute quantitativement à ces problèmes récurrents du fait aussi de sa taille (nombre de membres de par le monde) et du seuil d'entrée : elle "recrute" à partir d'un seuil de 2%, (soit 2 sigma sur une échelle normée de QI), ce qui est loin des seuils de Pi ou de Méga.

3) Et si de l'intelligence, nous ne savions encore rien ?


dimanche 6 juin 2010

Principes Heuristiques, Intelligence et Algorithme.

Nikos Lygéros a écrit ses Principes Heuristiques selon une séquence linéaire en 10 points, plongée dans un cadre philosophique mais ouverte sur d'autres réflexions personnelles. Nous y retrouvons certains points décrits par ailleurs dans les méthodes d'élaboration de cartes heuristiques par exemple (voir EFH cité dans Consubstantialité et Carte Heuristique) comme sur cette plaquette de présentation. Il est regrettable toutefois que l'EFH (Ecole Française de l'Heuristique) n'expose pas cette démarche par une carte...heuristique !

En premier, il faut distinguer algorithme et heuristique, l'EFH propose que mettre en œuvre "une" heuristique (ou "la" démarche heuristique selon eux, ce qui, notons le, est plus étroit) c'est un déploiement de ressources suite à l'adoption d'une posture et comme nous l'avons déjà vu dans de l'ouvert à la systémique, la posture est plus riche que l'algorithme. N. Lygéros propose, lui, non un mode opératoire ni même une posture, mais une réflexion "formelle" (i.e. construite en une séquence linéaire selon une logique "classique") qui tend ainsi à la procédure (car formellement et logiquement nous lisons d'abord le point 1 avant de lire le 2 etc..), mais il prend soin de plonger cette réflexion dans un cadre plus large : ainsi ses principes heuristiques sont l'extension du point 5 de sa M-Classification (déjà cité). En d'autres termes, comme la M-Classification peut se voir globalement comme une abduction du concept d'intelligence (point 1), la classification des principes heuristiques apparait comme la description d'une boucle de rétroaction : cette dernière établit "une classification des problèmes via leur complexité structurelle", complexité "issue" ou saisie par cette abduction elle-même. Ainsi, il m'est apparu rapidement, après avoir réalisé la portée de l'outil carte heuristique que visualiser les Principes Heuristiques de N.L. par une carte, même sommaire, serait certainement profitable à la compréhension de l'ensemble de l'article initial (cadre sous-jacent et extensions comprises). J'en propose donc, sous ma responsabilité, une version ici.

Cette carte heuristique des Principes Heuristiques de N.Lygéros est "dynamique" et chaque lien renvoie localement au texte de l'article original, ensuite les liens externes mentionnés sont cliquables et ouvrent sur les articles originaux disponibles en ligne de l'auteur, l'ensemble offre donc au lecteur une possibilité de saisie plus confortable et concise, enfin la carte doit faire émerger plusieurs propriétés/relations "cachées", implicites, par rapport à l'organisation originelle formellement séquentielle des données.

En second, il est donc illusoire de proposer un process séquentiel de la démarche heuristique, comme l'EFH le propose, sauf si l'on souhaite étudier la démarche de la démarche elle-même, comme N. Lygéros s'est proposé de le faire...Les deux démarches sont donc clairement dans des plans différents de réalité et la première débouche, si l'on veut bien, comme le précise l'EFH, sur la seconde : "Elle peut générer de la méthode, sachant que « la méthode, c’est ce que l’on découvre après » (Gaston BACHELARD)." Nous pourrions écrire également que l'EFH propose une posture "sociale" et psychique décentrée mais partant de l'individu alors que N. Lygéros propose une démarche cognitive abductive généralisée plongée dans un mouvement philosophique allant du solipsisme au réalisme (selon L. Wittgenstein), l'heuristique étant bien ici consubstantiel de l'être. Pour reprendre les termes de B. Nicolescu écrivant sur la tridialectique de S. Lupasco, nous pourrions caractériser la démarche de N. Lygéros d'Ontologique de l'Heuristique !

En troisième, comme nous l'avions indiqué déjà dans "de l'ouvert à la systémique" (déjà cité ici), "Couplé à l'ouvert, l'algorithme évoque alors une heuristique, c'est à dire une méthode efficiente pour fournir une solution réalisable au problème posé.", ou comme l'écris l'EFH : "La démarche heuristique s’exprime simultanément à travers une posture intérieure favorisant un état de réceptivité optimal, un traitement pluriel de l’information et une volonté d’obtenir un résultat satisfaisant." (c'est moi qui souligne), une heuristique générique (une méta heuristique) induis un algorithme !

