Dans Champ et Quantum..., nous nous sommes saisis du concept de champ quantique utilisé en physique pour planter le décor de futures discussions immergées dans cette métaphysique et introduire du mieux possible la fameuse triade lupascienne de B. Nicolescu : {énergie,discontinuité,seuil}. Nous nous sommes arrêtés à la théorie de l'Electrodynamique Quantique, nous devrons y revenir pour aborder la Chromodynamique Quantique, ce qui nous demandera de nous pencher sur les symétries et les fameux principes de jauge issus de la théorie des groupes de Lie. Ces théories de jauge utilisées en physique trouvent certainement un aboutissement avec "la théorie du Tout exceptionnellement simple" de Anthony Garett Lisi, entièrement fondée sur le groupe de Lie exceptionnel E8, théorie très belle mais hautement spéculative et complexe.
Dans un premier temps, il faut comprendre que le champ est, comme le reste, un objet conceptuel transitoire. C'est Nykos Lygéros qui nous éclaire là-dessus avec son style sobre, épuré et concis dans "Sur la Notion de Champ en Physique". Il nous rappelle qu'il est possible de voir la transversalité de cette notion en se saisissant de la masse (d'un objet), concept à la base des forces de Newton et des interactions d'Einstein. De la masse, vue comme ponctuelle, à la nécessité d'une action à distance entre les points/masses, à la variété (pseudo-) riemanienne de l'espace-temps, au champ, il y a la continuité. Or, "la continuité du champ pose un problème crucial puisqu'il s'applique à un espace a priori continu.". Ainsi, dans la théorie quantique des champs, dans le modèle standard des particules, la masse disparaît en tant que donnée consistante, elle devient un degré de liberté à "combler" par l'expérience, c'est d'ailleurs une quantification "ultime" (le boson de Higgs) du modèle qui doit attribuer la masse à tous les autres quanta conceptualisés. Mais, et tous les physiciens le savent, coupler un espace-temps continu avec une théorie quantique du champ, c'est, faute de mieux, une démarche archaïque et qui pose des problèmes insurmontables. "L'autre problème fondamental, c'est que dès que nous passons sous la longueur de Planck, la réalité physique perd son sens." nous rappelle Nikos Lygéros, ce qui montre à nouveau que "la discrétisation de l'espace mais aussi celle du temps semble nécessaire.". La continuité est une notion puissante mais faut il le rappeler, après nos articles introduisant la logique de Stéphane Lupasco, doit être mise en relation (relativisée) avec les discontinuités que l'expérience nous donne à saisir.
"Les particules sont nécessairement une étendue non réduite à un point." La particule ou le concept de quantum tel que nous l'avons abordé dans notre article déjà cité ne peut donc être réduit à l'impact sur un écran ou à la trace sur une photo, en bref à sa relation ponctuelle avec un détecteur et in fine avec le sujet observant. Le point, ici, dont il est question, est bien une polarité, une réduction, une projection, d'une relation ouverte. C'est exactement dans ce cadre théorique que sont nés les différentes théories des cordes (voire de la gravitation quantique à boucles), par une extension spatiale et temporelle du "point" (plus rigoureusement par une nouvelle définition de l'excitation minimale unidimensionnelle du champ à l'échelle de Planck) . Enfin, l'enjeu d'une quantification de l"interaction gravitationnelle réside bien en une compréhension de la physique à l'échelle de Planck. "Ainsi l'introduction du champ en physique peut-être considérée désormais comme une méthodologie sans doute efficace dans un premier temps mais ad hoc sur le fond." conclut Nikos Lygéros dans son court article.
Dans un deuxième temps, il faut revenir à la compréhension même de l'espace-temps, ce que nous abordons de nombreuses manières, par des éclairages certainement originaux, dans ce blog. En physique, c'est finalement la question primordiale, remise en perspective au début du XXè siècle par la mécanique quantique et la relativité générale, ces deux vues fondamentales de notre monde, complémentaires et encore aujourd'hui inconciliables mathématiquement donc formellement. Réunir ces deux vues est nécessaire au moins pour saisir la réalité à l'échelle de Planck et c'est bien ce qu'essaient de réaliser les théories (spéculatives) sur la gravitation quantique à boucles ou "à cordes". Carlo Rovelli, physicien, nous éclaire sur l'arrière plan conceptuel de ces travaux, dans cet article général.
Il souligne ainsi qu'il est nécessaire d'obtenir une notion relationnelle d'espace-temps quantique, couplant ainsi à la fois la localisation relationnelle dans l'espace-temps due à la relativité générale et à la fois la quantification dynamique d'opérateurs non commutatifs dans la mécanique quantique ("we need a relational notion of a quantum spacetime in order to understand Planck scale physics."). En particulier, il illustre qu'une théorie spéculative sur ce sujet est sans doute plus "puissante" si dés le départ, elle postule moins d'hypothèses et notamment n'exige pas un arrière fond d'espace-temps métrique ad hoc, mais que ce dernier découle de la théorie elle même. Cet argument rejoint précisément les préoccupations d'Alain Connes lorsqu'il s'intéresse lui aussi de près au modèle standard des particules et à une théorie spéculative de gravitation quantique.
La relativité générale est une théorie sur la gravitation, sur le champ gravitationnel, et a démontré l'équivalence physique entre ce champ et la métrique utilisée pour caractériser l'espace-temps (il y a équivalence pour un objet entre être soumis au champ gravitationnel ou être soumis à l'accélération du référentiel dans lequel il se trouve par rapport à un référentiel témoin). Ainsi ("General relativity is the discovery that the spacetime metric and the gravitational field are the same physical entity. A quantum theory of the gravitational field is therefore also a quantum theory of the spacetime metric."), une théorie quantique de la gravitation est aussi une théorie quantique de la métrique de l'espace-temps. Carlo Rovelli insiste ainsi sur la définition identitaire de l'espace-temps relativiste et la métrique utilisée; dit autrement, l'espace-temps n'existe pas indépendamment des relations entre les "objets", ces relations, mesurées justement par une métrique, définissent entièrement cet espace-temps relativiste. Le saut "paradigmatique" en quelque sorte de Einstein est de revenir à une vue sur le monde d'avant Newton, avant la considération d'un espace et d'un temps immuables et fixes dans lesquels se meuvent les objets dynamiques soumis à des forces. Pour Einstein, en dehors des "objets" dynamiques reliés entre eux, il n'y a rien, ce sont donc "eux" qui définissent l'espace-temps, ce sont donc leurs propriétés qui fournissent les propriétés à l'espace-temps (ainsi la masse/énergie qui fournit la courbure)...
Or, jusqu'ici, dans le modèle standard par exemple, les théories quantiques des champs s'appuient sur une métrique "classique" et mathématiquement sont décrites au sein d'une variété riemannienne par des opérateurs issus de cette métrique. Il n'y avait donc pas de métrique quantique sur laquelle s'appuyer pour définir des outils opérationnels dans une variété différentiable. Tout le travail de Carlo Rovelli (et de ses collègues) a été de s'attaquer à ce problème. Dit autrement, définir une nouvelle métrique, quantique, c'est donc équivalent à définir un nouvel espace-temps quantique et donc, par équivalence, définir une quantification du champ gravitationnel. De ce point de vue, la théorie de la gravitation quantique à boucles est plus économe en hypothèses que l'ensemble des théories quantiques des cordes.
Pourquoi des "boucles" ? Dans l'article déjà cité de Carlo Rovelli, mais remanié en 2008, ce dernier explicite plus clairement cette hypothèse clé de la théorie : le choix d'une algèbre de boucles ("the loop algebra") prend sa source directement chez Faraday : "According to Faraday, the degrees of freedom of the electromagnetic field are best understood as lines in space: Faraday lines. Can we describe a quantum field theory in terms of its “Faraday lines”?" La réponse, relativement technique, est oui ! Ainsi, les auteurs ont élaboré mathématiquement une théorie quantique de champ, d'un nouveau genre, en partant d'une algèbre de "boucles". Ensuite, implémenter l'idée d'Einstein de la relativité générale revient (mathématiquement) à se saisir de l'invariance par difféomorphisme : "In general relativistic physics, the physical objects are localized in space and time only with respect to one another. If we “displace” all dynamical objects in spacetime at once, we are not generating a different state, but an equivalent mathematical description of the same physical state. Hence, diffeomorphism invariance." La gravitation quantique à boucles est bien in fine, alors, cette tentative d'implémentation de cette subtile notion relationnelle de localisation dans l'espace-temps, dans une théorie quantique des champs (en l'espèce le champ gravitationnel).
Quelle image, représentation, nous reste t il pour se saisir alors du concept d'espace-temps ? Carlo Rovelli nous l'explique clairement : "we define quantum states that correspond to loop-like and, more generally, graph-like excitations of the gravitational field on a differential manifold (spin networks); but then, when factoring away diffeomorphism invariance, the location of the states becomes irrelevant. The only remaining information contained in the graph is then its abstract graph structure and its knotting. Thus, diffeomorphism-invariant physical states are labeled by s-knots: equivalence classes of graphs under diffeomorphisms. An s-knot represents an elementary quantum excitation of space. It is not here or there, since it is the space with respect to which here and there can be defined. An s-knot state is an elementary quantum of space." Un s-nœud (de spin "s-knot") est un quantum élémentaire d'espace. N'oublions pas que espace, ici, signifie aussi temps, un s-nœud est donc un quantum élémentaire d'espace-temps.
D'ailleurs, le résultat physique clé de la théorie de la gravitation quantique à boucles est le calcul explicite des valeurs propres d'aires et de volumes : la base de la représentation physique de l'espace-temps quantique ! Enfin, interpréter physiquement ces calculs revient certainement à revenir au sens de la mécanique quantique : l'espace-temps n'est pas ainsi un ensemble de quanta, mais bien une superposition probabiliste continue d'ensembles de quanta.
Il reste à se pencher sérieusement sur cette dernière phrase afin d'en savourer toutes les résonances possibles pour les significations pragmatiques qu'elle induit dans notre quotidien...
Nous y reviendrons...
{Pour Carlo Rovelli,je recommande également l'interview de 2007 par ARTE et je remercie également Jacques Fric, secrétaire de la Commission Cosmologie de la Société Astromique de France, pour sa traduction de l'article original en anglais de 1997}
Pour tenter, d'une singularité, de relier des savoirs, d'élaborer une complexité et de la transmettre...
Affichage des articles dont le libellé est Energie/Matière. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Energie/Matière. Afficher tous les articles
dimanche 16 mai 2010
vendredi 2 avril 2010
Logique de l'Energie et Sens...
Dans Tiers inclus..., nous avons introduit la logique du tiers inclus de Stéphane Lupasco. Il faut y revenir en parlant cette fois-ci d'énergie et de matière. (ou d'énergie/matière puisqu'il y a correspondance entre eux depuis la relativité générale)
Dans cet entretien accordé en 1987, Stéphane Lupasco résume son approche de manière très claire.
Voyons çà.
Actualisation/Potentialisation, Hétérogène/Homogène et matière/énergie sont les trois doublets qui permettent de débuter. Il faut bien comprendre qu'un doublet ainsi défini est "irréductible" : dit autrement, chaque élément d'un doublet ne peut exister sans l'autre, sans son contradictoire. Ainsi, en première approche, le doublet défini est non-contradictoire.
L'articulation est la suivante :
Lorsque la matière/énergie actualise l'homogène et potentialise l'hétérogène, il advient la matière "inerte", macrophysique, nos "objets".
Lorsque la matière/énergie potentialise l'homogène et actualise l'hétérogène, il advient la matière "vitale", les êtres vivants.
Stéphane Lupasco se rend compte ensuite qu'il existe un état, un moment, où actualisation et potentialisation sont parfaitement symétriques, dit autrement, dans le doublet des antagonistes existe un état parfaitement contradictoire, l'état "mi-mi" en quelque sorte, parfaitement indéterminé. Cet état est nommé le tiers inclus et étend ainsi explicitement le doublet en triplet ou triade. Cet état explicité existait avant dans le doublet sous forme implicite, le rendre visible permet ainsi de donner toute la consistance à la logique ainsi conçue.
Lorsque la matière/énergie ni n'actualise l'homogène ni potentialise l'hétérogène ni potentialise l'homogène ni actualise l'hétérogène exactement, ou dit de façon plus condensée en tenant compte de la propriété du doublet contradictoire : ni actualise/potentialise l'hétérogène/homogène, ce qui est exactement équivalent aux trois autres permutations existantes *, alors il advient la matière "microphysique" ou/et psychique.
(* ni actualise/potentialise l'homogène/hétérogène <=> ni potentialise/actualise l'hétérogène/homogène <=> ni potentialise/actualise l'homogène/hétérogène <=> ni {actualise, potentialise} le {homogène, hétérogène}, cette dernière notation personnelle "contenant" les 4 permutations ou états possibles et servant aussi à écrire un triplet lupascien)
Ainsi l'énergie/matière fait advenir trois matières, chacune ensemble en même temps au même endroit.
La troisième matière, révélée par la physique quantique, caractérise aussi, d'une façon intuitive pour Stéphane Lupasco, le psychisme du vivant animal (y compris l'humain). Identification par réflexivité : je m'analyse quand je pense, ma conscience de moi me permet d'identifier simplement ce "tiers inclus" à la "structure" de ma pensée. Il est très frappant alors en lisant Lupasco de trouver les mêmes arguments "évidents" dont se sert par exemple François Martin de Volnay pour étudier le psychisme avec des outils de la mécanique quantique et pourtant ce dernier ne se réclame absolument pas de la logique Lupascienne !
Stéphane Lupasco identifie la troisième matière au psychisme du vivant ainsi qu'à celle, microphysique, régie par les lois quantiques; en revanche, il ne donne pas ici clairement les raisons de l'identification formelle du psychique et du "microphysique".
Levons ce paradoxe ou ce malentendu.
Pour Dominique Temple, qui a intégré les concepts lupasciens à sa propre œuvre philosophique, "Lupasco souligne une analogie de structure entre les états coexistants de la physique quantique et la conscience humaine. S'il n'est pas possible de connaître les états coexistants de degré de vérité zéro, il n'est pas impossible qu'ils ne se connaissent eux-mêmes, qu'ils ne soient consciences de consciences. Telle était déjà l'intuition de la noosphère de Teilhard de Chardin et de son évolution continue de l' alfa à l'oméga . " (ref) Ainsi, D. Temple reste prudent et parle d'analogie et non d'identification tout en faisant remarquer qu'il est possible d'envisager cette dernière mais que la preuve est certainement hors champ scientifique et de l'ordre de la révélation.
Lothar Schäfer (qui ne référence pas Lupasco dans son travail), nous l'avons déjà vu ici, ne dit pas autre chose : "Les états virtuels peuvent être décrits comme des Entités Parménidiennes (...) On peut considérer les états cosmiques virtuels comme des idées platoniciennes (...) Face à de tels phénomènes, nous pouvons dire que les particules élémentaires ont des propriétés rudimentaires de conscience. (...) La conclusion en est ici inévitable : la nature du fond de la réalité est semblable à celle d'un esprit. (...) ", cependant il manque à cet auteur l'explicitation du Tiers Inclus et il décrit plus les natures de la Potentialisation et de l'Actualisation.
En convoquant les philosophies Idéalistes allemandes, il fait bien référence à une trinité ("le contraste entre la thèse (l'ego) et l'antithèse (le non-ego) se résout dans la perception de leur unité dans un ego absolu. (Hirschberger, 1981, p.368)") mais cette confrontation avec le contradictoire absolu ou irréductible : "Les états quantiques virtuels représentent un ordre qui est à la fois immanent (les états quantiques sont dans les choses) et transcendant" ne semble bien déboucher pour lui que sur une interrogation du divin : "On arrive ainsi à se demander pourquoi on ne peut penser ensemble la réalité
immanente-et-transcendante et au-delà-de-ce-monde-et-dans-le-monde, qui est Dieu, avec la réalité
immanente-et-transcendante et au-delà-de-ce-monde-et-dans-le-monde qui est la réalité quantique ?"
Basarab Nicolescu est aussi nuancé que le philosophe Dominique Temple en écrivant ici : "En effet, pour Lupasco il doit y avoir isomorphisme (et non pas identité) entre le monde microphysique et le monde psychique. (...) Le monde quantique et le monde psychique sont deux manifestations différentes d'un seul et même dynamisme tridialectique. Leur isomorphisme est engendré par la présence continuelle, irréductible de l'état T dans toute manifestation."
Le malentendu lupascien provient en fait d'une subtilité évidente mais mal comprise : la potentialisation est pour lui clairement une conscience "élémentaire" de l'actualisation, mais ce n'est pas la conscience de la conscience, ou "conscience de soi" pour le vivant. Dominique Temple est très clair là dessus : "Le principe d'antagonisme conduit ainsi à la reconnaissance d'une entité sans matière ni énergie, aussi réelle que la réalité, une matière-énergie, qui est à la fois une conscience de conscience. Lupasco l'appelle l'énergie psychique. (...) L'énergie psychique a bien une spécificité comme conscience de soi, révélation transparente d'elle-même, dénuée de toute connaissance autre que la sensation de sa liberté propre, mais cette dynamique n'en est pas moins relié aux pôles du contradictoire par tous les degrés de vérité de Weizsäcker, de sorte qu' entre la conscience de soi et les consciences élémentaires peuvent apparaître toutes les consciences de consciences que nous appellerons consciences objectives." et en note ce commentaire limpide : "Le principe d'antagonisme implique que l'actualisation de l'énergie et de la matière ne peuvent atteindre une non-contradiction absolue. Dans toute matière ou énergie il demeure donc du contradictoire qui la relie à l'énergie psychique, mais réciproquement, le contradictoire ne peut s'affranchir des dynamismes qui lui donnent naissance par leur confrontation. Il n'y a pas d'esprit sans matière et sans énergie."
Cette dernière phrase peut s'écrire symétriquement : " il n'y a pas de matière sans énergie et sans esprit" ou "il n'y a pas d'énergie sans matière et sans esprit", les trois possibilités sont équivalentes, au moins d'un point de vue logique.
Pour Stéphane Lupasco, il n'y a plus identité absolue, mais seulement isomorphisme, car sa logique du tiers inclus explicite proprement chaque dynamisme dans une triade où aucun des trois éléments inclus ne peut s'expliciter sans les deux autres.
Il est frappant ici de constater d'ailleurs l'analogie (ou l'isomorphisme !) entre cette triade conceptuelle et le triplet de quarks de la chromodynamique quantique. (nous y reviendrons...) De telles analogies existent dans d'autres domaines, par exemple, les divers "courants" de spiritualité comme ceux de la religion en sont riches !
Ainsi, les trois matières/énergies définies plus haut le sont irréductiblement en référence à elles mêmes. L'identité propre à chacune est seulement vue désormais comme une limite "idéale" ou "matérialiste" mais sans consistance. Seule la triade lupascienne inclusive est consistante. Mais que définit elle exactement ?
