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dimanche 27 mars 2011

Mort cellulaire et Logique du Tiers Inclus.

 A l'écoute : Johannes-Passion de Johann Sebastian BACH (BWV 245, Nikolaus Harnoncourt et Arnold Schoenboerg Chor - Concentus Musicus Wien, 1995)

J'ai croisé la voix chaude et grave de Jean Claude Ameisen un jour de janvier 2010 sur France Inter. A l'instar de JSF (voir Réveil de la source) dont quelques mots m'avaient transpercé, les paroles de JC Ameisen m'ont littéralement soulevées ce jour là, et ouverts à des espaces qu'aujourd'hui encore je ne fais qu'explorer.

Jean Claude Ameisen (JCA) est Docteur en Immunologie et Professeur à l'Inserm et a écris en 1999 La Scuplture du Vivant paru au Seuil. Ce livre parle du concept de "mort cellulaire" en biologie et de ses liens avec l'embryogenèse et l'oncogenèse notamment, avant d'aborder les questions éthiques induites par ce concept fondamental et transversal peu à peu élaboré par de nombreux chercheurs.

Dans ce premier billet sur la question, je souhaite présenter une image sur le système immunitaire qui m'a stupéfait. Mais d'abord le concept de mort cellulaire. Là encore, les concepts déployés ici sur la logique de l'antagonisme de S. Lupasco nous aident à prendre avec nous plus facilement cette complexité.

"Aujourd'hui, nous savons que toutes nos cellules possèdent le pouvoir, à tout moment, de s'auto-détruire en quelques heures. C'est à partir d'informations contenues dans leurs gènes que nos cellules fabriquent en permanence les "exécuteurs" capables de précipiter leur fin et les "protecteurs" capables de les neutraliser. Et la survie de chacune de nos cellules dépend, jour après jour, de sa capacité à percevoir dans l'environnement de notre corps les signaux émis par d'autres cellules, qui, seuls, lui permettent de réprimer le déclenchement de son autodestruction."
Ainsi JCA pose avec ces trois phrases emblématiques toute la beauté et la pureté du concept de "mort cellulaire" : il apparait ainsi un système complexe (et nous le verrons par la suite infiniment complexe) où co-existent ensemble deux états antagonistes et opposés reliés indéfectiblement à leur environnement ouvert. Exécuteurs et protecteurs cellulaires co-existent ensemble dans un "équilibre" tendu à l'extrême, ouvert sur l'extérieur.

Le concept de vie est ici co-existant à celui de mort. Le concept de vie co-résulte de la "négation" du concept de mort comme ce dernier co-résulte de la négation du concept de vie. A ce jour, seule cette dernière partie de l'assertion nous parait "naturelle" et de bon sens. Et pourtant, la vie ne "triomphe" pas de la mort, elle en est humblement seulement sa co-partenaire.
Le concept de vie/mort dépend également de la présence continuelle de l'environnement, du même, comme du différent (non-même). Le concept de vie/mort ne se conçoit plus comme une entité solitaire mais indéfiniment solidaire. Une cellule ne peut vivre/mourir QUE si son environnement lui permet de réprimer son auto-destruction (et donc d'activer son auto-construction).

En langage lupascien, nous pourrions poser qu'au niveau cellulaire, la vie qui s'actualise (en réprimant les exécuteurs) potentialise en même temps la mort (par répression des protecteurs) et à la fois, la mort qui s'actualise (en activant les exécuteurs) potentialise en même temps la vie (par activation des protecteurs). Ce doublet d'antagonistes opposés s'ouvre et s'oppose à la fois dans le Tiers Inclus logique : l'interdépendance comme unique alternative à la vie/mort. Cette interdépendance absolue (au sens d'une contradiction entre vie et mort) fait émerger une co-dépendance relative (au sens d'une non-contradiction entre vie et mort) qui donne in fine à la vie/mort l'image "d'un sculpteur, au cœur du vivant, à l'œuvre, jour après jour, dans l'émergence de sa forme et de sa complexité"


"Rien n'a de sens en biologie, a écrit le biologiste Dobzhansky, si ce n'est à la lumière de l'évolution." (« Nothing in biology makes sense except in the light of evolution. ») Ainsi pour "appréhender véritablement la "raison d'être" d'une propriété apparemment mystérieuse de nos cellules", il faut "partir à la recherche de ses origines."
Anne Fagot-Largeault dans ses cours au Collège de France en 2009 sur "l'Ontologie du devenir" souligne bien qu'en épistémologie des sciences biologiques et médicales, le philosophe comme le "praticien-chercheur" oublie fréquemment de considérer l'ontologie des concepts élaborés. Pour comprendre cela, JC Ameisen est parti à la recherche des origines du concept de mort cellulaire, dans les espèces les plus anciennes existant encore sur Terre : les bactéries, et a poursuivi sa quête tout au long de l'évolution du vivant jusqu'à l'homme.
L'ontologie retracée du concept de mort cellulaire aboutit ainsi à sa force et à consistance, à sa transversalité, sa transcendance. Nous reviendrons ultérieurement sur l'ensemble des retombées systémiques de ce concept dans diverses sciences...


Au chapitre 3 du livre vient l'analyse "de la mémoire et de l'identité" ou comment le concept de mort cellulaire vient ré-interpréter le système immunitaire. Dans ce système co-existent les trois notions d'identité, d'adaptation et de mémoire.
"La notion d'identité pré-suppose la capacité de distinguer entre des informations qui sont émises par notre corps (le soi) et des informations dont l'origine nous est étrangère (le non-soi). La notion de mémoire pré-suppose la capacité de distinguer entre des informations nouvelles, auxquelles nous n'avons jamais été confrontés auparavant, et des informations que nous avons déjà rencontrées. Se souvenir, c'est reconnaître; et reconnaître, c'est répondre différemment la deuxième fois de la première."

Cette dernière phrase résonne curieusement dans le contexte d'un traumatisme psychique : pour se souvenir, le sujet doit pouvoir répondre différemment par rapport à la première fois que l'évènement a surgi et a provoqué le "trauma". Ainsi, la réponse différente est la re-connaissance de cet évènement. Pour les théoriciens de l'EMDR par exemple, il existe une opposition entre principe de survie et principe de traitement de l'information : tant que l'information n'est pas "traitée" par la mémoire, au sens de sa signifiance pour le sujet, la survie seulement s'impose à lui (avec la cohorte symptomatologique qui y est liée : hyper-excitation somatique, syndrome de répétition, dissociation, évitement...etc).

Au niveau du corps humain, les notions d'identité et de mémoire ont une nature matérielle et concrète : "elles s'élaborent, s'inscrivent et s'incarnent dans des réseaux de cellules qui communiquent entre elles" ajoute JC Ameisen. Ce réseau de cellules forme un système de système et possède donc un état informationnel d'où émergent ces notions d'identité et de mémoire.

Dans le système immunitaire humain existent deux grandes familles cellulaires distinctes : les "sentinelles" et les lymphocytes, notamment les T, dont la "maturation" se produit dans le thymus pendant la vie embryonnaire.
Les cellules sentinelles circulent dans tout le corps et "fragmentent, découpent sans cesse une petite partie de toutes les protéines qu'elles contiennent". Ces fragments sont exposés à la surface de la cellule sur des présentoirs, tous identiques entre eux. L'information contenue dans ces présentoirs et dans les fragments de protéines récoltées dans tout le corps, en l'absence d'infection, constitue le "soi", l'identité immunitaire de la personne. Dès qu'une nouvelle infection a lieu, des fragments de protéines étrangères au corps sont, par le travail des "sentinelles", exposées sur leurs présentoirs. L'assemblage hétérogène composé du présentoir du "soi" et du fragment de protéine du "non-soi" est capturé par un des récepteurs d'un lymphocyte T qui se transforme en combattant pour lutter contre l'infection.
Comment le lymphocyte T "sait il" que cet assemblage est hétérogène, sachant qu'il n'a jamais rencontré auparavant aucune protéine issue d'un nouveau microbe ? En fait, il ne s'agit pas d'une reconnaissance suite à un apprentissage du non-soi (l'infinie variété des protéines étrangères à l'unicité de notre corps dont l'énumération exhaustive est impossible) mais bien d'un apprentissage de la nature de notre "identité" au moment où notre corps n'est qu'un embryon.

Les concepts de vie/mort vont se mettre à l'œuvre ici : la vie d'abord, dans l'exploration systématique du champ des possibles.
Le scientifique baigné dans la logique "classique" exclusive convoque ici le "hasard" pour expliquer l'élaboration d'un très grand nombre de combinaisons possibles d'un "jeu" combinatoire fini, en l'espèce la fabrication par l'embryon humain d'un nombre gigantesque de récepteurs tous uniques mais tous différents de pré-lymphocytes T, qui comme "par hasard", vont par la suite définir parfaitement le "soi". La notion de "hasard", darwinienne, est pratique pour cacher le flou d'un mécanisme encore ignoré.
Mais il est possible aussi de voir ici un déploiement d'une systématique au sein d'une logique "inclusive", accompagné de manière concomitante d'une destruction d'une partie de ce qui a été préalablement déployé.
Je renvoie le lecteur tout d'abord à l'article "Echelles, Nombres et Perception.." pour illustrer le principe d'une combinatoire systématique : combinatoire signifiant un calcul (addition et multiplication) et systématique signifiant que tout est compté. JC Ameisen donne comme exemple un récepteur protidique composé de 4 protéines différentes codées par 600 gènes environ chacune. Si l'on admet une "fabrication" systématique de tous les récepteurs uniques possibles (différents d'au moins 1 protéine sur quatre), le possible devient vertigineux (environ 130x10^9 combinaisons possibles). Au sein d'une logique inclusive, ce possible définit un potentiel. Ce potentiel n'existe en réalité que dans un tout petit organe au sein de l'embryon (le thymus) et pendant un laps de temps très court : cet organe est en fait comme un simulateur de vie ...et de mort potentielles.

Au sein du thymus de l'embryon sont "entreposés" tous les récepteurs des cellules sentinelles définissant le soi. Les récepteurs des pré-lymphocytes T vont durant trois jours circuler au sein de ces cellules et être "baignés" de ces informations, les cellules interagissant entre elles.
Comme nous l'avons vu plus haut, la survie du futur lymphocyte T dépend des interactions de son environnement. Ici s'opère l'étrange mais fascinante complexité de la construction de notre identité biologique. Il est possible, selon JC Ameisen, de simplifier les interactions complexes entre cellules selon deux groupes de réponses : les réponses qui vont permettrent la vie et celles qui vont donner la mort. Quantitativement, on constate que les réponses de mort seront beaucoup plus nombreuses que celles de vie et cela aboutit à la destruction par l'organisme lui même de près de 99% du potentiel de vie précédemment créé ! Les "raisons"  de mort sont assez "binaires" : ainsi si les récepteurs du lymphocyte T interagissent trop fortement avec les récepteurs du soi, ils sont détruits (évitant ainsi les futures maladies auto-immunes); de même si les récepteurs n'interagissent pas du tout ou très faiblement, ils sont détruit également (évitant l'inutilité future du lymphocyte "tueur" !). En fait, seuls les récepteurs dont l'interaction est "modérée" vont permettre d'engendrer un signal "faible" de survie pour les lymphocytes T : ainsi la vie apparait ici comme la réponse "modérée" et "faible" : unique complexité située entre des réponses trop "franches", trop intenses, dans un sens comme dans l'autre.
Pendant trois jours, au sein du thymus, se joue ainsi l'actualisation du potentiel créé de manière systématique auparavant. Cette actualisation va garder environ 1% du potentiel et définir ainsi l'unicité singulière de l'embryon donc de l'individu en train de se former : singularité qui signera in fine sa "réponse" immunitaire.