En quatrième, toute heuristique est réflexive, elle renseigne à la fois au moment de la création et au moment de la lecture sur le sujet en train de s'accaparer l'objet. La réflexivité sur un individu amène à la démarche heuristique et la réflexivité sur un groupe d'individus (relativement homogène du point de vue du facteur g selon N. Lygéros) amène à la méta heuristique, à son ontologie. Par réflexivité sur le groupe d'individus, l'ontologie de l'heuristique devient simplement l'ontologie de l'être. Le mot "simplement" ici doit être compris comme une saisie "complexe" ! La simplicité ne se trouvant pas dans la trivialité mais dans la saisie ou la prise avec soi de la complexité.

Enfin, pour découvrir (heuristique vient de "eurisko": "je trouve"), pour trouver, il faut globalement s'ouvrir, être ouvert, i.e. adopter une posture décentrée du soi, de son égo. Cette ouverture n'est pas une polarité mais une tension entre deux antagonismes. De ce point de vue, Stéphane Lupasco nous a appris que cette tension est irréductiblement contradictoire. Cette contradiction irréductible, donc indéfectiblement ouverte, est nécessaire et suffisante pour être à l'écoute de l'autre, de tous les autres, de l'univers, de soi.
Un point important que souligne N. Lygéros (point 4) dans cette démarche heuristique, est le risque de chaos divergent, sans attracteur. Dans la carte heuristique, je le relie au groupe, qui par sa connaissance réflexive mutuelle et son "homogénéité" (relative au facteur g) permet, selon N.L. de générer de manière stable le raisonnement holistique et de poursuivre l'algorithme de la méta heuristique. Le groupe (une métaphore mentale de la société dans M-Classification (point 6)) fait ainsi office d'attracteur pour chacun de ses membres. Le choix du groupe, i.e. la contrainte globalement invariante qui le sous-tend, est selon N.L. l'intelligence !
Dit autrement, adopter une démarche heuristique nécessite une transmission, qu'elle soit duale ou groupale. Cette transmission est nécessaire à la représentation du réel (cf "L'ombre du savoir") puisque ce dernier n'est que relationnel (cf modèles issus de l'espace quantique : "Espace-temps quantique" ..) et cette transmission est nécessaire à la terminaison efficiente et réalisable de l'algorithme de l'heuristique (cf "de l'ouvert à la systémique" (déjà cité)). C'est bien la mise en relation de la démarche heuristique, sa relativisation, qui évite la divergence et en quelque sorte, la folie... Il est clair cependant que cette transmission, cette mise en relation, n'est pas suffisante à l'efficience de la démarche, il faut y ajouter des outils cognitifs, ceux que décrivent aussi bien l'EFH que N.Lygéros.

Il apparait finalement plus clairement que la carte heuristique des Principes Heuristiques de N.L. illustre mieux cette nécessité suffisante d'un algorithme en boucle qui fournit, in fine, l'efficience et la robustesse de la découverte ! Découverte, qui, à son tour, par mise en relation, peut fournir une heuristique générique et permettre de classer les autres découvertes selon leur complexité structurelle...

samedi 5 juin 2010

Consubstantialité et Carte Heuristique

J'ai découvert les cartes heuristiques avec Catherine Besnard-Péron dont la source est l'Ecole Française d'Heuristique (le blog est aussi riche de situations et de très belles cartes en tous genres).

La carte heuristique est un outil qui, au delà du langage séquentiel, fournit une vue globale (par l'image) et permet de fournir un sens et une direction à l'ensemble des liens mis en évidence entre tous les items du langage (que ce soit des mots ou groupes de mots ou d'autres images ou symboles ou d'autres cartes heuristiques...). En fait, la carte heuristique est une vue de la complexité, le nœud qui couple les deux étant le lien. Une carte heuristique est un ensemble de liens. Des liens qui mettent en relation des "objets". Nous pouvons donc dire que finalement une carte heuristique propose un ensemble de relations, en relation entre elles !
Ce qui est amusant est que pour un même ensemble de relations, il existe un grand nombre (issue d'une combinatoire sur le nombre de relations) de cartes heuristiques différentes : on peut imaginer, selon la terminologie topologique, que l'ensemble de ces cartes possibles appartiennent au même "atlas", ce dernier définit en fait un espace fini, limité à l'ensemble des relations (initiales) décrites, chaque carte ayant très souvent un sens différent et donc une orientation sémantique différente et unique selon la description spatiale des relations mises en œuvre (une carte heuristique devant en toute rigueur être "centrée", donc orientée). Dit autrement, chaque carte est une image différente du même espace relationnel, chaque carte va être décrite selon un discours séquentiel différent et l'histoire produite ainsi sera différente. Il est évident qu'il existe un grand nombre d'histoires différentes, toutes uniques, pour une même carte heuristique et donc pour un "atlas" du même espace relationnel. Ainsi, il est aisé de constater que pour un même ensemble fini de relations, il existe un très grand nombre d'histoires, de récits, combinant ces relations. Tous ces récits, enfin, décrivent chacun un espace-temps (qui n'est que relationnel, rappelons nous) unique, certains n'ayant aucune "chance" (probabilité) parfois d'être "réalistes" i.e. réalisables dans notre réalité physique conjointe.