B. Nicolescu le rappelle clairement : "La structure ternaire de systématisations énergétiques se traduit, (...), par la structuration de trois types de matières, ou plutôt par l'existence de trois orientations privilégiées d'une seule et même matière.(...) ses trois aspects constituent... trois orientations divergentes (...) La conclusion que toute manifestation, tout système comporte un triple aspect - macrophysique, biologique et quantique (microphysique ou psychique) - est certes étonnante et riche de multiples conséquences."
Ainsi, la triade est unitaire et définit en quelque sorte une nouvelle vue du "point", de l'unité. C'est une vue du point beaucoup plus riche et complète que le simple "point-identité". Pour les mathématiques, la triade lupascienne est analogue au triplet spectral utilisé par Alain Connes en géométrie non commutative : une "redéfinition" du "point" de l'espace "généralisé" en quelque sorte.
Et cette triade est "ouverte" c'est à dire que bien que complète, elle est irréductiblement liée à toutes les triades possibles de l'univers. "La tridialectique lupascienne est une vision de l'unité du monde, de sa non-séparabilité" écrit Nicolescu. Elle aboutit aussi à l'idée qu'il n'y a pas de constituant ultime, pas de brique élémentaire, que "tout système est toujours système de système". Le tiers inclus est ainsi l'élément logique irréductible qui ouvre irrémédiablement la systémogénèse lupascienne.
Ces propriétés de la logique de l'énergie ont des conséquences sur l'espace-temps, ce que les physiciens cherchent "désespérément" à démontrer depuis presque un siècle (la fameuse théorie unificatrice ou bien la théorie de la gravité quantique), c'est à dire une quantification aussi bien de l'espace que du temps : "Le temps évolue par saccades, par bonds, par avances et reculs... " nous dit Lupasco. "L'espace-temps quantique est celui de la troisième matière, des phénomènes quantiques, esthétiques et psychiques". (il faudra revenir sur cette notion d'esthétisme pour Lupasco...)
La logique de l'énergie vue selon la logique du contradictoire, l'ontologique de S. Lupasco, laisse cependant un concept en dehors : l'affectivité. Le philosophe l'a toujours dit et écrit clairement : l'affectivité n'est pas de l'énergie. L'affectivité n'est pas logique mais alogique. Elle est. Comme l'être, elle est, mais sans rapport avec l'énergie donc avec le "reste".
Dominique Temple écrit : "l'affectivité se traduit comme un en-soi absolu.(...)A cause de ce caractère absolu, Lupasco situait l'affectivité hors de la conscience de conscience, et n'acceptait pas l'idée que l'illumination de la conscience puisse se fondre en une pure affectivité, le passage lui paraissant impliquer une solution de continuité irréductible entre deux natures."
Pour Lupasco, l'affectivité , c'est à dire en quelque sorte le "sens" que l'humain lui donne et donne à l'univers n'est absolument pas du domaine de la science et de la logique. Dominique Temple, également, ne dit pas autre chose (voir plus haut). Stéphane Lupasco a construit une logique de l'énergie, cette dernière existe, mais il lui est impossible scientifiquement et logiquement de trouver le "sens" de cette énergie.
L'affectivité est un arbitraire, dont on ne pourrait rien dire en rapport avec les tri-composantes de l'énergie/matière.
Il y a là manifestement une discontinuité éminemment singulière !
J'ai déjà écrit mon avis sur la question dans Discontinuité... Je ne peux concevoir, aujourd'hui, qu'une discontinuité aussi "fondatrice" que l'affectivité pour la subjectivité ne puisse se relier à rien d'autre qu'au "néant". Car Lupasco oublie que si d'une "entité", d'une "chose", il est impossible d'y relier un signe intelligible quelconque (par une intelligence quelconque), cela signifie selon lui, soit qu'elle est "néant" ou "tout" ou le contradictoire irréductible et non pas seulement un des termes ici écrit !
