vendredi 12 février 2010

Paysage et Spatialisation du temps

Vous êtes sur une colline devant un paysage qui s'étend devant vous. Il fait beau, l'air est doux, vous voyez sur 180°, un espace familier : votre maison, l'école de vos enfants, l'église d'un village, une belle villa là haut sur une autre colline devant vous, une croix à l'endroit d'un carrefour..Bref, l'espace, tel que vous le concevez depuis tout petit, s'étend là devant vos yeux, comme une carte dépliée. Cet espace en trois dimensions : hauteur, largeur, longueur, cet espace en 3D que vous voyez grâce à votre équipement ultra sophistiqué de vision : vos yeux, en relief ! Cet espace vivant, où tout bouge, même très doucement, les voitures, les piétons, les vélos, les nuages, les feuilles des arbres etc...Cet espace vivant où tout n'est que mouvement.
Mais mouvement où ? Au moins dans l'espace !

Tiens, vous décidez d'aller en pensée au carrefour symbolisé par cette croix que vous apercevez, là-bas. Elle est à quoi, 1,5 km de vous, cette croix ? Comment y aller vraiment ? A pied, vous mettrez 20 minutes environ par le chemin. A vélo, vous y serez en 5 minutes. En voiture, comptez 1 minute et 30 secondes. Cet endroit, finalement, est à 1,5 minute ou 5 minutes ou 20 minutes de vous et pourtant il est à 1,5 km. Vous pensez donc que cet endroit est "fixe" et attends là que vous arriviez. Vous pensez que la croix est "fixe", "immobile", comme tout repère "fixe" dans la paysage, dans l'espace. C'est bien pour çà que comme tout le monde, vous repérez cet endroit en distance d'espace : 1,5 km. C'est tangible. C'est sûr. C'est réel.

Pourtant, pour aller vraiment à cet endroit de l'espace repéré par une croix, vous devez vous déplacer. Du coup, cet endroit se trouve soit à 1,5 minutes, soit à 5 minutes soit à 20 minutes de vous en fonction du moyen de locomotion que vous choisissez. Du coup, cet endroit d'espace devient moins fixe et sûr : il est soudain plus ou moins proche de vous, il est soudain lié à un certain indéterminisme, le vôtre, en fonction de votre choix de déplacement. Le paysage que vous regardez devient soudain moins fixe et sûr car en fonction du moyen de locomotion que vous choisissez pour vous déplacer physiquement dans cet espace, les "objets" n'ont pas les mêmes "emplacements". En fonction des chemins possibles utilisables, l'église peut être plus proche que la maison ou l'inverse, l'école se trouve "avant" le carrefour ou l'inverse, la villa est "après" l'école ou l'inverse etc...En fonction des possibles déplacements, l'espace s'organise, se désorganise, se structure différemment : quelle horreur ! Pourtant, vous vivez cette situation tous les jours.

Tous les jours, vous faites des choix de déplacement qui peuvent être différents, et tous les jours, vous vous déplacez donc dans un espace différent. Pourquoi ? A cause du temps.
En fait, vous vivez dans un espace-temps 4D où le temps est également une dimension liée aux trois autres. D'ailleurs, dans vos "petits" déplacements quotidiens, vous vous déplacez en réalité presque uniquement dans le temps : vous savez qu'en gros, il vous faut 5 min pour aller à l'école déposer vos enfants, puis 15 minutes pour aller au boulot, puis vous ferez environ 2 h de voiture aujourd'hui pour aller voir des clients etc...Vous comptez en temps, votre déplacement spatial. Rien de plus banal. Votre espace de vie, entre la maison, l'école, le supermarché, l'endroit où vous travaillez, les gens que vous allez visiter et rencontrer, le cabinet du médecin, le bureau du notaire, le cinéma ou le restaurant le soir, le café du coin, tout votre espace est devenu du temps.

Et c'est "normale" cette attitude. Car l'espace est aussi du temps. On peut même, comme vous le vivez aujourd'hui, comme vous le ressentez, dire que l'espace n'est que du temps. Peu importe le chemin physique pour aller d'un endroit à un autre, ce qui compte vraiment, c'est le "chemin" temporel : combien de temps ?
Ce transfert psychologique, psychique, entre un ressenti spatial et un ressenti temporel de l'espace qui nous entoure est symptomatique de notre époque. Mais il a été long à se mettre en place, il aura fallu des millénaires d'évolution pour que, physiquement, nous puissions accélérer notre déplacement dans l'espace jusqu'au point actuel où même virtuellement, nous testons des déplacements imaginaires instantanés grâce aux jeux vidéos "embarqués" (où le joueur "rentre" physiquement dans le jeu grâce à des capteurs numériques qui étendent son corps physique dans un autre espace "virtuel"). Un jour prochain, nous nous baladerons "entièrement" avec notre corps relié à des capteurs numériques, dans l'internet, dans les espaces des serveurs d'ordinateurs, dans toute cette "virtualité" actuelle. Mais demain, si nous considérons qu'un tel déplacement est "réel", comment appellerons nous ces espaces ? Dans quoi d'ailleurs nous déplacerons nous en vérité, en réalité ? Uniquement dans le temps, car notre vrai corps physique sera immobilisé quelque part dans son espace à lui, vous savez, celui où, plus jeune, vous regardiez le paysage depuis la colline ? Ce n'est pas de la fiction, tout ceci existe déjà, vous avez de tels équipements chez vous, non ? Demain, ils seront simplement encore plus perfectionnés....

Que faisons nous alors lorsque nous ne pensons qu'au temps, nous ne vivons que dans le temps : nous recréons un espace ! Nous re-déployons un espace autour de nous où la proximité ne se définit pas comme dans le paysage depuis la colline. La proximité est liée quelque part au Principe de Moindre Action, mais comme nous vivons essentiellement dans le temps, l'intervalle à "minimiser" est essentiellement du temps. Cependant, en faisant cela, nous intégrons, nous structurons un autre espace. Cet espace qui est aussi du temps. Ce temps qui est aussi de l'espace. Nous ne pouvons pas sortir de "cela". Tout bêtement parce que l'espace-temps dans lequel réside notre corps (au moins) est régi par 4 degrés de liberté essentiels, par 4 dimensions liées ensemble.

Puisque nous avons tous besoin de visualisations, d'images, j'ai trouvé ceci qui illustre mon propos : une carte du monde "temporelle". Cette mappemonde ressemble à celle que nous connaissons tous, pourtant, les couleurs vous éclairent sur le temps de déplacement qui sépare un endroit d'un autre (et non directement la distance). Plus c'est brillant, plus il y a de proximité, plus c'est sombre voire noir, plus l'endroit est isolé.
Prenez maintenant cette carte et changez de légende, retraitez les données comme suit : à chaque "point" à lequel correspond une durée, affectez une distance (ex. 1 minute = 1 mm; 10 min = 10 mm; etc..) et vous verrez alors l'espace du monde se déformer et se reformer en fonction de la "proximité" qui nous unit. La carte sera contractée là où actuellement elle est brillante et distendue là où elle est noire. Le paysage aura changé !

L'espace a besoin de temps pour se déployer mais le temps a aussi besoin de l'espace pour se déployer. Les deux sont unis et liés et nous vivons çà tous les jours...
Comme quoi, prendre conscience, avec nos sens, que nous vivons dans un espace-temps à 4D, ce n'est pas si difficile que çà, non ?

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