Je vois pour ma part, ici, une complexité se mettre en place, au sein des relations (dynamiques) entre cellules de l'immunité. Je conjecture ici également un système de systèmes dont il est possible de comprendre l'ontologie si on s'empare de la logique lupascienne.
Posons que l'ensemble des interactions entre cellules sentinelles et pré- lymphocytes T dans le thymus embryonnaire définisse un ensemble de couples dont chacun est composé de deux informations : la combinaison du récepteur de la sentinelle et la combinaison du récepteur du lymphocyte T. Nommons pour simplifier notre propos chaque couple générique (S,T). Nous avons alors :
1) Si S est "trop proche" (interaction trop intense) de T, alors c'est la destruction de T
2) Si S est "trop éloigné" (interaction trop faible) de T, alors c'est la destruction de T
3) Si S n'est "ni trop proche ET ni trop éloigné" (interaction modérée) de T, alors c'est la survie de T.
Ce système axiomatique fait penser à une matrice ternaire où 1) serait "l'égalité" (axiome d'identité) (A est A), 2) serait la non égalité (axiome de non contradiction) (A n'est pas non-A) et 3) serait le tiers inclus (axiome du tiers inclus) (il existe un tiers entre A et non-A).
Pourquoi le tiers inclus ici et non l'axiome classique du tiers exclus  ? Tout simplement car la réponse donne la "vie", c'est à dire actualise le potentiel existant en le gardant "visible", tandis que les autres réponses donnant la "mort" actualisent le potentiel existant en le faisant disparaître ! Le tiers inclus, ici dans cette systémogénèse immunitaire, définit la vie même tandis que les opposés contradictoires engendrent la mort. Il est bien entendu qu'ici, je parle des interactions entre cellules, donc de leurs relations dynamiques, c'est à dire in fine de systèmes informationnels et non des structures cellulaires au sens strict.

Que peut signifier ici un rapprochement entre le concept lupascien du tiers inclus et l'identité immunitaire du "soi" ? Je vois pour ma part l'irréductible contradictoire et l'inversion de sens (vu avec Van Gennep).
Selon JC Ameisein, la re-connaissance est une présentation à nouveau avec une réponse différente. En effet, il écrit : "Aussi étrange que cela puisse paraître, le lymphocyte qui répond pour la première fois à un fragment d'une des protéines du virus de la grippe [...] n'y répond pas parce qu'il le "reconnait" [au sens de connaitre] : il y répond au contraire pour la seule raison qu'il ne l'a jamais rencontré." Et cette réponse sera intense et cela déclenchera, pour la première fois, un signal intense qui engendrera la destruction de la protéine du "non-soi". Le "soi" est ici définit par des informations ( des combinaisons de protéines) "contradictoires" essentiellement, une réponse originelle modérée, singulière et rare, tandis que le "non-soi" se définit par des informations non contradictoires essentiellement, une réponse originelle très forte ou très faible, commune et courante (statistiquement du moins).
C'est bien l'inclusion originelle d'informations contradictoires, pendant la vie embryonnaire, qui permet de construire la complexité de notre système immunitaire.

Le concept de mort cellulaire apparaît ainsi très bien adapté à sa ré-interprétation au sein d'une métaphysique lupascienne de logique inclusive ou logique du tiers inclus. La complexité entrevue alors prend tout son sens et "se simplifie".

Ce concept de mort cellulaire, rend ainsi au concept de vie, toute sa beauté et sa complexité grâce à l'introduction du contradictoire au sein du couple (vie,mort). Immergé au sein d'une logique lupascienne, ce couple fait à son tour émerger peut-être Le véritable concept de ce que nous nommons la "vie" : en réalité, son "tiers inclus", issu d'une tension irréductible et contradictoire entre vie et mort, et dont la manifestation "visible" reste si rare et si singulière !

lundi 20 septembre 2010

Partir & Revenir : un paradigme du seuil ?

A l'écoute : The Meaning of Life de Dajla

J'ai enfin pris avec moi cet été que j'ai "besoin" de quelques jours pour changer de rythme, les premiers jours de vacances étant quasiment toujours insupportables pour mon entourage (!). Je n'ai pas en revanche compris pourquoi, encore, bien que des pistes s'offrent à moi...

Ces moments de perturbation sont des instants de changement et peuvent se rapprocher ainsi du concept de "seuil". Avant ce seuil, l'obsession est de partir, après ce seuil, l'intention est de ne pas rentrer, entre les deux, je ne sais plus rien, je ne ressens plus rien, tout semble là, en désordre, le verre est à la fois à moitié plein et à moitié vide, l'action est vaine et la pensée mouline à "vide".

Ainsi se dégagent trois "éléments" ou plutôt une vue ternaire de cette perturbation liée au changement. Cela nous rappelle un changement d'état en physique-chimie... Cela se rapproche aussi de la phase liminaire conceptualisée par Arnold van Gennep dans son ouvrage "Les Rites de Passage" édité en 1909. Ethnologue de formation, A. van Gennep va relier sous le vocable "Rite de Passage" un ensemble de rites jusque là vus sans aucun rapport : l'image qui lui sert  de lien est le seuil.
Nicolas Journet nous l'explique très bien ici : "C'est sur ce motif spatial - celui du franchissement d'un seuil - que van Gennep construit l'image qui va lui permettre de comparer un très grand nombre de rites, habituellement considérés comme sans rapports les uns avec les autres : rites de fécondité, fêtes calendaires, cérémonies de mariage, baptêmes, circoncisions, rites de purification, cérémonies d'accès à une fonction, à une société guerrière ou religieuse, à un culte totémique ou ancestral, initiations chamaniques, etc."

Or, précise N. Journet, ce seuil se relie bien à une structure ternaire : pré-liminaire, liminaire (sur le seuil)  et post-liminaire. Cette image de trois phases liées ensemble nous rappelle aussi Discontinuité et A-causalité où j'ai étudié la triade lupascienne {continu, seuil, discontinu }. Du point de vue de l'acteur, ajoute N. Journet, cette vue (ou tri-vue) peut aussi s'interpréter par les trois phases suivantes : "séparation (de l'état ou du lieu antérieur), marge (entre deux), et agrégation (à un nouvel état)".
Ainsi, la phase "liminaire" de van Gennep est aussi une phase "marginale" qu'il est bien tentant ici de relier par analogie au tiers inclus de S. Lupasco.

Or, l'image la plus rigoureuse certainement du tiers inclus lupascien consiste en la définition suivante : un état où co-existe "simultanément" un double antagonisme de propositions non-contradictoires mais opposées, cet état définissant ainsi un irréductible contradictoire absolu entre deux non-contradictions relatives (selon B. Nicolescu). Cet état, S. Lupasco l'a martelé dans ses ouvrages, est l'exact opposé de la synthèse hégélienne ou marxiste consistant selon lui en une fusion dissolvante des contradictions. Dans le tiers inclus, il n'y a aucune dissolution, bien au contraire, mais intégration c'est à dire ouverture d'un espace, accès à une dimension supplémentaire voire à un autre "niveau de réalité" selon Nicolescu. La dissolution pourrait dans ce cas être interprétée comme une dés-intégration.
"Irréductible contradictoire" signifie bien littéralement que dans le niveau de réalité où sont situés les deux évènements contradictoires, la contradiction n'y est jamais "réduite" et présente.

Une analogie géométrique apporte ici de la clarté. Prenons une hyperbole formée par la cissoïdale de deux droites sécantes quelconques :
Étant donné deux droites sécantes et un point A en dehors de ces droites, le lieu des points M tels que P et Q sont les deux points d'intersection avec les asymptotes d'une droite variable passant par A, est l'hyperbole passant par A et d'asymptotes les deux droites de départ  (on en déduit facilement que l’hyperbole est la cissoïdale de deux droites sécantes). 
Si nous considérons chaque demi-hyperbole comme analogue aux "chemins"de deux évènements contradictoires et opposés (e et non-e) alors chaque droite sécante asymptote de l'hyperbole est analogue à la réduction sur le plan affine d'un tiers inclus lupascien (T). Parler ici de "réduction" équivaut à écrire l'égalité suivante xy = (c/2)^2, équation de l'hyperbole dans le repère formé par les asymptotes (où c est la demi-distance focale) car "atteindre" l'analogue d'un tiers inclus lupascien consisterait plutôt à écrire par exemple l'inégalité suivante: xy > (c/2)^2. Nous reviendrons plus tard sur cette formalisation...

Ainsi, passer d'une demi-hyperbole à une autre nécessite "un saut" au-dessus d'une asymptote, cette dernière, par définition ne contenant jamais aucun point de l'hyperbole. Ce saut s'accompagne en outre à chaque fois d'un changement de "signe" des coordonnées des points de la courbe. Il y a donc comme une inversion de polarité.
Cette inversion est donc "contenue" dans le tiers inclus, siège irréductible de la contradiction et seuil/passage entre e et non-e.

Cette inversion, Victor Turner l'a conceptualisée clairement en ethnologie, en poursuivant les travaux de A.van Gennep, et l'a associé à la phase liminaire, au seuil. Ainsi, comme le rapporte N. Journet, "Turner en arrive-t-il à une interprétation beaucoup plus large de la dynamique sociale : toutes les sociétés seraient construites sur une opposition entre structure et antistructure." Entre les deux, le passage/seuil, la phase liminaire permet à l'individu social de prendre conscience à la fois de la structure et de l'anti-structure, de la séparation et de l'agrégation, de l'avant et de l'après. C'est exactement analogue à la position du tiers inclus T qui "contient" à la fois une part de l'évènement e et une part "égale" mais opposée de l'évènement non-e antagoniste. C'est exactement analogue, comme je l'ai illustré dans Bardo : au delà de la folie..., à l'état de bardo , concept opératif du bouddisme tibétain selon C.Trungpa.
Cette inversion reliée au seuil/passage est certes transitoire mais néanmoins consubstantielle du changement.

Ainsi, heureusement pour mon entourage, mon changement d'humeur post-liminaire à l'état de vacance de mon esprit en "vacances" d'été est transitoire et s'agrège sans difficulté aux humeurs de mes semblables en congés, après s'être séparé avec conflit des ambiances de travail...