Mais je crois personnellement que Stéphane Lupasco par son intelligence savait parfaitement ce qu'il ne voulait pas questionner, avec cette question sur l'affectivité : l'arbitraire du sens !
Dans cet entretien accordé en 1987, Stéphane Lupasco résume son approche de manière très claire.
Voyons çà.
Actualisation/Potentialisation, Hétérogène/Homogène et matière/énergie sont les trois doublets qui permettent de débuter. Il faut bien comprendre qu'un doublet ainsi défini est "irréductible" : dit autrement, chaque élément d'un doublet ne peut exister sans l'autre, sans son contradictoire. Ainsi, en première approche, le doublet défini est non-contradictoire.
L'articulation est la suivante :
Lorsque la matière/énergie actualise l'homogène et potentialise l'hétérogène, il advient la matière "inerte", macrophysique, nos "objets".
Lorsque la matière/énergie potentialise l'homogène et actualise l'hétérogène, il advient la matière "vitale", les êtres vivants.
Stéphane Lupasco se rend compte ensuite qu'il existe un état, un moment, où actualisation et potentialisation sont parfaitement symétriques, dit autrement, dans le doublet des antagonistes existe un état parfaitement contradictoire, l'état "mi-mi" en quelque sorte, parfaitement indéterminé. Cet état est nommé le tiers inclus et étend ainsi explicitement le doublet en triplet ou triade. Cet état explicité existait avant dans le doublet sous forme implicite, le rendre visible permet ainsi de donner toute la consistance à la logique ainsi conçue.
Lorsque la matière/énergie ni n'actualise l'homogène ni potentialise l'hétérogène ni potentialise l'homogène ni actualise l'hétérogène exactement, ou dit de façon plus condensée en tenant compte de la propriété du doublet contradictoire : ni actualise/potentialise l'hétérogène/homogène, ce qui est exactement équivalent aux trois autres permutations existantes *, alors il advient la matière "microphysique" ou/et psychique.
(* ni actualise/potentialise l'homogène/hétérogène <=> ni potentialise/actualise l'hétérogène/homogène <=> ni potentialise/actualise l'homogène/hétérogène <=> ni {actualise, potentialise} le {homogène, hétérogène}, cette dernière notation personnelle "contenant" les 4 permutations ou états possibles et servant aussi à écrire un triplet lupascien)
Ainsi l'énergie/matière fait advenir trois matières, chacune ensemble en même temps au même endroit.
La troisième matière, révélée par la physique quantique, caractérise aussi, d'une façon intuitive pour Stéphane Lupasco, le psychisme du vivant animal (y compris l'humain). Identification par réflexivité : je m'analyse quand je pense, ma conscience de moi me permet d'identifier simplement ce "tiers inclus" à la "structure" de ma pensée. Il est très frappant alors en lisant Lupasco de trouver les mêmes arguments "évidents" dont se sert par exemple François Martin de Volnay pour étudier le psychisme avec des outils de la mécanique quantique et pourtant ce dernier ne se réclame absolument pas de la logique Lupascienne !
Stéphane Lupasco identifie la troisième matière au psychisme du vivant ainsi qu'à celle, microphysique, régie par les lois quantiques; en revanche, il ne donne pas ici clairement les raisons de l'identification formelle du psychique et du "microphysique".
Levons ce paradoxe ou ce malentendu.
Pour Dominique Temple, qui a intégré les concepts lupasciens à sa propre œuvre philosophique, "Lupasco souligne une analogie de structure entre les états coexistants de la physique quantique et la conscience humaine. S'il n'est pas possible de connaître les états coexistants de degré de vérité zéro, il n'est pas impossible qu'ils ne se connaissent eux-mêmes, qu'ils ne soient consciences de consciences. Telle était déjà l'intuition de la noosphère de Teilhard de Chardin et de son évolution continue de l' alfa à l'oméga . " (ref) Ainsi, D. Temple reste prudent et parle d'analogie et non d'identification tout en faisant remarquer qu'il est possible d'envisager cette dernière mais que la preuve est certainement hors champ scientifique et de l'ordre de la révélation.
