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mercredi 31 mars 2010

Je suis né un jour bleu

Daniel Tammet est, d'après les spécialistes, un autiste "Asperger" savant. Il devient très connu (son deuxième livre se vend très bien en France, merci pour lui) mais moins cependant que le personnage autiste du film "Rain Man", interprété par Dustin Hoffman au cinéma ! D'ailleurs, Daniel Tammet a rencontré aux USA la personne qui a inspiré le personnage de Raymond Babbitt, Kim Peek, qui est décédé il y a quelques mois (en décembre 2009). Kim Peek possédait une mémoire eidétique, cette sorte de mémoire photographique absolue peu documentée finalement mais dont certaines personnes sont suspectées d'en avoir été pourvues (Mozart, Ampère, Kasparov, Pagnol, Nabokov, etc..).

Daniel Tammet, qui vit actuellement en France, a publié en 2007 : "Je suis né un jour bleu" qui retrace de l'intérieur son parcours depuis son enfance. Daniel Tammet a ceci de très singulier pour un "autiste" qu'il a été capable, et l'est toujours, d'expliquer ses émotions et ressentis, de relier par des signes intelligibles pour les autres, l'affectivité qui semble le submerger. Ses nombreuses capacités ont été étudiées d'ailleurs par un certain nombre de chercheurs dans le monde. Ainsi, il est pour nous tous un voyageur en terre aride dans les méandres de l'esprit et/ou de la conscience et ce qu'il nous rapporte est précieux.

L'autisme est aujourd'hui considéré comme un ensemble de Troubles du Spectre Autistique (TSA) (regroupant en gros l'autisme infantile dit de Kanner, le syndrome d'Asperger et l'autisme de Haut Niveau et permettant surtout de faire apparemment l'unanimité parmi les spécialistes de différents pays) : ces TSA rendent compte d'un continuum dans l'expression des troubles constatés. Lorna Wing a conceptualisé une triade (dite autistique) permettant de rendre compte de la symptomatologie et reprise par le DSM-IV :
  • troubles de la communication verbale et non-verbale
  • troubles des relations sociales
  • centres d'intérêt restreints et/ou des conduites répétitives.
Les causes de ces troubles, ou déviations par rapport à la norme établie, sont encore inconnues, bien qu'une origine génétique semble statistiquement fort probable, mais s'agissant pour le moins d'une symptomatologie complexe, les éléments recueillis et étudiés séparément devront être reliés dans un tableau complexe et heuristique, ce qui n'est pas apparemment le cas encore aujourd'hui.
Les théories explicatives ou approches des TSA sont classiquement au nombre de trois :
- psychanalytique
- cognitive et/ou comportementale
- organique

L'approche psychanalytique et psychiatrique récente intègre dans ses pratiques les découvertes en neurophysiologie et en génétique et ne revendique apparemment aujourd'hui aucune prétention causale dans les TSA. Cependant, en France, la psychiatrie est si prégnante dans la prise en charge du "mal-être psychique" en général et, en l'espèce, les prolégomènes historiques concernant l'autisme sont si tenaces qu'il est très délicat d'investiguer "librement" sur cette question. Voir à ce propos la position de Jacques Hochmann ainsi que les articles plus généraux sur l'efficacité des traitements de psychothérapie (rapport de synthèse de l'Inserm et présentation par une psychologue).
L'approche cognitivo-comportementale sur les TSA a "engendré" plusieurs courants de méthodes de prise en charge dont ABA et TEACCH sont certainement les deux plus importants. L'approche TEACCH, développée aux USA depuis plus de 40 ans et timidement implantée en France est une approche fortement contextuelle puisqu'elle s'intéresse à structurer l'environnement de l'autiste en le "calant" sur ses possibilités de saisies sensoriels: espace, temps, système et tâche.
L'approche organique est en plein développement avec les neurosciences et la génétique comme l'illustre par exemple la synthèse des travaux sur ce sujet de l'Inserm.

Je souhaite ici citer les travaux réalisés par Bruno Gepner sur une approche à la fois complexe (mêlant clinique, théorique et expérimentale) et simple puisque se "résumant" par un concept : malvoyance de l'é-motion (désordre émotionnel et motionnel) pour expliquer l'invariance mise en avant dans la triade autistique. Nous y reviendrons plus longuement ultérieurement.(voir Autisme: Malvoyance de l'E-motion...)

"Je suis né un jour bleu" est un livre très singulier pour moi, et très troublant émotionnellement. Il est fascinant notamment de lire l'expérience subjective de Daniel Tammet sur les nombres : "...j'ai toujours eu une expérience visuelle et synesthésique des nombres. Ils sont ma langue maternelle, celle dans laquelle je pense et je ressens."(p.17), ainsi que son paysage singulier numérique où les nombres premiers forment des îlots de singularités avec "une texture sans aspérités" : "Chacun d'entre eux est différent de celui qui le précède et de celui qui le suit. Leur solitude parmi les autres nombres me les rend singuliers et stimulants." (p.19) La synesthésie des mots et du langage lui permet aussi d'apprendre très vite de nombreuses langues étrangères (il en maitrise 10 au total) grâce à ces associations mémorielles très riches. "Percevoir les couleurs et les textures de chaque mot permet à ma mémoire de mieux retenir les faits et les noms." Il semble en fait que Daniel Tammet fasse l'expérience de sa subjectivité par son extrême singularité, différence, unicité : il ne voit dans le monde que des différences et la synesthésie lui fournit des possibilités sensorielles de relier ces différences.
Au chapitre 9 ( un nombre grand et bleu), il nous fournit d'ailleurs plusieurs pistes d'études sur les expériences synesthésiques et la créativité linguistique, notamment par les travaux du Pr Vilayanur Ramachandran. Nous y reviendrons tant ces pistes sont intéressantes...

J'imagine aujourd'hui que mes troubles à lire l'ouvrage de Daniel Tammet tient en des consonances particulières entre son expérience et la mienne, son goût premier pour les mathématiques (notamment les suites, le calcul de la moyenne et de la médiane lorsque j'étais enfant), son goût pour les mots et les concepts, son analyse littérale du langage, sa synesthésie, sa solitude, ses difficultés relationnelles avec les autres, son incompréhension première des émotions de l'autre et son ancrage dans des paysages numériques et visuels. Je ne suis pas en train d'écrire que je suis comme Daniel Tammet, non, je constate simplement un isomorphisme entre ce que décris ce garçon et ce que je ressens à le lire, il n'y a là aucun phénomène identitaire (au sens le plus fort).

Vers la fin de son livre, deux passages m'ont beaucoup marqués :
"Je me souviens de manière toujours très vivante de l'expérience que j'ai vécue, adolescent, allongé sur le sol de ma chambre, à regarder le plafond. J'essayais de me représenter tout l'univers dans ma chambre, j'essayais d'avoir une compréhension concrète de ce qu'était le "tout". Dans mon esprit, je fis un voyage jusqu'aux marges de l'existence et j'explorai tout cela en me demandant ce que j'allais trouver. A ce moment-là, je me sentis vraiment mal et je perçus mon cœur qui battait fort dans ma poitrine parce que, pour la première fois, j'avais compris que la pensée et la logique avaient leurs limites et ne pouvaient pas emmener quelqu'un plus loin. Le fait de m'en rendre compte m'effrayait et il me fallut beaucoup de temps pour m'y faire."

Oui, pour moi aussi, comprendre que la pensée et la logique ont leurs limites a été, d'une certaine manière, assez effrayant. C'est très certainement pourquoi il m'est apparu si "logique", si vital en fait, de me tourner vers d'autres modalités de connaissances et d'investigation du monde, sans toutefois renoncer à une certaine rigueur scientifique, basée sur des faits vérifiables et des modèles réfutables donc transitoires.

Enfin, à l'extrême fin du livre, Daniel Tammet nous livre ceci :
" On dit que chacun connait un moment parfait, de temps en temps, une expérience de paix complète et de lien avec le monde, (...) Soudain je fis l'expérience de m'oublier moi-même et, pendant un moment bref et brillant, j'eus l'impression que toute mon anxiété et mon mal-être disparaissaient. (...) J'imagine ces moments comme des fragments ou des éclats éparpillés sur une vie entière. Si quelqu'un pouvait les coller bout à bout, il obtiendrait une heure parfaite, voire une journée parfaite. Et je pense que cette heure ou cette journée le rapprocherait de ce qui fait le mystère d'être un humain. Ce serait comme un aperçu du paradis."

Je laisse à ce garçon l'interprétation religieuse (il est croyant) de ces moments de communion et d'oubli de soi, d'oubli de l'ego pour en retenir la similarité avec ce que nous offre l'expérience de l'unité de Svami Prajnanpad (voir Voir et Connaitre.) ou la méditation d'inspiration tantrique par exemple.

Daniel Tammet offre ainsi à tous des possibilités, des brèches, pour tenter d'appréhender ce qui est et ce qui nous contient, de manière originale et singulière...

dimanche 7 mars 2010

Tiers Inclus : Logique, Ontologique et Amour ?

Basarab Nicolescu s'est penché avec attention et rigueur sur l'œuvre de Stéphane Lupasco. Ce physicien théoricien du CNRS qui s'intéresse à la transdisciplinarité a apporté une nouvelle compréhension de la logique du tiers inclus.