"Partir, revenir" : un modèle paradigmatique du seuil ?

samedi 3 juillet 2010

Méta-Relience I

Dans Relience I, nous avons rapproché les vues de la science physique (essentiellement) avec nos sentiments, nos émotions, nos intentions et volitions, notre amour de l'autre. La science nous amenant in fine à nous attacher ni au temps ni à l'espace (trop imprécis et incertain) tels qu'ils sont définis en tout cas depuis Newton et que chacun "transporte" implicitement dans sa représentation mentale du monde. La science (la physique quantique notamment) nous apporte également la non-séparabilité entre sujet et objet : ces deux dernières vues nous fournissent une conception relationnelle de la réalité et donc relative. Cet état relatif apparait à la fois unique ("une unique réalité" issue d'une unique mesure de nos sens) et multiple : toute relation est en relation avec d'autres, elles mêmes en relation etc...La métaphore est celle de l'arborescence infinie : nous voyons à la fois un "arbre" et à la fois nous sommes cet "arbre".
Comment choisissons nous notre vue de "l'arbre", "à chaque instant" ?
Nous postulons que l'intention, la motivation, le désir permettent ce choix, cette vue. Sans aller plus loin pour le moment.
"Nous ne voyons que ce que nous comprenons", avons nous illustré, c'est à dire, que ce que nous prenons littéralement avec nous, en nous, que ce qui est nous d'une certaine manière. Mais prenons nous tout ? Nous avons illustré que d'une certaine manière, analytique, c'était impossible et hors de portée et dans le même temps, d'une autre manière, synthétique, c'était évident et facile. Ainsi, il n'est pas besoin de comprendre pour savoir...! Mais il est apparu pourtant que pour transmettre ce savoir, il faut une intention, un amour de l'autre et un apprentissage de la représentation du monde donc de la relation.
En fait, déjà, nous voyons les dynamiques existant au sein de la dualité (savoir et compréhension). Ces dynamiques sont nécessaires mais sont elles suffisantes ?

Dans Relience II, nous postulons d'emblée que le réel émerge de ces dynamiques. Il faut nous pencher sur le comment. Nous cherchons dans diverses directions, au sein de diverses branches de "l'arbre" du réel. Cette recherche participe implicitement à l'élaboration d'une heuristique. Ainsi, les branches de "l'arbre" ne sont pas, en soi, fondamentales, mais leurs nœuds, oui ! Une introspection du sujet nous éclaire sur des objets : intelligence et douance, "sagesse indienne", thérapie et systémie, métaphysique quantique, mathématiques...Ces objets éclairent paradoxalement leurs ombres, leurs envers, leurs antagonistes et les relations issues de cet "éclairage" sont à nouveau des dynamiques. Mais nous découvrons alors que ces dynamiques antagonistes, opposées, ne le sont pas vraiment : la complémentarité de l'opposable devient une extension logique à l'exclusion ! C'est la logique de l'inclusion.
Cette dernière a le mérite d'étendre la dialectique tout en compactant sa représentation au sein d'une triade : la complexité d'une carte heuristique peut se tenir entièrement dans un triplet de dynamismes. C'est la logique du Tiers Inclus, du contradictoire et de l'énergie, tant il apparaît que cette compactification est néguentropique.
La triade aperçue fait partie pour B. Nicolescu d'un système ouvert, gödelien et doublement dynamique : un double flux transcendant et immanent à la fois, indéfectiblement ouvert : Transdiciplinaire ! Toute réalité, relationnelle, dynamique, est aussi multi-référentielle.
Ainsi, les dynamiques aperçues dans Relience I deviennent suffisantes dans Relience II. La triade lupascienne est un bon outil relationnel pour saisir et contenir toute relation mise en relation. Pour prendre avec soi, c'est à dire transmettre avec amour et simplicité la complexité du monde...

Désormais, dans Relience III, nous abordons frontalement, c'est à dire avec motivation (!), la nécessaire et suffisante prise du monde grâce au triplet de la logique de l'inclusion. Nous continuons de parcourir, donc de prendre avec nous, les branches de "l'arbre" du réel : féminin/masculin, vie/mort, continuité/discontinuité, champ/quantum, énergie/seuil, vide/plein, normalité/a-normalité, maladie/santé, autisme et malvoyance de l'e-motion, affectif et sens, bardo et méditation...Les états relatifs de Relience I et l'émergence systémique de Relience II sont vus désormais selon la tridialectique lupascienne. Il s'agit pour l'instant non d'une coloration intentionnelle de "l'arbre" du réel (c'est à dire dogmatique) mais bien d'une prise avec soi, d'une compréhension. L'exemple frappant de la démarche d'Alain Connes sur ce dernier concept  justifie notre posture : toute complexité est incompréhensible et insaisissable par son analyse dans un unique niveau de réalité : il faut en saisir le "point" qui non seulement participe à sa construction mais de fait, la contient "toute entièrement"...Dit autrement, toute complexité se relie in fine dans un ou des niveaux de réalité divers à une singularité; tout ensemble de relations dans un réseau se saisit par une information nodale qui relie, contient et définit tout à la fois...


N'aurions nous pas, cependant,  omis, ici, de parler d'intention et de motivation, d'affect et d'amour ? Non, car l'amour comme ouverture indéfectible est implicitement présent. Oui, en effet, car il ne semble pas relié...encore.

lundi 28 juin 2010

Bardo : Au delà de la folie : la logique du contradictoire.

Dans Bardo Thödol : un renversement, nous avons éclairé comment Chögyam Trungpa a renversé la compréhension habituelle de cet ouvrage emblématique du bouddhisme tibétain pour l'occident, où ce maître a séjourné et travaillé.

Pour aller plus loin que l'exégèse de Fabrice Midal, nous avons lu les transcriptions de 2 séminaires réalisée aux USA par Chögyam Trungpa (CT) en 1971 et reliés dans son livre déjà cité : "Bardo : Au delà de la folie", paru en France en 1995 (traduction de "Transcending Madness" paru en 1992).
Cet ouvrage permet de lier les deux éclairages complémentaires (au sens de Bohr et Lupasco) sur le bardo : d'abord chaque monde traditionnel (au nombre de 6 : dieux, dieux jaloux, êtres humains, animaux, fantômes affamés et êtres infernaux) est associé à un état de bardo caractéristique, cet état étant perçu comme un point culminant de l'expérience de chaque monde; ensuite chaque monde renferme le cycle complet des 6 bardos (les modes d'être du bardo), qui lui sert de moyen de renforcer et de soutenir son pouvoir. [sur l'être].
Ainsi, le bardo, décrit comme l'expérience d'une zone mal définie, est à la fois relié à son contexte ("à l'espace" dit souvent CT) dans lequel il se déroule et est à la fois l'expérience intensifiée de chacun des mondes, qui lui fournit une "signature" en quelque sorte.
Vu selon le modèle physique newtonien, le "monde" serait l'espace dans lequel le bardo se déroule, le "monde" est le contexte de l'expérience vécue.
Vu selon le modèle physique relativiste et quantique (voir article 1 et article 2), le monde et le bardo sont en interrelation "étroite" (intriquée), l'un et l'autre "fournissant" le contexte non séparé de l'expérience.
Vu selon la logique lupascienne (voir les articles correspondant sur ce blog), la logique de l'inclusion, les 6 mondes sont antagonistes et contradictoires aux 6 mode d'être du bardo (eux mêmes antagonistes et contradictoires), les 6 états de bardo sont le "tiers inclus" des 6 mondes et des 6 modes d'être du bardo. Nous voyons bien ici que le bardo est deux "choses" "à la fois", comme la lumière peut-être vue "à la fois" comme une particule et une onde : en fait, la lumière est selon la logique lupascienne qui est celle de la métaphysique de la physique quantique, à la fois particule, onde,  et ni-particule et/ou ni-onde...

Si C. Trungpa ne se réclamait pourtant ni de Bohr ni de Lupasco, cette dernière interprétation a pourtant le mérite d'être synthétique et de dégager une triade {monde, mode d'être du bardo, état de bardo} qui s'exprime (s'actualise et se potentialise) selon 6 possibilités (6 "colorations") : les 6 permutations-polarités possibles de la triade. [ En mathématique non commutative, le triplet (a,b,c) "engendre" les 6 couples différents ab, ba, ac, ca, bc et cb.] Dans la tradition bouddhiste tibétaine, ces 6 possibilités sont liés à 6 moments de forte intensité émotionnelle : colère, avidité, ignorance, désir, envie et orgueil. Ces 6 moments d'intense émotion aboutissent aux 6 mondes traditionnels. Liés intimement à ces 6 mondes (comme nous venons de le voir), il y a l'expérience du bardo qui se colore selon 6 tonalités différentes mais vues selon deux "angles" complémentaires.
Au total, nous avons les 6 triades exprimées par CT comme suit :
{monde des dieux ; bardo de la méditation/claire lumière ; état d'éternité/vide}
{monde des dieux jaloux ; bardo de la naissance ; état de vitesse/immobilité }
{monde des humains ; bardo du corps illusoire ; état du réel/irréel }
{mondes des animaux ; bardo du rêve ; état endormi/éveillé }
{monde des fantômes affamés ; bardo de l'existence/devenir ; état du saisir/lâcher prise }
{monde infernal ; bardo de la mort ; état de douleur/plaisir et détruire/créer }

Cet ordre d'écriture des triades n'est pas donné par "hasard" même si il faut comprendre que les mondes comme les bardos forment un enchaînement ou un cycle (ainsi le monde des dieux ou le bardo de la méditation ne sont pas en  n°1 dans le cycle, il existe une symétrie a priori non brisée) et il est important de constater et de comprendre le dynamisme de chaque "terme" (monde ou bardo) qui contient non contradictoirement son antagoniste. L'essentiel est de saisir ces dynamismes entre les polarités réductrices qui "solidifient" le monde/l'expérience. Les triades écrites plus haut représentent ces "solidifications", les "expressions ultimes du piège que constituent ces mondes" selon CT, chaque expression offrant "une possibilité d'éveil ou de confusion totale, la santé mentale ou la folie". Mais, comprenons bien, ce ne sont pas deux extrêmes exclus l'un de l'autre mais bien, inclus l'un dans l'autre et vice versa. C'est bien pourquoi l'éveil du bouddhiste n'est pas la béatitude que l'occidental veut parfois y voir seulement.

Bien, mais qu'est-ce que le bardo, au juste ? "Bar signifie "entre" (...) "zone mal définie" et do c'est comme une tour ou une île dans cette zone, ce no man's land. C'est un peu comme une rivière qui n'appartient à aucune rive, mais il y a une petite île au milieu, entre les deux. .../...Bar [c'est ] la situation occupant le milieu, entre deux extrêmes. Quant à do, (...) c'est une île (...) éloignée qui sort de nulle part, mais qui est pourtant entourée d'un océan, d'un désert, ou de quelque chose d'autre. Le bardo, c'est donc ce qui ressort comme une île, dans les situations de la vie, ce qui est entre deux expériences. (...) C'est cette sorte d'incertitude entre deux situations."
Chögyam Trungpa donne ici les deux vues complémentaires et subtiles du bardo : à la fois rivière entre deux rives, rivière n'appartenant ni à l'une ni à l'autre et île au milieu de cette rivière, point culminant de ce no man's land. Dans les nombreux exemples, représentations, que le maître donne à ses étudiants du bardo, nous retrouvons toujours les deux vues liées et contradictoires et finalement les analogues du tiers inclus de S. Lupasco (ni ceci, ni cela et ni pas ceci, ni pas cela) : "L'expérience du bardo offre un moyen d'une très grande puissance pour résoudre le problème des extrêmes. Il ne s'agit pas de se déclarer pour ou contre, mais de tenter de faire ressortir les deux extrêmes simultanément."
Le paradoxe relevé dans ces descriptions, heurtant la logique dominante occidentale de l'exclusion, freinant vraisemblablement la diffusion et la compréhension de ces principes bouddhistes en occident, tient, de notre point de vue, entièrement et essentiellement dans le référentiel choisi pour donner sens à ces notions. Immerger ces concepts au sein de la logique de l'inclusion, le principe du contradictoire par exemple de S. Lupasco, permet enfin de leur fournir toute la puissance éclairante nécessaire à leur subtilité. Or, saisir l'expérience du bardo, c'est selon CT, saisir la méditation qui elle même éclaire entièrement ce fameux rapport de présence au monde que nous avons illustré dans "La déité : une relation au non-ego". Et se saisir de ce rapport de présence, c'est se saisir de l'enjeu du bouddhisme nous a rapporté Fabrice Midal.

Ainsi, il est plus clair avec cette vue que l'état de bardo est toujours décrit avec un couple de contradictoires (voir les triades plus haut) : vitesse/immobilité par exemple. Cet état est alors parfaitement isomorphe au tiers inclus lupascien.
Ainsi, il est plus clair que le mode d'être du bardo (naissance, par exemple) est antagoniste du monde qu'il colore (dieux jaloux, ici) : inclus dedans (comme une potentialisation) et exclus à l'extérieur (comme une actualisation). Le bardo sert à la fois à entrer dans le monde et à en sortir, il peut solidifier l'expérience d'un monde particulier et aussi aider à le laisser impermanent. Il y a là exactement le même jeu dialectique que dans le principe du contradictoire lupascien : lorsqu'un monde s'actualise, le bardo associé se potentialise; lorsqu'un monde se potentialise, le bardo associé s'actualise; il arrive aussi un état d'exact potentialisation et d'actualisation (ou ni actualisation et ni potentialisation) du monde et du bardo : c'est l'état du bardo associé totalement contradictoire et désigné comme tel.
Ainsi, il est plus clair que les triades désignées plus haut représentent des dynamismes lupasciens.

Comment ces dynamismes interagissent entre eux, comment les mondes et/ou les bardos que nous avons décris sont ils reliés ? Dans le chapitre "Etre : les six mondes", CT donne une clé liée au rapport de présence que l'être entretient avec son environnement : plus ce rapport de présence est fin, subtil, raffiné, plus l'état d'esprit "monte" dans le cycle depuis l'enfer jusqu'au monde des dieux; inversement, plus ce rapport de présence est épais, grossier et vulgaire, plus l'état d'esprit "descend" dans le cycle du monde des dieux jusqu'à celui des enfers...
Il y a aussi la caractéristique du rapport à l'égo, au soi : plus ce rapport est étroit et fixe, plus la conscience solidifie l'expérience, la situation vécue, le monde décrit comme polarité réductrice de la triade. Plus ce rapport est "souple", plus la conscience voit les dynamismes en jeu. Nous décrivons bien ici les états dynamiques et antagonistes du rapport de présence au monde que l'esprit/le corps entretiennent avec leur environnement : "ces mondes ont été décrits en tant que six types de conscience. (...) on pourrait presque parler d'inconscience au lieu de conscience. (...) C'est la raison pour laquelle on appelle ces niveaux [inconscients] loka, mot qui signifie "sphère" ou "monde. (...) Les six mondes sont donc l'espace fondamental à travers lequel opère toute l'expérience du bardo."
Traverser sans cesse ces six mondes, en fonction de ses "humeurs", de ses états émotionnels, dans un sens ou dans l'autre, c'est cela qui se nomme le samsara : le tourbillon. Nous traversons les six mondes par l'expérience du bardo qui permet, en quelque sorte, ce passage incessant. Mais grâce à la nature "duale" du bardo, ce dernier est aussi une porte d'entrée vers la "sortie" du cycle samsarique : il ne s'agit pas de fuir en courant, il s'agit de voir tous les aspects possibles de l'expérience au même niveau, toutes les "contradictions" en quelque sorte...
Expérimenter l'état contradictoire du bardo, c'est çà, "sortir" du cycle du samsara. Expérimenter l'état contradictoire du bardo, c'est çà, ressentir la santé mentale ou la folie : être sur ce "fil du rasoir" (selon une vue occidentale), être dans ce no man's land, cet espace de tous les possibles, où tout est (selon la vue du bouddhisme tibétain). Etre dans la confusion/claire lumière au même moment ? Non, pas tout à fait, la confusion permet de "bouger" dans le cycle, alors que la claire lumière permet aussi de comprendre ce mouvement...
Curieusement, cela ressemble ici à la conscience de conscience, contradictoire "absolument", liée à l'expérience du tiers inclus lupascien...
Mais cette conscience de conscience n'est pas "la conscience de soi" mais son antagoniste, cette relation au non-ego que nous avons déjà illustré avec la déité.
Mais il ne faut pas rester fixé sur cette relation au non-ego en tant que possible polarité réductrice, il faut s'en saisir et dé-saisir à la fois, en tant que dynamisme réunissant les deux polarités extrêmes.

Tout est là.

Nous reviendrons par la suite sur ce que nous apprennent chaque bardo séparément et ensemble : un éclairage original sur notre vie quotidienne...

dimanche 23 mai 2010

Relience III

Dans Relience II, nous constatons à la fois de grandes perturbations dans la logique explicitée des faits discutés et à la fois une grande sérénité lumineuse entraperçue sur le chemin à suivre désormais. Tout cela apparaît cependant bien mystérieux...

Dans Féminin/Masculin..., nous effleurons le concept du sexe et de sa dualité dans notre société par le prisme du médical, éclairé d'anthropologie. Nous proposons la lecture de cette dualité aussi ancienne que le monde comme un renversement et élaborons ainsi une triade lié au temps où tout réarrangement des deux principes, masculin et féminin, est finalement possible. Ce n'est qu'une étape...

Dans {Vie, Mort, Conscience}5è dimension , nous poursuivons notre quête sur le concept de la mort, qui nous renvoie in fine sur celui de la conscience et de la vie, en questionnant les expériences troublantes mais néanmoins significatives des EMI (NDE). Une interprétation pragmatique et physique nous envoie sur un univers à 5 dimensions où nous trouvons d'emblée de nombreuses résonances avec l'ensemble de nos préoccupations existentielles (explicitées en partie dans ce blog). Mais ce n'est aussi qu'une étape...

Dans Discontinuité et A-causalité, nous questionnons frontalement la rupture, ce qui nous amène à la mettre en relation avec une triade lupascienne que nous tentons provisoirement de coupler avec la causalité : tout ceci reste ouvert sur l'arbitraire de l'intention...

Dans Champ et Quantum : échanges autour d'un seuil : nous reprenons la métaphysique de la physique quantique pour explorer en détail les concepts de quantum et de champ, ce qui nous amène in fine à la triade de B. Nicolescu : ( énergie ; discontinuité ; seuil ). La vue sur le monde est locale mais reste inséparable de toutes les vues déjà réalisées, se réalisant et à réaliser, cette vue est essentiellement relationnelle et réciproque : c'est bien la vue qui "fait" le monde et le monde qui "définit" la vue.

Dans Le vide est plein, nous proposons une lecture "physique" d'un ancien concept dû sans doute à Anaximandre, l'apeiron, d'où tout arrive et où tout repart...

Dans Je suis né un jour bleu, nous relatons une lecture très résonante du premier livre d'un garçon très singulier, cette lecture nous amène à réfléchir à la "symptomatologie" du HPI et au fameux algorithme qui engendre l'hyper-structure dont nous avions parlé dans Le réveil de la source.

Dans Logique de l'Energie et Sens, nous revenons sur la logique du tiers inclus développé par Stéphane Lupasco, commentée par Basarab Nicolescu et Dominique Temple. Ce nouvel éclairage colore rétroactivement l'ensemble des articles déjà écrits, notamment ceux de Relience III, nous commençons à percevoir sérieusement que l'espace-temps dans lequel semble plongé notre écriture et nos pensées est très loin du cadre Newtonien commun. Cette logique de l'Energie renvoie à la triple dialectique de la matière : ce triplet qu'il est tentant de voir partout à l'œuvre dans toute dynamique mais qu'il est sage d'implémenter a postériori. Enfin, nous butons sur l'arbitraire du sens et de la motivation implicite de tout système formel, de toute logique...

Dans Autisme : Malvoyance de l'E-motion, nous revenons sur ces troubles autistiques avec une thèse fort originale de Bruno Gepner. Nous dégageons l'heuristique de ses travaux théoriques et cliniques tout en regrettant in fine une incomplétude conceptuelle et arbitraire : l'a-normalité n'est pas relativisée car la logique de travail reste celle, dominante, de l'exclusion.

Dans Bardo Thödol : un renversement !, nous présentons la pensée et la posture d'un homme, découvert il y a peu, qui amène lui aussi un éclairage décapant sur l'existence humaine. A la manière de Swami Prajanpad, il nous invite d'ailleurs à expérimenter notre vie plutôt que de la penser, à voir et connaître, vraiment. Fabrice Midal nous présente à cette occasion celui qui a été son maître tibétain : Chögyam Trungpa et nous reviendrons sur la pensée de cet homme si singulier. Nous ébauchons enfin une analogie entre la logique lupascienne et la posture bouddhiste.

A ce point, le mystère s'allège et nous comprenons enfin que les grandes perturbations ressenties plus tôt étaient dues à nos lunettes sur le monde, à la logique implicite de la métaphysique dans laquelle nous sommes immergés : l'exclusion ! La sérénité lumineuse entraperçue est à explorer ...Il est troublant a postériori de constater que cette fameuse "lumière", ce spectre de l'univers, était déjà là, au tout début de ce blog et ses portes ouvertes étaient nombreuses (cf Le temps de la lumière ...)...
Notre exploration est au moins spiralée...!

samedi 22 mai 2010

Théorie Quantique de la Psyché : une logique des 3 matières !

Nous avons déjà écrit sur François Martin de Volnay (FMV), physicien membre du LPTHE à Paris, notamment sur les théories qu'il a développées sur la psyché quantique. (voir le lien vers son site internet et les articles suivants : "Système Quantique et Frontières" et "Quand le futur détermine le passé").

Il est temps d'y revenir vraiment. Que nous propose donc ce chercheur ? Un modèle quantique de psyché. Or, nous avons pris connaissances de travaux philosophiques qui viennent appuyer et soutenir cette comparaison, voire cette analogie, voire cet isomorphisme, entre quantique et psychisme. Il est donc d'actualité de prendre connaissance d'une formalisation rigoureuse entre ces deux-là !

Les arguments qui motivent FMV sont rappelés dans cette conférence qu'il a accordé en 2009 (déjà cité) : la conscience "est au moins un système quantique" même si "il est probable qu’elle est plus que cela." Et "Il est clair que la conscience n’est pas un système classique". Les arguments "techniques" sont développés plus haut (§3.1 p.9), qu'on peut résumer par : "Il n’y a pas de séparation entre l’objet et le sujet qui observe l’objet." Ainsi, la conscience fait clairement partie de la physique quantique tout en ne se réduisant pas à celle-ci. FMV ne parle pas d'isomorphisme, il reste prudent et pragmatique.
Ensuite, le physicien avance le phénomène des synchronicités, premièrement décrits selon lui par Carl G. Jung et documentés dès son époque par la physique quantique grâce à ses travaux psychanalytiques avec Wolfgang Pauli. En fait, l'interprétation physique des synchronicités amène à s'interroger également sur la séparation entre objet/sujet et donc sur l'identité, cette fois, entre notre environnement et notre conscience : "Notre environnement serait ainsi identique à notre subjectivité, ou plutôt il serait une représentation de notre subjectivité. En allant plus loin nous pourrions dire qu’il “EST” notre subjectivité." Mais, nous l'avons vu, FMV ne souhaite pas aller plus loin et réduire de manière réciproque et identitaire le monde observé et l'observateur. Il souligne cependant que la synchronicité, paradoxale dans une interprétation "classique" de la réalité car a-causale, redevient tout à fait abordable dans une interprétation quantique de la réalité, c'est à dire, nous l'avons compris maintenant, dans une logique de l'inclusion et non de l'exclusion.
Enfin, FMV argumente sur le(s) processus de l'émergence de la conscience dont les mécanismes ne sont pas totalement éclaircies par la science et à la suite de nombreux auteurs physiciens ou mathématiciens, souhaite lui aussi participer à cette recherche d'une meilleure compréhension grâce aux outils issus de la physique quantique.
En gros, comme le chercheur le rappelle dans sa conclusion : "un certain nombre de phénomènes psychiques ne sont pas explicables dans le cadre de la mécanique dite “classique”." Aussi, il est pertinent de tenter de les expliquer dans le cadre de la mécanique quantique...

Quel cadre définit il pour son modèle ? FMV développe ce sujet dans son premier article de 2003 et le résume dans celui de 2007 : sa théorie s'intéresse aux états mentaux et non pas aux états physiques du cerveaux, dans un cadre dualiste entre esprit et matière. Ainsi, il ne se situe pas dans la lignée des théories quantiques des états physiques du cerveau comme celles de Beck et Eccles par exemple. En revanche, il revendique la succession des théories de Jung et Pauli sur ce sujet. Enfin, la dualité assumée permet au chercheur de pratiquer la science physique, même si son travail revendique une étude aux marges, aux limites des points de vues "classiques".
Très clairement, FMV pose sa posture en équilibre sur les 2 polarités existantes (dans la logique "classique" ou de l'exclusion) : ni matérialiste (la conscience provient exclusivement du fonctionnement organique du cerveau, elle reste un "objet" matérielle) ni "spiritualiste" ( la conscience provient d'un au-delà du corps et ne peut s'appréhender scientifiquement, elle est un "sujet" spirituel) : les états mentaux, représentés et formalisés par les outils de la mécanique quantique, ne sont donc pas réductibles aux états physiques, matériels, du cerveau mais leur sont corrélés. Son travail ne consistera pas à décrire proprement cette corrélation mais bien plutôt à postuler la représentation de la psyché et l'explication de ses concepts , par analogie avec la description de la matière microphysique. FMV s'empare ainsi de la réflexion de Stanley Klein (professeur en neurosciences) sur le lien étroit qui existe entre l'observateur de la mécanique quantique (problème de la mesure) et la conscience subjective de l'observateur (problème des qualia ?) en postulant comme lui la coupure sujet/objet entre la conscience d'une part (:=: sujet) et l'inconscience d'autre part (:=: objet) (étant entendu que la "coupure" est toujours déplaçable...).

Quels développements propose FMV ? Il propose essentiellement une analogie, pour ne pas dire plus, entre matière microphysique et "matière" psychique (pour reprendre les termes lupasciens).
Ainsi, "le psychisme humain est une excitation particulière d’un champ psychique de nature quantique sous-jacent et universel" comme un électron par exemple est une excitation possible, un quantum, du champ quantique correspondant. Ensuite, "Le psychisme humain aurait ainsi une représentation analogue à un système quantique, avec des états virtuels et des états physiques qui correspondraient respectivement à la potentialité et à l’actualisation de l’esprit humain." Cette représentation se fait sous forme d'opérateurs, vecteurs d'états psychiques au sein d'un espace psychique des possibles. L'état psychique d'une personne est comme la superposition d'idées différentes ou d'états psychiques indépendants entre eux. Puis, chez l'humain au moins, intervient non seulement la conscience mais également la conscience de soi : ces deux états sont dialectiquement antagonistes et leur tension continue ("leurs transitions") "constitue(nt) l’essentiel du dynamisme de la psyché humaine" selon FMV.

A ce point là, nous pensons à la logique du tiers inclus : "Dans des circonstances normales une personne se situe “entre” les deux pôles dialectiquement opposés de la conscience et de la conscience de soi-même." Mais S. Lupasco décrit la conscience de soi plutôt comme le tiers inclus d'un couple d'antagonistes : le réel connu actualisé et la conscience connaissante potentialisée. Ainsi, nous pouvons interpréter les développements de FMV selon cet axe : c'est bien la tension continue entre l'actualisé et le potentialisé, entre les états physiques et les états virtuels du psychisme qui constitue son dynamisme. Or, dans cette continuité (constituée de discontinuités : les états potentiels de la (conscience + inconscience)), il existe un état dialectiquement opposé aux deux précédents : c'est la conscience de la (conscience + inconscience), mi-potentialisé et mi-actualisé. C'est la raison pour laquelle la conscience de soi peut à la fois sélectionner un état virtuel (une pensée potentielle) sans l'actualiser et à la fois, en tant que libre arbitre, sélectionner un état virtuel en l'actualisant en état physique, réel (au sens mesurable). Il me semble aujourd'hui que sans cet éclairage lupascien, les développements de FMV (§4 et §5, 2003) peuvent apparaître comme confus, or, avec cet éclairage, les divers concepts mis en œuvre trouvent leur place et leur dynamique. Ainsi, au sein de la triade définie plus haut, nous trouvons bien que la coupure est déplaçable le long des transitions continues du psychisme, mais sans jamais se réduire à l'un des trois antagonistes en présence : la dualité n'est pas inconsistante comme le souligne FMV, à cause justement de cette triple dialectique ! N'oublions pas, comme nous l'avons vu avec B. Nicolescu, que la triade lupascienne se comprend plus aisément couplée avec le concept de "niveau de réalité", ce que sous entend FMV lorsqu'il écrit que seul l'état actualisé, mesuré, s'inscrit dans l'espace-temps, les états virtuels, potentiels, antagonistes, ne le sont pas donc appartiennent bien à un autre niveau de réalité que celui décrit implicitement par ce concept "d'espace-temps".

Munie de la coloration lupascienne, la théorie quantique de la psyché humaine de FMV, permet d'expliciter plus simplement une boîte à outils conceptuels (actuel, potentiel, virtuel, physique, libre arbitre, décohérence etc..) et par retour fournit à la logique des 3 matières, un puissant outil prédictif qui doit permettre de démontrer plus que l'analogie entre matière psychique et matière microphysique.

...à suivre...

mercredi 19 mai 2010

Espace-Temps Quantique et Logique de l'Inclusion

Dans Espace-Temps Quantique : la fin du Champ ?, nous posions une question provocatrice et dont la réponse n'a rien de simple.

Reprenons certains éléments : notre vue dominante encore actuellement sur l'espace-temps date de Isaac Newton et de ses Principia Mathematica dans lequel ce savant pose un espace et un temps absolus. L'Espace et le Temps définissent alors un cadre physique rigide à l'intérieur duquel sont en mouvement des "objets". La reformulation de la loi universelle de gravitation de Newton, issue des lois de Kepler, explicite donc les mouvements des astres à l'intérieur de ce cadre rigide. Gravitation et Espace-Temps sont bien séparés.

Les travaux de Michael Faraday et plus tard ceux de James Maxwell ont notamment permis de conceptualiser la notion de Champ en physique, en l'espèce le champ électrostatique, unifié par la suite en champ électromagnétique. Enfin, par la suite, jusqu'au XXè siècle, le champ s'est généralisé comme un outil opératoire très puissant et pertinent, mais finalement toujours indépendamment du cadre dans lequel il était donc censé s'exercer ! Champ(s) et Espace-temps sont donc bien séparés.

Albert Einstein, avec la relativité générale, établit très clairement au début du XXè siècle, que Champ (gravitationnel), Gravitation et Espace-temps sont non seulement liés mais équivalents : cette "identité" fait voler en éclats le cadre rigide dans lequel était enfermé le dernier terme. L'espace-temps est le champ gravitationnel et réciproquement ! C'est assez inimaginable...et pourtant.

Or, et c'est là qu'arrive l'inimaginable plutôt, l'ensemble des travaux sur les champs, c'est à dire soyons clairs sur les forces/interactions entre objets de la physique dite (aujourd'hui) "classique" débouche sur une dualité bien paradoxale et encombrante. La "lumière" (généralisée au sens électromagnétique et non plus seulement "visible") symbolise ce paradoxe : sa nature est duale : onde et/ou particule selon les expériences, donc selon l'observateur. Et puis voilà aussi qu'elle devient discontinue, constituée de quanta. Les mêmes conclusions s'imposent au même moment (ou presque) sur la matière (microphysique): nature duale et discontinue !
Le champ de Faraday (ses fameuses "lignes") devient ainsi, tout au long du XXè siècle, quantique et de nature duale. Mais le champ quantique du XXè siècle (en l'espèce les 3 champs fondamentaux hors la gravitation) restera désespérément séparé de l'Espace-temps donc de la Gravitation ! Leur couplage mathématique n'est qu'un "bricolage"...

Où se trouve alors la clé du problème : dans les calculs très compliqués qui s'offrent aux physiciens ou bien dans les principes "philosophiques" en amont de ces calculs ? Restons humbles : dans les deux ! Pour avancer, il faut évidemment, pendant un "temps", sortir des équations et réfléchir, prendre conscience de la science qui se fait, de son ontologie, qu'il n'est pas possible de séparer de ce qu'elle est, à une époque donnée. De très nombreux scientifiques se sont penchés sur ces questions d'épistémologie, de très nombreux philosophes des sciences, aussi. Il me semble, à la lecture de certains d'entre eux, que le mot qui nous empêche de voir est : séparation, c'est aussi ce mot qui apparaît depuis le début de cet article.

La séparation, c'est la volonté de réduire la réalité à une de ses propriétés en quelque sorte, c'est l'exclusion, c'est l'identification à la binarité, c'est la logique et la dialectique de l'exclusion.
Or, la séparation n'est pas une téléologie mais bien une ontologie.
Or, la séparation amène irréductiblement à la réunion.

Par exemple, la relativité générale n'est pas une révolution en soi, n'est pas une séparation de plus. Albert Einstein a su relier ensemble des lois issues des travaux de ses prédécesseurs, au fil des siècles, il a "simplement" réuni différemment et vu autrement l'ensemble de ces travaux, réflexions comme équations. La "révolution" ne consistant pas à détruire et à reconstruire un ensemble "ex nihilo" mais bien plutôt à relier et à regarder différemment l'ensemble des faits et des modèles déjà construits par le passé. Car, en ce qui concerne les notions d'espace et de temps, les idées sont là depuis de nombreux siècles, comme nous le rappelle Carlo Rovelli dans son interview sur Arte.

Notre véritable "travail" en tant que citoyen du monde n'est donc pas de changer brutalement de lunettes et d'en chausser de nouvelles pour voir le monde différemment. Il réside essentiellement à se demander pourquoi nos lunettes nous font voir floues certaines parties du monde, pourquoi certains faits ou certains évènements qui nous arrivent résistent à notre compréhension et bien souvent nous font souffrir d'ailleurs. Ce sont ces "parties floues" ou ces résistances qui doivent nous inciter alors à nous demander si effectivement nos lunettes nous sont bien adaptées. Pour voir, il faut comprendre (cf "l'Ombre du savoir") et pour prendre avec soi, il ne faut pas séparer ni exclure, il faut au contraire être ce que l'on prend, ne faire qu'un, au moins temporairement. Dit autrement, lorsque le citoyen du monde s'engage sur le chemin de l'unité (cf "Voir et Connaitre"), il devient ce chemin, ce chemin ouvert sur le doute et l'incertitude, ce chemin qui tout en reliant tous les chemins déjà parcourus, reste à chaque décision, à inventer...