Ainsi, une carte heuristique décrit sous une forme concise et parfois universel (inter-cultures) une complexité, riche de possibles, probables et improbables. Ces probabilités sont restreintes par des lois physiques, notamment celle de thermodynamique, mais aussi (ou surtout ?) par la motivation de celui qui la crée et qui, par cet acte, limite les possibles et fais surgir les probables, même les plus infimes. C'est in fine, la motivation qui va sélectionner les relations à relier entre elles de telle manière, dans tel espace restreint défini. A chaque carte correspond bien souvent une motivation et une seule, une orientation, un sens général, ce qui n'empêche pas, par la suite, le lecteur de la carte de pouvoir y puiser et créer à son tour plusieurs histoires uniques et différentes re-créées à chaque lecture. A ce titre, la carte heuristique contient un nombre d'informations impressionnant sur un espace physique limité.
Elle peut être une très belle métaphore également pour saisir la réalité de notre environnement, la réalité "contextuelle" ou consubstantielle à l'observateur, au lecteur de la carte/réalité, tout en n'oubliant jamais que la "carte n'est pas le territoire" (A. Korzybski), seulement un pâle reflet. Même si nous considérons la localité non séparée de la globalité (comme ce que nous apprend sur la réalité la physique quantique), "la connaissance locale", même a priori "infinie", "ne conduit pas (nécessairement) à une connaissance globale" (cf N. Lygéros et sa M-Classification [2.12] (déjà cité)).

La carte heuristique est également reliée au modèle d'organisation cognitif du cerveau : "cerveau gauche/cerveau droit" puisqu'elle met en avant une organisation spatiale de représentations d'images (au sens large) reliées entre elles, à l'instar de l'hémisphère droit qui "capte" les représentations sensorielles relativisées. Une carte heuristique peut ainsi ne contenir que des symboles directement "lus" par cet hémisphère, à charge pour l'hémisphère gauche de les relier avec d'autre symboles du langage lors de la lecture. Le sens orienté du langage (séquence temporelle et linéaire) fournit alors le sens orienté de la carte, au moment de la saisie/lecture. Nous revenons ici clairement à la saisie de l'univers/objet par l'univers/sujet, saisie qui crée/déploie l'espace-temps de manière unique. Nous y reviendrons...

Enfin, une carte heuristique est par définition un ("objet") ouvert (ou plus rigoureusement un recollement d'ouverts disjoints) et l'espace relationnel représenté est un système formel gödelien, donc soit incomplet, soit indécidable, en tous les cas, complètement indéterminé. Cette indétermination lui permet à la fois un très haut niveau d'abstraction (une vue transcendante et synthétique voire abductive) et à la fois un très haut niveau d'analyse fonctionnelle et opératoire (une vue formelle dans une logique du tiers inclus). Une carte heuristique peut donc servir à tout le monde, en de maintes occasions...!

mercredi 2 juin 2010

Surdoué, HPI : de l'a-normalité à l'heuristique...

Suite au Réveil de la Source, nous avons cherché à saisir ce que les définitions de "surdoué" pouvaient bien cacher.
Nous avons trouvé une définition compliquée de la part de Jeanne Siaud-Facchin (JSF), que nous avons souhaité complexifier par une abduction : chercher un algorithme engendrant une hyper-structure plutôt que dresser une symptomatologie.
Les recherches sur l'autisme et les travaux de Bruno Gepner (voir Je suis né un jour bleu et Autisme : Malvoyance de l'E-motion...) nous ont montré qu'il est pertinent de regarder le monde de façon large : ainsi le concept de "constellation autistique" de B. Gepner répond à ce besoin, tout en restant coincé dans la polarité de l'anormalité sociale, ce qui est regrettable. En l'espèce, le "couplage" entre un surdoué et un autiste, un syndrome Asperger, reste, dans ce cadre là, une "chose" (pour ne pas écrire plus) a-normale.
Arrivé à ce point, nous craignons qu'à chaque fois que nous analyserons un symptôme lié au concept du "surdouement", nous soyons écartés par la norme sociale ! D'ailleurs, JSF le répète dans ses livres sur le thème : ne pas réduire le surdouement à UN ou deux critères, même ceux qui sont classés au DSM IV !
En bref, et cela ne manque pas d'amuser (selon le mot célèbre de Beaumarchais : "Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer."), il est clair que le surdouement est a-normal.

Et la précocité ? Nikos Lygéros nous éclaire là dessus dans son article Précocité et Surdouement. Pour lui, c'est clair : "Pour notre part nous associerons le terme précocité exclusivement au résultat obtenu d'un test qui compare l'âge chronologique et l'âge mental et le terme surdouement au résultat obtenu à un test qui ne considère que la distribution normale de la population." Mais, bon, il l'avoue lui-même, cette distinction n'est pas follement opératoire ! En revanche, il met le doigt ensuite sur une réalité a-sociale : l'enfant précoce n'est pas forcément un enfant surdoué, le premier terme illustrant un potentiel fortement lié à l'environnement tandis que le second désigne un potentiel intrinsèque : "Il correspond à un état stable sur le plan mental et il est fortement g-loadé." [le facteur g de Charles Spearman]. Ce potentiel là n'est pas forcément réalisé, encore faut il un enseignement adapté. Et par adapté, N. Lygéros entend concrètement une relation singulière : "de type maître-disciple [plutôt] que professeur-élève." en raison de la norme imposée par la société : "Sans l'aide du mentor, le surdouement peut rester un potentiel non exploité en raison de l'écrasement social qui vise la stabilité du système et non l'épanouissement de l'homme au sein de l'humanité."

Il précise sa pensée, parfois très poétiquement, dans un article suivant : "De l'étrange à l'entraide". Il assume ainsi : "Pour les spécialistes normaux, le surdouement est reconnu comme une maladie. Il est diagnostiqué et traité de la même manière." Il est donc urgent de trouver des "spécialistes non spécialistes i.e. de[s] spécialistes surdoués" ! Pour qu'enfin, l'enfant (et l'adulte ?) surdoué puisse être en relation avec une personne qui le connaisse déjà, qui le re-connaisse, dans sa singularité, dans leurs singularités mutuelles : "En étant tous les deux dans le domaine de la différence, ils saisissent leur point commun. Alors que le spécialiste normal qui cherche la ressemblance ne trouve que la différence." C'est d'une évidence et d'un trivial !
Ce qui est une fois de plus très amusant dans le cadre normal social, c'est qu'il est impensable, inconcevable de "soigner" un malade par un autre malade ! Le problème essentiel est donc là : le concept de surdouement reste dans la case de l'a-normalité !
A ce point, faut il étudier la normalité ? Faut il faire confiance aux statistiques pour trouver l'intérêt d'un problème de société, ou bien la normalité se définit elle a priori  ? La psychométrie, à ce sujet, démontre un pragmatisme très étroit (au sens de son cadre non théorique). N. Lygéros lui-même écrit : "C'est pour cela que la psychométrie en tant que science humaine n'est pas encore née." Car, a priori, qui le concept de surdouement intéresse t il ? N'est ce point le vocabulaire qui est trop étroit ou bien la démarche d'étude ?

Les qualificatifs "sur-", "haut", "très haut" ou bien "pré-"sont toujours connotés en rapport à un cadre normatif. Combien de "spécialistes" osent rapprocher les "sous-" ou les "dé-" et les "sur-" ? N. Lygéros, dans cet article "Déficience et Douance...", est sans appel : "Socialement parlant, la déficience et la douance représentent le même phénomène. Ainsi malgré les différences profondes qui existent entre ces deux cas, en les marginalisant, la société les place dans la même situation d'échec." Enfin, il expose ce paradoxe où nous voyons illustrer l'antagonisme normatif des deux phénomènes et la spécifique unicité de leur traitement social : "Le paradoxe général, c'est que la société d'une part néglige globalement les enfants surdoués alors que localement tout le monde désire leur reconnaissance et d'autre part elle s'intéresse globalement aux enfants qui ont une déficience alors que localement tout le monde évite leur reconnaissance." ! L'hypocrisie sociale est de la mal-voyance, débouchant classiquement in fine sur de la mal-traitance à l'égard de groupes minoritaires. Mais une société peut-elle reconnaitre la singularité et l'unicité de ses membres quand son objet est de les regrouper ? Dans ce cadre là, il est justement pertinent de regrouper les personnes et d'agir sur leur spécificité sociale qui, in fine, crée leur exclusion : autrement dit, ce n'est pas parce que ces enfants (pour ne parler que d'eux et pas des adultes qu'ils deviennent) sont dé- ou sur- ficients qu'ils sont exclus du système d'enseignement de masse, mais c'est bien parce que ce système d'enseignement n'est pas adapté pour eux qu'ils deviennent exclus et étiquetés comme tels, "a-normaux".

