mercredi 24 février 2010

de l'Ouvert à la Systémique

C'est Thierry Biren, cofondateur de douance.be qui par le lien avec mediat-coaching.com m'a fait rencontrer Catherine Besnard-Péron.

Notre chemin commun aura duré le temps de lecture de plusieurs livres !
Il aura à la fois été si riche et complexe que le résumer est illusoire, et à la fois si simple qu'un unique mot semble pouvoir l'effleurer : ouvert.

Avant de débuter notre travail en commun, je n'aurais pas imaginé l'envelopper par ce mot là. Aujourd'hui, il s'impose avec la plus ferme et douce évidence.

Ce mot là évoque le premier pas de danse improvisé, le premier coup de crayon sur la feuille blanche, le sourire qui vous accueille à la porte, la magnifique vue du chalet sur la vallée, encore de multiples images à chacun et aussi, très rigoureusement, un (sous) espace topologique qui ne contient aucun point de sa frontière.
Le recours aux mathématiques permet d'appuyer sur la notion fondamentale de l'"ouvert" : ne pas avoir de frontières tout en assurant à ses "éléments" (membres) la sécurité d'un "voisinage".
Tout "voisinage" d'un membre de l'ouvert est encore par définition dans l'ouvert.

L'ouvert définit donc un espace de travail.
Mais l'ouvert définit aussi une posture et un mouvement. Dit autrement, un algorithme de travail, avec une terminaison (assurer que le travail sera réalisé dans un temps fini), une complétude ( garantir que le travail donnera des propositions de solutions) et une correction (assurer que le travail donnera au moins une solution au problème posé).

Couplé à l'ouvert, l'algorithme évoque alors une heuristique, c'est à dire une méthode efficiente pour fournir une solution réalisable au problème posé.
Il est important en effet de vouloir différencier l'efficacité de la seule efficience, cette dernière exigeant l'étude, dans l'espace considéré, d'une écologie; il est important également de différencier l'exacte du réalisable, ce dernier concept étant imposé a priori par la nature de l'espace de travail. Comment réaliser en effet une telle heuristique dans un ouvert, qui, concrètement, est complexe et dynamique ?

Il y a bien sûr plusieurs approches qui toutes, ensemble, participent à l'heuristique. Nikos Lygéros m'a permis d'appréhender, dans ses "Réflexions sur une heuristique..."comment Alexander Grothendieck lui a inspiré les bases analogiques d'un raisonnement non uniforme.

A. Grothendieck est un mathématicien qui a révolutionné dans les années 50 et 60 la géométrie algébrique en y apportant de nouvelles fondations. La démarche sous-jacente à ses travaux, sa posture et son mouvement, peuvent être décrits en terme d'heuristique. Il s'agit d'appliquer à un problème (un théorème en l'espèce) un processus itératif généralisant l'ensemble des propriétés (sans perte aucune) du problème de départ et de découvrir ainsi de nouveaux problèmes dont l'étude permettra la résolution (démonstration) du problème de départ.
N. Lygéros rapporte ainsi : "La première rupture que représente cette heuristique par rapport aux autres méthodes de raisonnement c'est qu'elle ne décompose pas le problème en sous-problèmes afin de les traiter séparément pour ensuite recombiner les résultats partiels et obtenir ainsi le résultat total suivant la stratégie qui consiste à diviser pour régner. Au contraire, elle considère le théorème de manière unitaire et d'une certaine façon indécomposable. Car a priori rien ne dit qu'il soit décomposable. Alors pourquoi le considérer comme tel."
Appliquée en psychologie, dans une relation thérapeutique générique, cette heuristique selon Grothendieck se veut donc un couplage avec l'ouvert. Le problème soumis par un patient au thérapeute ou le problème exposé et défini ensemble par les deux protagonistes n'est a priori, dans cette démarche originale, pas un problème décomposable mais unitaire.

Nikos Lygéros assure cette heuristique de sa terminaison, de sa complétude et de sa correction grâce aux principes ramseyens (cf théorie de Ramsey) (il existe toujours dans une structure suffisamment grande une sous-structure ayant la propriété recherchée, la structure générale pour la propriété donnée est alors la plus petite possible). En revanche, il ne peut garantir l'application de cette dernière à tout problème. Lorsque cela semble possible, l'utiliser fournit alors une solution réalisable et efficiente par abduction du problème de départ.