Ainsi, pour revenir sur la question initiale de l'article, (!), trouver un modèle mathématique et physique d'Espace-Temps Quantique ne détruit pas le concept du Champ : il l'étend. Et la théorie de la gravitation quantique à boucles n'est pas une ultime théorie liée à la logique de l'exclusion mais bien un travail courageux, imprégné de philosophie, de questionnements, sur une logique de l'inclusion : celle qui est issue de la logique, de la tension des antagonistes. "L'espace-temps quantique est celui de la troisième matière, des phénomènes quantiques, esthétiques et psychiques" a écrit Stéphane Lupasco (cité par B. Nicolescu, déjà cité dans "Logique de l'Energie et Sens").

lundi 19 avril 2010

Bardo Thödol, un renversement !

J'ai croisé Fabrice Midal par l'Inrees, un beau jour de décembre 2009. Il participait à une conférence sur le Bardo Thödol, ce fameux et énigmatique "livre des morts tibétains". J'ai bien dû écouter plusieurs fois, par morceaux, cette conférence de 2h, tant les paroles de Fabrice Midal m'ont interpellé. Cela a été le début d'une très riche investigation...

Fabrice Midal est philosophe et cet homme a cherché longtemps une autre voie au rabâchage incessant de concepts vides et creux. Un professeur de philosophie lui a d'abord transmis ce souffle si singulier de l'apprentissage de soi et du monde : François Fédier. Il a aussi trouvé en Chögyam Trungpa, un "maître" tibétain du XXè siècle, une parole libre et vivante et une incandescence de la spiritualité, qu'il tâche de transmettre, aujourd'hui, au sein de son association Prajna & Philia : Poésie, Philosophie et Méditation...

Ecouter Fabrice Midal est pour moi un enchantement, un décapage, une déconstruction et un apaisement : ses mots sont choisis, précis et justes.
Sur le Bardo Thödol, j'avais peu ou prou une idée générale qu'on peut éclairer par cet article.
Fabrice Midal m'a beaucoup surpris lorsqu'il me fait comprendre que ce fameux livre ne parle pas seulement de la "mort" mais bien plutôt des passages, des brèches, des bardos que, tous, nous rencontrons dans notre vie quotidienne et qui, sûrement, nous désarçonnent de nos habitudes, de nos certitudes, nous décentrent de notre ego centralisateur et trompeur.
J'ai déjà évoqué l'enseignement de Swami Prajnanpad (Voir et Connaitre) et sa dialectique de brahmane hindou intégrant tradition indienne, science physique et psychanalyse : son apport est nécessaire à la compréhension des implicites bouddhiques et tantriques contenus dans le Bardo Thödol. Nous y retrouvons les mêmes éclairages sur l'action du "mental" qui crée un "masque" sur la réalité et qui nous empêche de voir vraiment et de connaître. Et si ces bardos étaient des portes ouvertes sur ce qui est ?

Afin d'éclaircir d'abord les concepts ardus pour un occidental contenus dans le Bardo Thödol, j'ai lu ensuite le roman de Bruno Portier : "Bardo, le passage", qui explicite à travers une histoire moderne, la tradition liée à "la grande libération par l'écoute dans les états intermédiaires". Cet ouvrage a le mérite de nous livrer une version tout à fait "digestible" pour un Français mais il lui manque certainement l'éclairage plus profond, plus précis et plus provocateur en quelque sorte que Chögyam Trungpa a apporté à Fabrice Midal et que ce dernier nous a restitué lors de cette fameuse conférence du 17 décembre 2009.

Qu'a donc apporté Chögyam Trungpa à l'interprétation de ce livre dense et traditionnel ? Tout simplement un renversement !
Dans deux ouvrages (Fremantle et Trungpa, Le Livre des Morts Tibétain, Le courrier du Livre, 1979 et Chögyam Trungpa, Bardo. Au-delà de la folie, Seuil, 1995), Chögyam Trungpa propose en fait une description du "Livre Tibétain de la Naissance", tant, pour lui, il est nécessaire d'expliciter que l'état intermédiaire, le bardo, est un inter-monde, un état littéralement et historiquement "entre" le(s) "existence(s)" (antarabhava en sanskrit, bardo en tibétain). Cet état intermédiaire, Chögyam Trungpa ne le situe pas seulement entre deux "vies" dans le cycle du samsara, mais bien dans notre quotidien, "lorsque nous sommes pris par des moments d’incertitude où l’espace se déchire, s’ouvre et parfois nous effraie." nous rappelle Fabrice Midal. Là est l'enseignement essentiel du maître tibétain à l'occident, sur le Bardo Thödol.

Philippe Cornu (traducteur, tibétologue reconnu, auteur de nombreux ouvrages sur le bouddhisme) vient de terminer une dernière traduction du Bardo Thödol de Padmasambhava (Buchet-Castel, 2009) directement à partir des textes d'origine du courant nyingmapa. Nicolas d'Inca (psychologue clinicien qui travaille notamment avec Fabrice Midal au sein de Prajna & Philia) rapporte dans son blog un échange très intéressant avec cet enseignant bouddhiste. La tâche de Philippe Cornu était principalement, grâce à l'apport du tantrisme et du dzogchen, de replacer le livre dans son contexte historique et doctrinal. Dans un second article du blog, Philippe Cornu parle plus précisément de Chögyam Trungpa : "Quand Trungpa explique les six mondes ou scénarios d’existence, il montre que nous les avons dans notre vie." Cette interprétation n'est d'ailleurs pas totalement nouvelle.

La nécessité du bardo ou antarabhava apparaît lorsque la continuité doit être assurée entre deux "vies", lorsqu'un support, en quelque sorte, du "soi" doit être trouvé lorsque ce dernier ne semble plus vraiment "unifié" : entre la mort (d'une vie) et la conception (d'une autre vie). Cette nécessité est très ancienne dans le bouddhisme. Ainsi définit historiquement, le concept de bardo est renversé par Trungpa qui y voit finalement une sorte de discontinuité pour assurer in fine la continuité de la "vie" ou plutôt de la conscience/esprit. Discontinuité qui transparaît au sein de ce qu'on nomme communément la "vie" (l'existence) sous forme d'états de doute, de confusion, d'incertitude, et discontinuité où l'esprit a le choix entre "crispation et ouverture", entre conformisme/sécurité/obscurité/nécrose et lumière/inconfort/éveil/peur.
Ces discontinuités, nous les expérimentons tous dans notre vie sous forme de "vie/mort" symbolique ("symbolique" selon notre métaphysique cartésienne) en permanence, nous dit Fabrice Midal : le premier enseignement est de voir finalement que vie et mort sont inséparables et expérimentés, non pas une fois dans notre existence (selon le dogme catholique par exemple), mais à de multiples occasions au cours de l'existence. Nous pouvons même poursuivre en écrivant que notre existence n'est finalement qu'un ensemble de discontinuités où, à chaque fois, nous faisons un choix entre ouverture et crispation, entre ouverture-à-l'éveil et fermeture-à-l'éveil.
Le Bardo Thödol expose ainsi ce que vivent les êtres, l'esprit, lorsque ces choix adviennent, au moment des bardo. Ces bardo, ces états intermédiaires de l'esprit, sont résumés et identifiés, symbolisés, par 6 scénarios ou 6 mondes.

Ce déplacement, ce renversement, proposé par Chögyam Trungpa ne se situe pas dans une logique du tiers exclu, selon Philippe Cornu, mais bien du tiers inclus : "Ce que n’arrive pas à entendre l’Occident, c’est que l’un n’exclue pas l’autre. Ce n’est pas parce que ce sont des situations existentielles qui teintent notre vécu à chaque moment, que pour autant ces tonalités dominantes ne se manifestent pas réellement." Ainsi, replacer l'enseignement du Bardo Thödol dans le point de vue du dzogchen, c'est, au moins pour la pensée occidentale, expliciter la nature non duelle de la pratique du bouddhisme (ni samsara, ni nirvana mais co-émergence entre les deux) : ce replacement est exactement isomorphe à la logique Lupascienne du Tiers Inclus. (voir Tiers Inclus... et Logique de l'Energie..)
Ainsi, l'enseignement de Chögyam Trungpa n'est jamais à prendre de manière identitaire et dogmatique mais de manière littérale, en tant que "mouvement" transitoire, en tant que voie pour rétablir un équilibre/déséquilibre. Fabrice Midal, qui tient à transmettre cet engagement fidèlement, le décrit parfaitement en 4 points ici.
Philippe Cornu tient même à souligner que la psychologie occidentale, imprégnée de métaphysique cartésienne dualiste et binaire, n'a pas pu comprendre le Bardo Thödol, comme elle ne saisit pas au fond le bouddhisme, sa pratique et sa "logique" sous-jacente, essentiellement non-dualiste mais non contradictoire, à l'instar de la logique sous-tendant la mécanique quantique par exemple.

Que sont ces 6 scénarios possibles dont nous sommes à la fois auteur et acteur ? Olivier Piazza, sur son blog, les retranscrit fidèlement. Comment s'en saisir ? Pour Fabrice Midal, à la fois comme des colorations qui teintent quotidiennement notre existence vécue, comme des visions de déités qui sont manifestations de l'énergie qui se déploie, grossièrement comme des "émotions" en quelque sorte, et à la fois comme des choix de vie, des scénarios, des manifestations très prégnantes, dans lesquelles nous entrons ou ré-entrons après la mort/naissance, que nous conditionnons et qui nous conditionnent. Une fois de plus, la difficulté à saisir vient de notre "métaphysique" dominante qui exclue et qui n'inclue pas. La difficulté provient aussi de notre acception de l'esprit/conscience et de ses rapports avec le monde phénoménal et sensoriel.

Philippe Cornu comme Svami Prajnanpad viennent à notre aide sur ce point : l'esprit conditionné/conditionneur, le mental, crée l'égo et le monde extérieur (le soi/l'autre) en réponse à son incompréhension de la "réalité", à son ignorance : "Cet épiphénomène prend toute la place et masque le fait que sous cet esprit se trouve le non-duel, inconditionné, ouvert : la nature éveillée." rappelle Philippe Cornu. L'esprit/conscience conditionné/conditionneur semble s'approcher selon deux identités antagonistes : le conditionné, relié à nos sens, organise la cohérence de nos représentations du monde, il ne donne pas de valeur affective aux objets et phénomènes ainsi discriminés; le conditionneur, relié à nos passions, nos affects, nos émotions, colore et donne une valeur affective à nos représentations et aux phénomènes qui nous traversent; les deux antagonistes forment le couple conditionné/conditionneur qui, in fine, enferme l'esprit/conscience dans la permanence, la douleur et l'égo, dans la crispation. Ce couple ignore la nature non-duelle, lumineuse, "vide" (au sens de vacuité, donc isomorphe à "vide quantique") et connaissante de l'esprit/conscience. Philippe Cornu le déclare clairement :"l'esprit est une substance étendue et non une substance pensante. (...) C’est l’esprit vide et lumineux, c’est-à-dire connaissant ; non-dualiste, il n’entre pas dans la distinction entre sujet et objet."

Je suis très tenté, à ce point, d'inclure cette dernière dénomination/propriété de l'esprit/conscience au sein d'une tridialectique lupascienne : l'esprit/conscience, unitaire, possèderait ainsi trois orientations privilégiées et divergentes. Il est tentant alors d'explorer la "doctrine" du trikaya qui dans le bouddhisme vajrayana ou mahayana explicite trois plans de la réalité du Bouddha et de rapprocher ces deux courants de pensée. Cela nous emmènerait trop loin pour le moment, nous y reviendrons...

Comment se saisir de l'esprit/conscience vide, lumineux et connaissant ? Fabrice Midal, Philippe Cornu, Svami Prajnanpad insistent sur l'enseignement premier de Bouddha : expérimenter pour voir, écouter et connaitre ce qui est ! La méditation selon Philippe Cornu : "Dans la méditation, on va débrancher le mental passionné. En ralentissant l’esprit on peut analyser clairement ce que sont les phénomènes qui nous entourent dans la vision pénétrante. On ralentit le flot des pensées et on ouvre l’espace, ce qui fait le plus peur à l’ego. La méditation est si difficile, on rame et on lutte tant, car le mental passionné ne veut pas lâcher prise. On se focalise sur le contenu des émotions ou des pensées plutôt que les voir comme de simples mouvements dans l’esprit."

Ainsi, écouter l'enseignement contenu dans le Bardo Thödol doit permettre à l'esprit/conscience de se libérer des choix multiples et antagonistes s'offrant à lui pendant les états intermédiaires, les bardo, et accéder ainsi à son état "naturel" (de rigpa) : pur, lumineux et vide.
Ecouter, c'est aussi voir et agir, donner à l'autre.
Lors d'un deuil, Philippe Cornu souligne : "Cela permet de faire le deuil de manière exemplaire, car vous êtes en contact avec la personne, plutôt qu’avec votre chagrin et votre perte. Vous avez fait quelque chose pour l’autre sans vous apitoyer sur vous, cela change totalement la donne. Il n’y a plus la culpabilité d’être vivant, car on peut faire du bien à la personne, en pensant vraiment à elle. Il y a un processus thérapeutique, une forme de deuil actif."

Le Bardo Thödol contient au final une formidable aventure humaine, pragmatique et théorique, une formidable approche de l'existence "à partir de l'expérience la plus directe et la plus nue".

vendredi 2 avril 2010

Logique de l'Energie et Sens...

Dans Tiers inclus..., nous avons introduit la logique du tiers inclus de Stéphane Lupasco. Il faut y revenir en parlant cette fois-ci d'énergie et de matière. (ou d'énergie/matière puisqu'il y a correspondance entre eux depuis la relativité générale)

Dans cet entretien accordé en 1987, Stéphane Lupasco résume son approche de manière très claire.
Voyons çà.

Actualisation/Potentialisation, Hétérogène/Homogène et matière/énergie sont les trois doublets qui permettent de débuter. Il faut bien comprendre qu'un doublet ainsi défini est "irréductible" : dit autrement, chaque élément d'un doublet ne peut exister sans l'autre, sans son contradictoire. Ainsi, en première approche, le doublet défini est non-contradictoire.
L'articulation est la suivante :
Lorsque la matière/énergie actualise l'homogène et potentialise l'hétérogène, il advient la matière "inerte", macrophysique, nos "objets".
Lorsque la matière/énergie potentialise l'homogène et actualise l'hétérogène, il advient la matière "vitale", les êtres vivants.

Stéphane Lupasco se rend compte ensuite qu'il existe un état, un moment, où actualisation et potentialisation sont parfaitement symétriques, dit autrement, dans le doublet des antagonistes existe un état parfaitement contradictoire, l'état "mi-mi" en quelque sorte, parfaitement indéterminé. Cet état est nommé le tiers inclus et étend ainsi explicitement le doublet en triplet ou triade. Cet état explicité existait avant dans le doublet sous forme implicite, le rendre visible permet ainsi de donner toute la consistance à la logique ainsi conçue.
Lorsque la matière/énergie ni n'actualise l'homogène ni potentialise l'hétérogène ni potentialise l'homogène ni actualise l'hétérogène exactement, ou dit de façon plus condensée en tenant compte de la propriété du doublet contradictoire : ni actualise/potentialise l'hétérogène/homogène, ce qui est exactement équivalent aux trois autres permutations existantes *, alors il advient la matière "microphysique" ou/et psychique.

(* ni actualise/potentialise l'homogène/hétérogène <=> ni potentialise/actualise l'hétérogène/homogène <=> ni potentialise/actualise l'homogène/hétérogène <=> ni {actualise, potentialise} le {homogène, hétérogène}, cette dernière notation personnelle "contenant" les 4 permutations ou états possibles et servant aussi à écrire un triplet lupascien)

Ainsi l'énergie/matière fait advenir trois matières, chacune ensemble en même temps au même endroit.
La troisième matière, révélée par la physique quantique, caractérise aussi, d'une façon intuitive pour Stéphane Lupasco, le psychisme du vivant animal (y compris l'humain). Identification par réflexivité : je m'analyse quand je pense, ma conscience de moi me permet d'identifier simplement ce "tiers inclus" à la "structure" de ma pensée. Il est très frappant alors en lisant Lupasco de trouver les mêmes arguments "évidents" dont se sert par exemple François Martin de Volnay pour étudier le psychisme avec des outils de la mécanique quantique et pourtant ce dernier ne se réclame absolument pas de la logique Lupascienne !

Stéphane Lupasco identifie la troisième matière au psychisme du vivant ainsi qu'à celle, microphysique, régie par les lois quantiques; en revanche, il ne donne pas ici clairement les raisons de l'identification formelle du psychique et du "microphysique".
Levons ce paradoxe ou ce malentendu.

Pour Dominique Temple, qui a intégré les concepts lupasciens à sa propre œuvre philosophique, "Lupasco souligne une analogie de structure entre les états coexistants de la physique quantique et la conscience humaine. S'il n'est pas possible de connaître les états coexistants de degré de vérité zéro, il n'est pas impossible qu'ils ne se connaissent eux-mêmes, qu'ils ne soient consciences de consciences. Telle était déjà l'intuition de la noosphère de Teilhard de Chardin et de son évolution continue de l' alfa à l'oméga . " (ref) Ainsi, D. Temple reste prudent et parle d'analogie et non d'identification tout en faisant remarquer qu'il est possible d'envisager cette dernière mais que la preuve est certainement hors champ scientifique et de l'ordre de la révélation.

Lothar Schäfer (qui ne référence pas Lupasco dans son travail), nous l'avons déjà vu ici, ne dit pas autre chose : "Les états virtuels peuvent être décrits comme des Entités Parménidiennes (...) On peut considérer les états cosmiques virtuels comme des idées platoniciennes (...) Face à de tels phénomènes, nous pouvons dire que les particules élémentaires ont des propriétés rudimentaires de conscience. (...) La conclusion en est ici inévitable : la nature du fond de la réalité est semblable à celle d'un esprit. (...) ", cependant il manque à cet auteur l'explicitation du Tiers Inclus et il décrit plus les natures de la Potentialisation et de l'Actualisation.
En convoquant les philosophies Idéalistes allemandes, il fait bien référence à une trinité ("le contraste entre la thèse (l'ego) et l'antithèse (le non-ego) se résout dans la perception de leur unité dans un ego absolu. (Hirschberger, 1981, p.368)") mais cette confrontation avec le contradictoire absolu ou irréductible : "Les états quantiques virtuels représentent un ordre qui est à la fois immanent (les états quantiques sont dans les choses) et transcendant" ne semble bien déboucher pour lui que sur une interrogation du divin : "On arrive ainsi à se demander pourquoi on ne peut penser ensemble la réalité
immanente-et-transcendante et au-delà-de-ce-monde-et-dans-le-monde, qui est Dieu, avec la réalité
immanente-et-transcendante et au-delà-de-ce-monde-et-dans-le-monde qui est la réalité quantique ?"

Basarab Nicolescu est aussi nuancé que le philosophe Dominique Temple en écrivant ici : "En effet, pour Lupasco il doit y avoir isomorphisme (et non pas identité) entre le monde microphysique et le monde psychique. (...) Le monde quantique et le monde psychique sont deux manifestations différentes d'un seul et même dynamisme tridialectique. Leur isomorphisme est engendré par la présence continuelle, irréductible de l'état T dans toute manifestation."

Le malentendu lupascien provient en fait d'une subtilité évidente mais mal comprise : la potentialisation est pour lui clairement une conscience "élémentaire" de l'actualisation, mais ce n'est pas la conscience de la conscience, ou "conscience de soi" pour le vivant. Dominique Temple est très clair là dessus : "Le principe d'antagonisme conduit ainsi à la reconnaissance d'une entité sans matière ni énergie, aussi réelle que la réalité, une matière-énergie, qui est à la fois une conscience de conscience. Lupasco l'appelle l'énergie psychique. (...) L'énergie psychique a bien une spécificité comme conscience de soi, révélation transparente d'elle-même, dénuée de toute connaissance autre que la sensation de sa liberté propre, mais cette dynamique n'en est pas moins relié aux pôles du contradictoire par tous les degrés de vérité de Weizsäcker, de sorte qu' entre la conscience de soi et les consciences élémentaires peuvent apparaître toutes les consciences de consciences que nous appellerons consciences objectives." et en note ce commentaire limpide : "Le principe d'antagonisme implique que l'actualisation de l'énergie et de la matière ne peuvent atteindre une non-contradiction absolue. Dans toute matière ou énergie il demeure donc du contradictoire qui la relie à l'énergie psychique, mais réciproquement, le contradictoire ne peut s'affranchir des dynamismes qui lui donnent naissance par leur confrontation. Il n'y a pas d'esprit sans matière et sans énergie."
Cette dernière phrase peut s'écrire symétriquement : " il n'y a pas de matière sans énergie et sans esprit" ou "il n'y a pas d'énergie sans matière et sans esprit", les trois possibilités sont équivalentes, au moins d'un point de vue logique.

Pour Stéphane Lupasco, il n'y a plus identité absolue, mais seulement isomorphisme, car sa logique du tiers inclus explicite proprement chaque dynamisme dans une triade où aucun des trois éléments inclus ne peut s'expliciter sans les deux autres.

Il est frappant ici de constater d'ailleurs l'analogie (ou l'isomorphisme !) entre cette triade conceptuelle et le triplet de quarks de la chromodynamique quantique. (nous y reviendrons...) De telles analogies existent dans d'autres domaines, par exemple, les divers "courants" de spiritualité comme ceux de la religion en sont riches !

Ainsi, les trois matières/énergies définies plus haut le sont irréductiblement en référence à elles mêmes. L'identité propre à chacune est seulement vue désormais comme une limite "idéale" ou "matérialiste" mais sans consistance. Seule la triade lupascienne inclusive est consistante. Mais que définit elle exactement ?

B. Nicolescu le rappelle clairement : "La structure ternaire de systématisations énergétiques se traduit, (...), par la structuration de trois types de matières, ou plutôt par l'existence de trois orientations privilégiées d'une seule et même matière.(...) ses trois aspects constituent... trois orientations divergentes (...) La conclusion que toute manifestation, tout système comporte un triple aspect - macrophysique, biologique et quantique (microphysique ou psychique) - est certes étonnante et riche de multiples conséquences."