Examinons l'axiomatique de la logique du tiers exclu (en reprenant également la métaphysique de la célèbre expérience de pensée dite du Chat de Schrödinger)(déjà citée) :

1) l'axiome d'identité : e=e (un chat vivant est un chat vivant)
2) l'axiome de non-contradiction : e n'est pas non-e (un chat vivant n'est pas un chat mort)
3) l'axiome du tiers exclu : il n'existe pas de troisième terme T qui soit à la fois e et non-e (il n'existe aucun état de chat qui soit à la fois un chat mort et un chat vivant)

En couplant les deux premiers axiomes, on arrive naturellement à saisir que le troisième semble dépendant des deux premiers : non-e n'est pas e (un chat mort n'est pas un chat vivant); on en déduit apparemment qu'il n'existe aucune place pour un tiers entre e et non-e !

A la suite de la mécanique quantique, de nombreux logiciens ont tenté des "logiques quantiques" en modifiant seulement l'axiome de non-contradiction et en imaginant des tables à multiples valeurs de vérité à la place de celle du couple binaire (e; non-e). (un chat mort-vivant est dans un état de superposition de multiples états entre un chat vivant et un chat mort ?) Finalement, on en revenait à dissoudre presque l'axiome d'identité : e est il encore e ? (qu'est ce qu'un chat vivant ?) Cette dissolution est certainement riche d'investigations...

Aujourd'hui, nous comprenons que le principe de complémentarité de Bohr impose la représentation d'un autre "objet" incluant e et non-e (la lumière n'est ni une onde ni une particule ET les deux à la fois, elle est un objet dont les deux propriétés complémentaires ne sont que des valeurs identitaires mais ne sont pas l'"objet" en lui-même)

Lorsque Stéphane Lupasco modifie l'axiome du tiers exclu en le "retournant" : il existe un tiers T qui est à la fois e et non-e, il semble violer l'axiome de la non-contradiction et pourtant il l'étend.
Il définit ainsi pour chaque couple (e; non-e) une table des valeurs logiques issue de son principe d'antagonisme (Actualisation; Potentialisation; Tiers Inclus=quantum de contradictoire=ni A et ni P).
Nous lisons ainsi : e s'actualise (en même temps que) non-e se potentialise
e ni ne s'actualise ni ne se potentialise (en même temps que) non-e {idem}
e se potentialise (en même temps que) non-e s'actualise
de façon abrégé :
e non-e
A P
T T
P A
Le Tiers inclus apparait alors effectivement comme le plus petit "élément" irréductible qui fait exister la non-contradiction entre e et non-e. T est un quantum du contradictoire. La triade ainsi définie (A; P; T) fait coexister les trois termes en même temps.
L'axiome de non-contradiction est aussi non seulement respecté mais étendu :
la contradiction s'actualise (en même temps que) la non-contradiction se potentialise
la non-contradiction s'actualise (en même temps que) la contradiction se potentialise
il n'existe aucun état ni actuel ni potentiel de la contradiction et de la non-contradiction

Paradoxalement, la contradiction et la non-contradiction semblent se soumettre à la logique du tiers exclu. B. Nicolescu nous éclaire dans son article très riche sur le tiers inclus: (...) "le quantum logique faisant intervenir l'indice T est associé a l'actualisation de la contradiction, tandis que les deux autres quanta logiques, faisant intervenir les indices A et P, sont associés à la potentialisation de la contradiction. Dans ce sens, la contradiction est irréductible, car son actualisation est associée à l'unification de e et non-e. Par conséquent, la non-contradiction ne peut être que relative ." T apparaît très clairement ici comme le quantum du contradictoire, comme le plus petit élément logique irréductible de la contradiction qui déplace nettement dans chaque couple (e; non-e) un opposé exclu en un contradictoire inclus.

B. Nicolescu clarifie cette proposition en introduisant la notion de "niveaux de réalité". Il imagine un triangle formé par le triplet (A; P; T) où A et P appartiennent à un même niveau de réalité et où T appartient à un niveau différent. Ainsi, dans le niveau de réalité de A et P, c'est la projection T' de T qui produit l'apparence de couples mutuellement exclusifs; T' ne peut, dans ce niveau de réalité concilier l'Actualisation et la Potentialisation, un évènement e et le non-évènement non-e associée. En revanche, puisque T se situe dans un autre niveau de réalité que A et P, les trois dynamismes peuvent exister en même temps, ensemble, sans contradiction. Comme le souligne B. Nicolescu : "la tension entre les contradictoires bâtit une unité plus large qui les inclut."
Le "niveau de réalité" n'est pas un niveau d'organisation, concept cher à la systémique.

Laissons parler le physicien : "deux niveaux de Réalité sont différents si, en passant de l'un à l'autre, il y a rupture des lois et rupture des concepts fondamentaux (comme, par exemple, la causalité)." Un niveau de réalité c'est "(...) un ensemble de systèmes invariant à l'action d'un nombre de lois générales (...)". Ainsi, en physique, le niveau quantique est un niveau de réalité différent du niveau "classique", macro-physique car il y a rupture des lois. Personnellement, je suis aujourd'hui plus nuancé, j'ajouterais : "dans les limites de nos connaissances". Car lorsque Basarab Nicolescu déclare que : "Personne n'a réussi à trouver un formalisme mathématique qui permet le passage rigoureux d'un monde à l'autre. Il y a même de fortes indications mathématiques pour que le passage du monde quantique au monde macrophysique soit à jamais impossible." , il oublie la théorie (et l'ensemble de ses développements) d'Alain Connes en Géométrie Non-Commutative qui semble fournir ce passage rigoureux. Il est vrai qu'il faudra beaucoup de temps pour que (si l'expérimentation valide sa théorie du modèle standard des particules élémentaires) ses travaux soient repris et vulgarisés abondamment...Mais il a raison dans le sens où il met en évidence (voir plus loin) que ce mouvement de la connaissance est ouvert donc sans fin (et donc que la géométrie non commutative nous ouvrira d'autres portes à leur tour ouvertes sur d'autres, etc..)

Mais le concept de B. Nicolescu est là dans son entier : discontinuité. Et n'a donc rien à voir avec un niveau d'organisation qui n'est en quelque sorte qu'un changement de vue continue sur un système (voir de l'ouvert à la systémique). Dit autrement, le "niveau de réalité" décrit deux ouverts disjoints et on ne parle plus d'identité, mais bien d'isomorphisme. Le problème conceptuel essentiel est que cet isomorphisme est encore très loin (voire pas du tout) d'être éclairé, documenté, informé, construit. Il est d'ailleurs à redouter que ce terme employé (par analogie) ne convienne absolument pas !

B. Nicolescu est allé plus loin et a conceptualisé un "objet transdisciplinaire" au sein d'un modèle transdiciplinaire de la Nature et de la connaissance. La lecture de son article synthétique (déjà cité) est très clair à ce sujet.
Prenons le concept de "niveau de réalité" , plaçons le dans un processus itératif supposé infini : nous obtenons une structure ouverte, gödelienne, de l'ensemble des niveaux de Réalité. Appréhender cette structure consiste en fait à appréhender un mouvement sans fin (donc sans début), sans non-contradiction absolue, incomplet. Cette structure discontinue est un espace topologique, son complémentaire existe et B. Nicolescu l'appréhende comme une "zone de non-résistance" à nos sens, expériences, représentations, descriptions, images, formalisations mathématiques. Si cela ne résiste pas, c'est qu'on ne peut l'appréhender, rien n'est saisissable. Cette zone est certainement à rapprocher du concept de "voile" de Bernard d'Espagnat (Le réel Voilé) ou de "l'affectivité" de Stéphane Lupasco voire du "sacré" irrationnel. Les deux ensembles/espaces définis : ensemble ouvert des niveaux de réalité et son complémentaire forment l'Objet Transdisciplinaire. A cet Objet T correspond de manière isomorphe un Sujet T, le complémentaire du Sujet T étant en fait la même "zone de non-résistance"identique à celle de l'Objet T.

Ainsi, par un processus itératif du concept de niveau de réalité couplé à la logique du tiers inclus, Basarab Nicolescu construit un modèle de la réalité et de la connaissance basiquement décrit par une triade (Objet T, Sujet T, T s.inclus) où l'Objet T (T pour Transdisciplinaire) se construit peu à peu par la rationalité, par l'accumulation d'information de la part du Sujet T qui devient peu à peu par la perception ce flux de conscience isomorphe à l'information mais unifié à lui seulement incomplètement grâce au Tiers secrètement inclus.
J'ai envie de modifier : grâce à l'amour !

Ainsi s'étalerait devant nous : la logique, l'ontologique et l'amour.

B. Nicolescu ajoute un concept éclairant et fondateur d'une ontologique à venir : le principe de relativité. "aucun niveau de Réalité ne constitue un lieu privilégié d'où l'on puisse comprendre tous les autres niveaux de Réalité . Un niveau de Réalité est ce qu'il est parce que tous les autres niveaux existent à la fois. Ce Principe de Relativité est fondateur d'un nouveau regard sur la religion, la politique, l'art, l'éducation, la vie sociale. Et lorsque notre regard sur le monde change, le monde change. Dans la vision transdisciplinaire, la Réalité n'est pas seulement multidimensionnelle - elle est aussi multiréférentielle."

Ce dernier mot est certainement l'(origine;finalité; T) de mon propre mouvement, ici et maintenant. Ah, non, j'oubliais l'(amour; amour;amour) !