lundi 22 février 2010

Réveil de la source

Bien avant Jean Staune, il y a eu Jeanne Siaud Facchin (JSF). Entendue un après midi sur France Inter, au printemps 2008, des mots, dont ma mémoire s'est libéré, ont ouvert des espaces attendus. C'était à l'occasion de la sortie de son fameux livre (très discuté par les professionnels de la profession !) : Trop intelligent pour être heureux : l'adulte surdoué. qui venait après le plus académique "L'enfant surdoué : l'aider à grandir, l'aider à réussir". Car, écrire, en France, sur la précocité de l'enfant, est mieux perçu que sur le surdouement de l'adulte. JSF s'est demandé simplement (à la suite de nombreux lecteurs qui n'avaient pas oublié de grandir et qui d'enfants étaient devenus adultes !)  ce que devenait l'enfant précoce, une fois que Peter Pan a laissé son pays imaginaire pour revenir habiter notre monde.
Et là, l'enfermement sémantique de la précocité frappe de plein fouet : en effet, qui écrit et dit "précoce" (avance temporelle !) laisse irrémédiablement sous entendre un retour à la (loi) "normale" : qui peut prétendre sérieusement étudier un adulte précoce de 50 ans ?

JSF s'est donc coltiné l'analyse des entretiens réalisés sur les adultes interpellés par les ouvrages traitant des enfants précoces qui leur actualisait violemment leur propre histoire passée et des parents actuels de tels enfants. Enfin, JSF a tenté, sur la grille d'étude de l'enfant précoce, de discriminer un certain nombre de comportements, d'états psychiques propres aux adultes devenus. Devenus quoi en l'espèce ?
Il fallut bien sortir du piège sémantique et en se rapprochant d'autres études internationales sur l'intelligence, depuis les débuts de la psychométrie, enfin admettre avec sérieux un état général adulte plus complexe que le "normal". Car, in fine, il s'agit bien de cela : réunir une complexité. Relier ensemble de nombreux symptômes, dont certains sont décrits et documentés par le DSM IV (tableau des psychopathologies), en un état singulier, non pathologique, ouvert.
Or étudier cliniquement une singularité est aisé; faire de même (avec les seuls outils de la psychologie clinique en tout cas) sur un ouvert est carrément casse gueule ! Voilà pourquoi le courage de JSF est exemplaire : oser défricher et affronter les modèles dominants, et source de critiques faciles : ce livre est un fourre tout !

Ma fille cadette a été testée classiquement par le WPPSI-R et cette entrée dans ma vie familiale d'une telle information m'a dérouté. Je ne comprenais pas, en la voyant vivre près de nous, comment cette fameuse "précocité" s'extériorisait. Ce test était une réduction de son état psycho cognitivo affectif sur une échelle de grandeurs normalisées par une loi de distribution statistique. (point!) Me dire que ma fille avait un QI de 144 ne s'ancrait dans aucune réalité affective et les explicitations techniques du test (et subtests !) ne renvoyaient qu'à la structure même de la mesure de ce qu'on nomme intelligence et non à une perception complexe et immédiate de la "chose". JSF m'a permis, par la complexité déroutante de son analyse clinique, d'entrevoir le véritable monde qui se cache derrière la loi normale de distribution dans la population du QI !

Ce livre a été, pour moi, à cet instant de ma vie, et aux dires même de ma femme, l'occasion d'une véritable renaissance.

Deux points m'ont frappés et percés intimement dans la description que fait JSF des facettes de la personnalité d'un surdoué : "Celui qui a l'âge du monde" (p.155) et "La faille spatio-temporelle : vivre dans plusieurs espaces-temps" (p.158). J'ai été, entre autres choses, nourri, à l'adolescence, de lectures de science fiction (Asimov, K Dick, Bradbury, Van Vogt etc.) et ces facultés étranges que décrivait JSF dans son livre "sérieux" me ramenaient à ces mondes imaginaires de mes auteurs autrefois préférés. C'était incongru. Et troublant.

Celui qui a l'âge du monde est hypermature et caméléon, s'ajustant en permanence au plus près des contraintes de son environnement et par corollaire expérimentant de multiples identités ou plus finement dit expérimentant une identité hyper-éclatée. Car le caméléon a bien sa propre identité qui est justement liée à sa capacité d'en rendre intelligible une multitude. Cet "effet" caméléon est très bien illustré dans l'œuvre de N. Lygéros et relié notamment à l'altruisme. Nous y reviendrons...

Celui qui expérimente "la faille spatio-temporelle", vit dans plusieurs espaces-temps. Cette expression de Marine Ambrosioni, une collaboratrice de JSF, signifie que le surdoué se situe en permanence dans un ressenti global de son espace-temps. Chaque choix ici et maintenant doit prendre en compte l'avant, l'après et l'ailleurs. C'est aussi, comme on l'a vu, un corollaire du "multi-âge" car la perception du "soi" est "éclatée" dans l'espace-temps ou mieux dit : étendu sur l'espace-temps ! Ainsi, il est difficile de se détacher du contexte, il est difficile de discriminer le sujet de la globalité, sa vie personnelle de l'univers dans son entier. Enfin, pour le surdoué, il persiste toujours une distance, aussi infime soit elle, entre son action et son être, "qui crée cet inconfort qui conduira soit au dépassement de soi, soit à une acceptation contrainte, source de frustration."

Ces deux facettes explicitées par JSF m'ont transpercées car je croyais naïvement qu'elles étaient miennes, solitaires et inconnues de tous. A vrai dire, il est amusant et réconfortant de constater a postériori qu'il existe au moins une communauté à les partager !
Ainsi, JSF puis douance.be m'ont apportés des éclairages somme toute communs pour percevoir au final une complexité que la simple liste linéaire de "symptômes" ne peut en aucun cas rendre compte. Mais in fine, il faudra convoquer les analyses de Nikos Lygéros sur la douance pour tenter une vue conceptuelle issue des travaux cliniques des psychologues.

Il faut en effet élaborer une sorte de symbole en plusieurs dimensions capable ensuite, par projection, de traduire un à un des états psychiques et des comportements relativement banals et retrouvés finalement chez tous les humains. Ce n'est pas la somme des "symptômes" qui identifie le surdoué à coup sûr car j'ose espérer que cette somme n'est qu'un artefact (est il seulement possible de vivre avec tout cela ?) mais sans doute plutôt la capacité à en saisir l'algorithme, la construction, et le sens de l'hyperstructure génératrice ainsi dégagée.

Ainsi, le surdoué n'a rien d'un surhumain, il est simplement qualitativement structuré différemment. Et surtout, il y a autant de différences d'expression et de comportements dans cette population que dans la population globale.

Mais nous sommes loin d'en avoir fini.........

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