Ainsi, la triade est unitaire et définit en quelque sorte une nouvelle vue du "point", de l'unité. C'est une vue du point beaucoup plus riche et complète que le simple "point-identité". Pour les mathématiques, la triade lupascienne est analogue au triplet spectral utilisé par Alain Connes en géométrie non commutative : une "redéfinition" du "point" de l'espace "généralisé" en quelque sorte.

Et cette triade est "ouverte" c'est à dire que bien que complète, elle est irréductiblement liée à toutes les triades possibles de l'univers. "La tridialectique lupascienne est une vision de l'unité du monde, de sa non-séparabilité" écrit Nicolescu. Elle aboutit aussi à l'idée qu'il n'y a pas de constituant ultime, pas de brique élémentaire, que "tout système est toujours système de système". Le tiers inclus est ainsi l'élément logique irréductible qui ouvre irrémédiablement la systémogénèse lupascienne.

Ces propriétés de la logique de l'énergie ont des conséquences sur l'espace-temps, ce que les physiciens cherchent "désespérément" à démontrer depuis presque un siècle (la fameuse théorie unificatrice ou bien la théorie de la gravité quantique), c'est à dire une quantification aussi bien de l'espace que du temps : "Le temps évolue par saccades, par bonds, par avances et reculs... " nous dit Lupasco. "L'espace-temps quantique est celui de la troisième matière, des phénomènes quantiques, esthétiques et psychiques". (il faudra revenir sur cette notion d'esthétisme pour Lupasco...)

La logique de l'énergie vue selon la logique du contradictoire, l'ontologique de S. Lupasco, laisse cependant un concept en dehors : l'affectivité. Le philosophe l'a toujours dit et écrit clairement : l'affectivité n'est pas de l'énergie. L'affectivité n'est pas logique mais alogique. Elle est. Comme l'être, elle est, mais sans rapport avec l'énergie donc avec le "reste".
Dominique Temple écrit : "l'affectivité se traduit comme un en-soi absolu.(...)A cause de ce caractère absolu, Lupasco situait l'affectivité hors de la conscience de conscience, et n'acceptait pas l'idée que l'illumination de la conscience puisse se fondre en une pure affectivité, le passage lui paraissant impliquer une solution de continuité irréductible entre deux natures."
Pour Lupasco, l'affectivité , c'est à dire en quelque sorte le "sens" que l'humain lui donne et donne à l'univers n'est absolument pas du domaine de la science et de la logique. Dominique Temple, également, ne dit pas autre chose (voir plus haut). Stéphane Lupasco a construit une logique de l'énergie, cette dernière existe, mais il lui est impossible scientifiquement et logiquement de trouver le "sens" de cette énergie.

L'affectivité est un arbitraire, dont on ne pourrait rien dire en rapport avec les tri-composantes de l'énergie/matière.
Il y a là manifestement une discontinuité éminemment singulière !
J'ai déjà écrit mon avis sur la question dans Discontinuité... Je ne peux concevoir, aujourd'hui, qu'une discontinuité aussi "fondatrice" que l'affectivité pour la subjectivité ne puisse se relier à rien d'autre qu'au "néant". Car Lupasco oublie que si d'une "entité", d'une "chose", il est impossible d'y relier un signe intelligible quelconque (par une intelligence quelconque), cela signifie selon lui, soit qu'elle est "néant" ou "tout" ou le contradictoire irréductible et non pas seulement un des termes ici écrit !

Mais je crois personnellement que Stéphane Lupasco par son intelligence savait parfaitement ce qu'il ne voulait pas questionner, avec cette question sur l'affectivité : l'arbitraire du sens !

jeudi 11 mars 2010

Discontinuité et A-causalité ?

Discontinuité.

C'est un mot qui paraît simple. Le contraire de continuité. C'est un mot difficile pourtant à appréhender. Je crains en effet qu'il ne s'approche que par son ombre, par ce qu'il n'est pas, par ce qu'il ne contient pas, par ce qu'il ne définit pas.
Essayons.
Il vient le mot "saut". Lorsque cela est discontinu, cela "saute". Un exemple en mathématiques : la fonction partie entière sur R qui associe à chaque réel l'entier correspondant (à sa partie entière!). Cette fonction est discontinue et elle fait des "sauts". Une visualisation de cette fonction ici.

Pour imaginer ce que cela veut dire, imaginons être le résultat d'une telle fonction. A un moment, nous sommes en un endroit, le moment d'après, nous sommes en un autre. Entre les deux, il n'y a rien. Mais vraiment rien. Le problème principal avec le "rien" c'est qu'il est très difficile de le saisir puisque justement, il est par définition insaisissable. Vous êtes la fonction partie entière, vous êtes en 2, vous avancez tranquillement, et puis d'un coup vous êtes en 3. Vous recommencez plus doucement, vous revenez en 2, vous restez très attentif à ce que vous ressentez, vous avancez très doucement et puis d'un coup vous êtes en 3. Vous n'avez toujours rien vu et rien compris. Vous ne pouvez pas prendre avec vous le rien. Pour le saisir, il faut prendre du recul et faire des mesures. En mesurant, vous vérifiez qu'effectivement votre mouvement est fait de "marches", des 1, des 2, des 3 etc mais rien entre les deux.

C'est difficile à concevoir car dans notre monde macroscopique, nous avons le sentiment qu'il existe une continuité dans le "mouvement" des phénomènes que nous percevons. Votre paysage extérieur n'est pas fait de hachures noires et de hachures colorées, lorsque vous entendez un son, vous avez le sentiment d'écouter un flot, pas des hachures de sons inaudibles (!).
Et pourtant.

La discontinuité doit s'appréhender avec son contradictoire selon S. Lupasco, la triade ainsi formée est riche de tous les possibles et permet mieux de cerner une notion "dynamique" : {discontinuité; continuité; T}. Le tiers inclus du couple continu/discontinu peut s'approcher par le concept de "seuil". Le seuil regroupe les acceptions suivantes : base (base de porte, de cadre), limite (ce qui revient au même), zone de contact, interface (qui souligne bien la nécessité d'une coupure entre deux milieux, deux "objets") mais aussi effet cumulatif (dans effet de seuil) qui permet d'adjoindre alors au mot les concepts de "binarité" (0, 1) voire d'"émergence", c'est à dire de "rupture" et de "niveau de réalité". Le "seuil" apparait alors effectivement un mot assez juste pour se trouver couplé avec continu/discontinu et le triplet/triade ainsi formé {continu;discontinu;seuil} suffisamment complet et consistant pour en saisir les sens.

Examinons maintenant chaque membre de la triade en fonction des deux autres.
Le "continu" est très intuitif, il est cependant délicat de s'en saisir vraiment séparément. En mathématiques, la continuité nécessite la notion d'un seuil voire d'un point et d'une limite selon les définitions (nous laissons à plus tard les notions plus générales liées à la topologie comme la notion d'image (réciproque, directe) et d'adhérence qui "contiennent" toujours in fine les premières notions plus "métriques"). Nous voyons bien de manière simple que définir le "continu" nécessite le couplage avec le "seuil". Le couple ainsi formé renvoie immédiatement au "discontinu". Enfin, coupler le continu avec le discontinu renvoie aussi au seuil qui les délimite ! Il apparait donc logiquement que le concept de "continu" ne peut se passer de son exact contraire ni du "seuil".

Examiner le seuil, comme nous l'avons déjà réalisé plus haut, c'est le coupler immédiatement à un continu et ce couplage définit assez remarquablement bien un discontinu !

Au final, étudier le discontinu revient à s'emparer de la sémantique déjà exposée du continu et du seuil.

De manière dynamique, analyser la triade {continu; discontinu; seuil} revient à exposer un nombre infini d'états "mesurables", observables, saisissables, des trois mots corrélés ensemble. Dit autrement, un ensemble de combinaisons possibles comme autant d'infinies subtilités de sens que renferment ces trois mots. Il n'est plus concevable alors de parler ou d'écrire un seul mot de la triade sans se référer immédiatement aux deux autres : l'implicite du mot devient l'explicite de la triade.
De cette dynamique s'extrait facilement la dernière acception du mot seuil : "effet de seuil", utilisé en sciences pour désigner l'apparition d'un phénomène à partir d'une valeur donnée d'une variable. Cet effet de seuil marque bien, dans un phénomène continu qui croît ou décroît, l'émergence d'une discontinuité à une valeur donnée, à partir d'un seuil, quoi ! Mais cette acception ajoute la notion de rupture, voire de niveau de réalité et de causalité. Car un "nouveau" phénomène apparait au delà du seuil, par une discontinuité, une rupture, un saut, sur la continuité pré-existante. Ce phénomène était potentiel, il devient actuel. Sa "nouveauté" réside en fait dans son passage du potentiel à l'actuel, dans son passage par le seuil. Ce seuil, en l'actualisant, en l'amplifiant, le coupe de manière irréductible et le place ainsi dans un autre "niveau de réalité" (selon B. Nicolescu). La triade lupascienne contient donc toujours ce saut qui en fait un système irrémédiablement ouvert. J'ai, plus haut, caractérisée la triade de système complet : oui, le système est bien "complet" et "ouvert".

Et que devient la causalité ? La causalité est elle contenue dans la triade, ou bien est elle un "principe" posé a priori ?
Si nous reprenons les concepts de S. Lupasco enrichis par B. Nicolescu, nous dégageons de la triade un système auto-consistant mais ouvert. L'ouverture peut être itérée infiniment jusqu'à un méta-système toujours ouvert où le tiers inclus joue le rôle d'invariant structurant l'isomorphisme des deux contradictoires. (voir Tiers Inclus : logique, ontologique et amour). Le Tiers inclus est irréductiblement contradictoire et donc totalement indéterminé : cela semble très analogue à ce qui existerait derrière la "porte" du vide quantique de la physique, ce fameux vide qui est plein (voir Le vide est plein.). Cela semble analogue à l'affectivité mais S. Lupasco jugeait cette dernière comme un "en-soi absolu" et "alogique" et n'a jamais voulu identifier celle-ci au tiers inclus (là où moi, allègrement, je franchis le rubicond dans mon article déjà cité). Il est vrai que l'identification est pour Lupasco un cas particulier d'une relation entre deux contradictoires ! Le tiers inclus reste ainsi "secret" selon les propres mots de B. Nicolescu qui le rapproche du sacré, de l'irrationnel, du mystère irréductible, de la zone irréductible de non-résistance. Ce tiers inclus, en formant l'unité avec le couplage des deux contradictoires, ferme et ouvre à la fois. Stéphane Lupasco a semble t il toujours refusé de considérer que l'alogique pouvait entrer dans la logique, ce que Basarab Nicolescu, en convoquant Gödel, a pourtant réalisé.

Ainsi dans la triade, aucun "tiers" n'est à l'origine/finalité d'un autre tiers car nous l'avons bien compris, le tiers inclus lui-même est insaisissable sans les deux contradictoires qu'il unifie. Il s'agit bien de la discontinuité la plus irréductible qui soit ! Le "système" ouvert ainsi défini semble intégrer l'a-causalité et la causalité dans une non-contradiction "parfaite".

Mais que sont alors la causalité, l'orientation, le temps ? Des a priori ou des a postériori ?