La systémique apparait plus prometteuse et plus englobante car elle déplace l'implicite de l'heuristique de Grothendieck, à savoir exposer le problème retenu à ses propriétés, sur les interactions d'une organisation complexe avec ses éléments.
Nous sommes toujours dans un ouvert, la définition (fixation) des éléments d'une organisation complexe est alors parfaitement déplaçable le long des interactions rencontrées dans les voisinages de l'ouvert. Le nœud est plus essentiel à saisir et à manipuler que les éléments séparés. Le problème de départ peut finalement rester une boîte noire, chacun s'intéresse plutôt aux interactions de la boîte dans l'ouvert, c'est à dire in fine, avec elle même, autrement dit à ses boucles de rétroactions.

Se concentrer sur ces objets génériques, ce qui est essentiel en communication et donc en relation thérapeutique, c'est s'ouvrir alors à une métaphysique plus "subversive". Au premier abord, la rétroaction peut en effet sembler hors de l'ouvert puisque séparée mentalement de l'organisation complexe qu'elle organise justement ! Cette "séparation" est bien mentale, car nécessaire à la saisie, à la compréhension mais cette interaction est pourtant "continue" et déplaçable comme toute coupure entre objet/sujet. La "subversivité" soulignée tient en fait en entier dans la "forme" de l'interaction qui par définition ne fait que déplacer continûment le sujet à l'objet et vice versa !
Trivialement, la tautologie paradoxale de la rétroaction la laisse "platement" "là" et ne fait que déplacer notre vue de l'ouvert : ce n'est pas la rétroaction qui change le monde changeant, c'est notre vue qui change sur le monde ! Enfin, concrètement, en systémique, lorsque l'analogie (isomorphisme et modèle) est utilisée comme outil sur un ouvert, il en résulte un ouvert homéomorphe. Que ces ouverts soient disjoints ne change rien au raisonnement puisque au départ comme à l'arrivée, l'espace de travail, l'espace de la communication, reste un ouvert.

Nikos Lygéros donne un exemple de cet "invariance" en utilisant la théorie systémique appliquée à un domaine où il est expert : la stratégie militaire dans : "Modèle systémique et paradigme polémologique". Il aboutit ainsi à : "L'environnement et l'ensemble des systèmes se transposent en un environnement et un méta-système. Ce dernier est un ensemble organisé dont les éléments (systèmes) sont en relation (échange) et dont la stabilité est basée sur un mécanisme de rétroaction (droit d'ingérence). Car c'est bien cela que sous-tend le droit d'ingérence : la conscience de l'existence du méta-système rend nécessaire une vision holistique du monde. Un conflit en apparence local est en réalité une perturbation dans le fonctionnement du méta-système. Aussi le droit d'ingérence représente une recherche d'équilibre de la part du méta-système ; c'est son unique moyen d'action. "
En identifiant ainsi le droit d'ingérence à la rétroaction d'un méta-système, N. Lygéros montre bien qu'il est possible de trouver une organisation ad hoc qui intègre l'unité du problème de départ en un élément à réguler par une relation dont l'existence est "invariante". On voit sur cet exemple que l'interaction qui au départ peut sembler séparée (à l'extérieur) d'un système reste en fait "là" mais s'intègre dans le méta-système. La pseudo-émergence d'une nouvelle propriété du méta-système ainsi constitué "autour" de l'interaction n'est en fait qu'un changement de vue : la relation est invariante car elle laisse invariants les systèmes. Le méta-système dégagé par cette construction existait bien au préalable mais personne ne semblait ou voulait le voir ! En revanche, une fois mentalement intégrée au méta-système, la relation est dotée d'une nouvelle propriété qui peut permettre aux protagonistes de réguler, ce qu'ils semblaient incapables de réaliser plus tôt.

Il y a quantité d'exemples de ce genre dans les multiples disciplines qui font intervenir la théorie systémique comme postulat de construction : économie, management, sciences cognitives, écologie, intelligence artificielle, sociologie, psychologie etc....

Catherine Besnard-Péron (CBP) s'intéresse à l'humain et le place au cœur de son investigation pour conduire son activité de coaching et pour soutenir ainsi les projets de ses clients. Elle s'intéresse donc aux systèmes dynamiques complexes vus dans le paradigme de la systémique. Elle utilise (de façon implicite ou explicite) entre autres des outils reconnus dans ce paradigme comme efficients.
Mais elle est psychiquement également dans une disposition d'ouverture à l'autre. Cette disposition psychique compte pour beaucoup dans son travail. Ainsi, cette volonté à l'ouverture, cette volition sur l'ouvert, a empli l'ensemble psychique de notre relation de travail mutuelle.

Personnellement, je l'ai pleinement implicitement puis explicitement ressenti.

1 commentaire:

cbp a dit…

Still good to read 5 years later...