mercredi 19 mai 2010

Espace-Temps Quantique et Logique de l'Inclusion

Dans Espace-Temps Quantique : la fin du Champ ?, nous posions une question provocatrice et dont la réponse n'a rien de simple.

Reprenons certains éléments : notre vue dominante encore actuellement sur l'espace-temps date de Isaac Newton et de ses Principia Mathematica dans lequel ce savant pose un espace et un temps absolus. L'Espace et le Temps définissent alors un cadre physique rigide à l'intérieur duquel sont en mouvement des "objets". La reformulation de la loi universelle de gravitation de Newton, issue des lois de Kepler, explicite donc les mouvements des astres à l'intérieur de ce cadre rigide. Gravitation et Espace-Temps sont bien séparés.

Les travaux de Michael Faraday et plus tard ceux de James Maxwell ont notamment permis de conceptualiser la notion de Champ en physique, en l'espèce le champ électrostatique, unifié par la suite en champ électromagnétique. Enfin, par la suite, jusqu'au XXè siècle, le champ s'est généralisé comme un outil opératoire très puissant et pertinent, mais finalement toujours indépendamment du cadre dans lequel il était donc censé s'exercer ! Champ(s) et Espace-temps sont donc bien séparés.

Albert Einstein, avec la relativité générale, établit très clairement au début du XXè siècle, que Champ (gravitationnel), Gravitation et Espace-temps sont non seulement liés mais équivalents : cette "identité" fait voler en éclats le cadre rigide dans lequel était enfermé le dernier terme. L'espace-temps est le champ gravitationnel et réciproquement ! C'est assez inimaginable...et pourtant.

Or, et c'est là qu'arrive l'inimaginable plutôt, l'ensemble des travaux sur les champs, c'est à dire soyons clairs sur les forces/interactions entre objets de la physique dite (aujourd'hui) "classique" débouche sur une dualité bien paradoxale et encombrante. La "lumière" (généralisée au sens électromagnétique et non plus seulement "visible") symbolise ce paradoxe : sa nature est duale : onde et/ou particule selon les expériences, donc selon l'observateur. Et puis voilà aussi qu'elle devient discontinue, constituée de quanta. Les mêmes conclusions s'imposent au même moment (ou presque) sur la matière (microphysique): nature duale et discontinue !
Le champ de Faraday (ses fameuses "lignes") devient ainsi, tout au long du XXè siècle, quantique et de nature duale. Mais le champ quantique du XXè siècle (en l'espèce les 3 champs fondamentaux hors la gravitation) restera désespérément séparé de l'Espace-temps donc de la Gravitation ! Leur couplage mathématique n'est qu'un "bricolage"...

Où se trouve alors la clé du problème : dans les calculs très compliqués qui s'offrent aux physiciens ou bien dans les principes "philosophiques" en amont de ces calculs ? Restons humbles : dans les deux ! Pour avancer, il faut évidemment, pendant un "temps", sortir des équations et réfléchir, prendre conscience de la science qui se fait, de son ontologie, qu'il n'est pas possible de séparer de ce qu'elle est, à une époque donnée. De très nombreux scientifiques se sont penchés sur ces questions d'épistémologie, de très nombreux philosophes des sciences, aussi. Il me semble, à la lecture de certains d'entre eux, que le mot qui nous empêche de voir est : séparation, c'est aussi ce mot qui apparaît depuis le début de cet article.

La séparation, c'est la volonté de réduire la réalité à une de ses propriétés en quelque sorte, c'est l'exclusion, c'est l'identification à la binarité, c'est la logique et la dialectique de l'exclusion.
Or, la séparation n'est pas une téléologie mais bien une ontologie.
Or, la séparation amène irréductiblement à la réunion.

Par exemple, la relativité générale n'est pas une révolution en soi, n'est pas une séparation de plus. Albert Einstein a su relier ensemble des lois issues des travaux de ses prédécesseurs, au fil des siècles, il a "simplement" réuni différemment et vu autrement l'ensemble de ces travaux, réflexions comme équations. La "révolution" ne consistant pas à détruire et à reconstruire un ensemble "ex nihilo" mais bien plutôt à relier et à regarder différemment l'ensemble des faits et des modèles déjà construits par le passé. Car, en ce qui concerne les notions d'espace et de temps, les idées sont là depuis de nombreux siècles, comme nous le rappelle Carlo Rovelli dans son interview sur Arte.

Notre véritable "travail" en tant que citoyen du monde n'est donc pas de changer brutalement de lunettes et d'en chausser de nouvelles pour voir le monde différemment. Il réside essentiellement à se demander pourquoi nos lunettes nous font voir floues certaines parties du monde, pourquoi certains faits ou certains évènements qui nous arrivent résistent à notre compréhension et bien souvent nous font souffrir d'ailleurs. Ce sont ces "parties floues" ou ces résistances qui doivent nous inciter alors à nous demander si effectivement nos lunettes nous sont bien adaptées. Pour voir, il faut comprendre (cf "l'Ombre du savoir") et pour prendre avec soi, il ne faut pas séparer ni exclure, il faut au contraire être ce que l'on prend, ne faire qu'un, au moins temporairement. Dit autrement, lorsque le citoyen du monde s'engage sur le chemin de l'unité (cf "Voir et Connaitre"), il devient ce chemin, ce chemin ouvert sur le doute et l'incertitude, ce chemin qui tout en reliant tous les chemins déjà parcourus, reste à chaque décision, à inventer...

Ainsi, pour revenir sur la question initiale de l'article, (!), trouver un modèle mathématique et physique d'Espace-Temps Quantique ne détruit pas le concept du Champ : il l'étend. Et la théorie de la gravitation quantique à boucles n'est pas une ultime théorie liée à la logique de l'exclusion mais bien un travail courageux, imprégné de philosophie, de questionnements, sur une logique de l'inclusion : celle qui est issue de la logique, de la tension des antagonistes. "L'espace-temps quantique est celui de la troisième matière, des phénomènes quantiques, esthétiques et psychiques" a écrit Stéphane Lupasco (cité par B. Nicolescu, déjà cité dans "Logique de l'Energie et Sens").

Aucun commentaire: