samedi 20 février 2010

Echelles, Nombres et Perception

D'après la théorie inflationnaire en cosmologie, l'univers se serait créé à partir d'un "espace" d'une taille de 10^-26 m, contenant quelques "inflatons" correspondant à une masse de quelques grammes. Cette taille est inférieure à celle de l'atome d'un facteur 10^16 (10 millions de milliards de fois).

C'est vertigineusement petit.

Ensuite l'inflation a gonflé la taille de l'univers d'au moins d'un facteur 10^50, son volume, proportionnel au cube de son rayon, a donc augmenté d'un facteur 10^150.

C'est méga-méga vertigineusement grand.

A la fin de la période inflationnaire, qui dure environ 1000 secondes (env.16 minutes terrestres !) l'univers a un rayon d'environ 10^24 m mais ensuite il continue de croître, beaucoup plus lentement, tant et si bien qu'il gonfle encore d'un facteur 10^27 pendant les 14 milliards d'années qui suivent !

Aujourd'hui, l'univers aurait un rayon de 10^51 m soit un volume d'environ 10^153 m^3. L'essentiel de notre univers nous est inaccessible (avec notre compréhension actuelle) car nous "connaissons" seulement une partie dénommé judicieusement "univers observable" d'une taille d'environ 4,7 10^26 m, notre "observable" est donc vertigineusement petite par rapport à l'existant qui ne cesse de croître.
Enfin, le nombre de particules contenues dans cet univers serait d'environ 10^80.

Ces nombres ne nous "parlent" pas. On a beau relativiser, ramener par une simple "règle de trois" ces proportions à celle de la planète terre ou d'un terrain de football, toutes ces gesticulations ne changent rien à l'histoire.

Pourquoi les "grands" nombres ne nous "parlent" pas ?

Car nous sommes éloignés de nous-même.

Prenez par exemple un jeu de cartes. Un bête jeu de 52 cartes. Commencez à les ordonner devant vous, sur une table. Vous réalisez ainsi une combinaison qu'on peut lire de droite à gauche, de la première à la 52è carte. Changez deux cartes de place, vous réalisez ainsi une 2è combinaison. Continuez de changer des cartes de place et comptez les combinaisons ainsi réalisées. Continuez encore jusqu'à épuiser toutes les possibilités de combinaisons possibles entre ces 52 cartes. Prenez 1 seconde pour réaliser une combinaison. Il vous faudra environ 2,5 10^60 années pour réaliser toutes les combinaisons possibles...............
Vous vous souvenez que l'univers dans lequel vous vivez est âgé d'environ 14,7 10^9 années ?........
Un banal jeu de 52 cartes à jouer qui tient dans la main peut vous amener à saisir soudain ce qu'est un "grand" nombre.

Admettons qu'il y ait environ 10^22 étoiles dans l'univers observable, admettons par symétrie qu'il y en ait donc 10^25 fois plus dans l'univers entier soit au total environ 10^47. L'ensemble contenant toutes les combinaisons possibles de vos 52 cartes à jouer est encore largement et vertigineusement plus grand que çà !

Dans votre corps, il y a environ 10^13 cellules et 10 fois plus de bactéries (estomac, intestins..), ce nombre est vraiment vertigineusement ridicule par rapport à ce que "contient" votre jeu de cartes ! Il y a cependant 100 fois plus de cellules dans votre corps que de galaxies dans l'univers observable !

Il y a cependant plus de cellules dans votre corps que d'années terrestres au calendrier de l'univers ! Il est d'ailleurs couramment admis maintenant par certains biologistes que chaque être humain est un univers en soi, une nébuleuse d'interactions en tous genres...Car, pour les cellules, les nerveuses comme toutes les autres, ce sont bien les interactions biochimiques dont elles sont le centre (départ et arrivée) qui "font" la réalité cellulaire et in fine l'organisation du corps humain. Imaginez alors pour une seule cellule, le nombre d'interactions, d'échanges qui la traversent et par là même la définissent. Multipliez ce nombre par le nombre de cellules total de "l'univers" humain et vous obtenez alors, à chaque instant t une "combinaison" des échanges possibles du corps. Partons du principe que chaque échange est indispensable, nécessaire au bon fonctionnement de l'organisme et qu'il est "unique", singulier. Chaque échange est en quelque sorte une carte à jouer unique. Ainsi, partant de ces postulats, il est possible de calculer le nombre total possible de combinaisons réalisables avec non pas 52 cartes, mais un jeu gigantesque d'environ 10^14 "cartes à jouer" (en posant un minimum de 10 échanges par cellule). Ce dernier nombre, approché par la formule de Stirling devient méga gigantesque et hors de proportion de tout ce que nous pouvons approcher (environ 10^10^15). Bien sûr, ce nombre n'est pas en soi le plus grand de tous mais comment l'approcher, comment se le représenter intuitivement ?

En fait, cette petite ballade combinatoire doit nous amener à réfléchir à notre univers et à son immensité toute relative. Car, en fin de compte, ce dernier n'est pas si "grand" que cela. Appréhender le monde qui nous entoure par le dénombrement, le simple déploiement d'un espace-temps relié à une métrique est réducteur somme toute à la valeur affective qu'on leur donne. Car, déjà, selon certains critères physiques, l'appréhension analytique de la complexité de notre univers/corps est hors de notre portée ! Hors de notre portée individuelle, tout du moins. Mais l'humanité entière, voire le vivant conscient de l'univers, le peut il ?

Le nombre est un absolu, certes. Et l'échelle de représentation de notre réalité, basée sur cet absolu, nous relativise notre perception. Mais, intuitivement, affectivement, lorsque nous ressentons la réalité, instaurons nous une échelle relative à nos sensations ou bien sommes nous capables d'embrasser réellement un absolu ?
Lorsque vous touchez un jeu de 52 cartes à jouer, que ressentez vous ? Un simple outil à votre taille et à votre portée, capable de vous divertir, ici et maintenant ? Ou bien un "infini" de possibilités, hors de votre portée ici et maintenant, ouvrant sur un "infini" de mondes de rencontres, d'échanges, de divertissements, d'humeurs, de gains, de plaisirs, bref, de vies ?

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