Et pourtant, comme "L'étrange n'est étrange que pour le normal. L'étrange est normal pour l'étrange.(...)Car l'étrange est essentiellement rare et le rare est normal pour le rare." l'a-normal n'est pas a-normal pour l'a-normal ! Ainsi, dans Douance et Perspective, N. Lygéros défend l'idée non politiquement correct que les "sur-efficients" devraient par certaines de leurs capacités naturellement plus puissantes (raisonnement non uniforme, pensée latérale..) venir en aide et enseigner aux "dé-ficients" comme il l'a lui même expérimenté d'ailleurs.(voir Les enfants déficients...) Il part d'un constat, qui va paraître arrogant à la majorité, qu' "Il est difficile de convaincre la société quant à l'importance de la douance en utilisant des arguments basés sur ses caractéristiques. L'incompréhension de cette notion ne peut changer par l'explicitation de sa structure interne qui demeure essentiellement inaccessible pour une personne extérieure à ce monde." En bref, l'algorithme dont nous parlons au début de cet article, est par ontologie, "secret". Après tout, qui se soucie, sur Terre, par exemple de la géométrie non commutative ? Qui se plaint alors que la compréhension de cette branche des mathématiques soit pour le moins absconse pour l'écrasante majorité ? La singularité extrême du chef de file de cette spécialité débouche t elle alors nécessairement sur sa prétendue arrogance ? Il est clair également que Nikos Lygéros est un homme d'une extrême singularité et que sa notoriété publique est certainement inversement proportionnelle à cette dernière, pourtant, dans son œuvre et sa pensée qu'il offre à tous par le biais d'internet, il contribue "modestement" à enrichir certains débats et certaines questions dont il s'est lui-même ardemment investi. Il est ainsi très humble et très concret lorsqu'il écris que "Via l'œuvre réalisée même si celle-ci est conceptuellement ardue, la douance peut montrer ses capacités de création en matière de réalité. La réalisation d'un tableau n'est pas plus accessible par l'exploitation des matériaux employés. C'est son impact qui transforme le regard des autres." Disons qu'il montre un chemin apaisé à ceux (parmi les "doués") qui se sentent encore blessés par ce fameux regard différent de l'autre...

N. Lygéros donne des pistes pertinentes pour lier didactiquement la douance et la déficience et y voit également un bénéfice social réciproque : "Ainsi nous avons un paradigme du concept non politiquement correct qui peut avoir une action politiquement correcte du point de vue social. Via la nature de cette action, la douance peut prouver d'une part son existence et d'autre part son efficacité."
Il faut éclairer le lecteur que cette position est très singulière pour un HPI (voire un THPI) car elle constate bien, revenez plus haut pour le relire, que chaque population minoritaire exclue socialement par un indicateur de l'intelligence (le fameux Q.I.) fait partie pourtant du même phénomène social. Or, la majorité bien pensante, même avec un Haut Potentiel Intellectuel, n'a apparemment aucun intérêt social à le reconnaitre. Il s'agit là, d'après N. Lygéros, d'un aveuglement  certain lié pourtant à une honnête et juste revendication : que l'a-normalité devienne "normale" aux yeux du monde ! Encore faut il que la ou les sociétés constituées de HPI et les individus isolés eux-même évitent le confinement intellectuel : "Différents mais isolés, ces individus loin de vouloir produire un quelconque effet sur la société, s'organisent en société dans un milieu fermé.(...)Vivant dans un milieu d'auto-satisfaction intellectuelle, leur existence a acquis le statut d'une vie.(...)Les individus sont essentiellement différents mais agissent fondamentalement de la même manière.(...) Le processus de confinement intellectuel, loin d'être un apport n'est en réalité qu'une manière déformée de reproduire les effets de la masse." Le danger est là pour tout HPI : croire que l'adaptation de son "a-normalité" sociale à la "normalité" ambiante et majoritaire (par définition) serait source de bénéfice voire (osons le mot !) de bonheur non seulement pour lui-même, son environnement immédiat, son groupe de pairs mais aussi pour l'humanité entière.

La finalité d'un telle prise de conscience n'est pas le passage à l'acte révolutionnaire ! Il passe très certainement en revanche par des regroupements ouverts sur des heuristiques.

L'ouverture...

Ne cessons nous point d'écrire là dessus ici ?

( à suivre...)