Lothar Schäfer (qui ne référence pas Lupasco dans son travail), nous l'avons déjà vu ici, ne dit pas autre chose : "Les états virtuels peuvent être décrits comme des Entités Parménidiennes (...) On peut considérer les états cosmiques virtuels comme des idées platoniciennes (...) Face à de tels phénomènes, nous pouvons dire que les particules élémentaires ont des propriétés rudimentaires de conscience. (...) La conclusion en est ici inévitable : la nature du fond de la réalité est semblable à celle d'un esprit. (...) ", cependant il manque à cet auteur l'explicitation du Tiers Inclus et il décrit plus les natures de la Potentialisation et de l'Actualisation.
En convoquant les philosophies Idéalistes allemandes, il fait bien référence à une trinité ("le contraste entre la thèse (l'ego) et l'antithèse (le non-ego) se résout dans la perception de leur unité dans un ego absolu. (Hirschberger, 1981, p.368)") mais cette confrontation avec le contradictoire absolu ou irréductible : "Les états quantiques virtuels représentent un ordre qui est à la fois immanent (les états quantiques sont dans les choses) et transcendant" ne semble bien déboucher pour lui que sur une interrogation du divin : "On arrive ainsi à se demander pourquoi on ne peut penser ensemble la réalité
immanente-et-transcendante et au-delà-de-ce-monde-et-dans-le-monde, qui est Dieu, avec la réalité
immanente-et-transcendante et au-delà-de-ce-monde-et-dans-le-monde qui est la réalité quantique ?"
Basarab Nicolescu est aussi nuancé que le philosophe Dominique Temple en écrivant ici : "En effet, pour Lupasco il doit y avoir isomorphisme (et non pas identité) entre le monde microphysique et le monde psychique. (...) Le monde quantique et le monde psychique sont deux manifestations différentes d'un seul et même dynamisme tridialectique. Leur isomorphisme est engendré par la présence continuelle, irréductible de l'état T dans toute manifestation."
Le malentendu lupascien provient en fait d'une subtilité évidente mais mal comprise : la potentialisation est pour lui clairement une conscience "élémentaire" de l'actualisation, mais ce n'est pas la conscience de la conscience, ou "conscience de soi" pour le vivant. Dominique Temple est très clair là dessus : "Le principe d'antagonisme conduit ainsi à la reconnaissance d'une entité sans matière ni énergie, aussi réelle que la réalité, une matière-énergie, qui est à la fois une conscience de conscience. Lupasco l'appelle l'énergie psychique. (...) L'énergie psychique a bien une spécificité comme conscience de soi, révélation transparente d'elle-même, dénuée de toute connaissance autre que la sensation de sa liberté propre, mais cette dynamique n'en est pas moins relié aux pôles du contradictoire par tous les degrés de vérité de Weizsäcker, de sorte qu' entre la conscience de soi et les consciences élémentaires peuvent apparaître toutes les consciences de consciences que nous appellerons consciences objectives." et en note ce commentaire limpide : "Le principe d'antagonisme implique que l'actualisation de l'énergie et de la matière ne peuvent atteindre une non-contradiction absolue. Dans toute matière ou énergie il demeure donc du contradictoire qui la relie à l'énergie psychique, mais réciproquement, le contradictoire ne peut s'affranchir des dynamismes qui lui donnent naissance par leur confrontation. Il n'y a pas d'esprit sans matière et sans énergie."
Cette dernière phrase peut s'écrire symétriquement : " il n'y a pas de matière sans énergie et sans esprit" ou "il n'y a pas d'énergie sans matière et sans esprit", les trois possibilités sont équivalentes, au moins d'un point de vue logique.
Pour Stéphane Lupasco, il n'y a plus identité absolue, mais seulement isomorphisme, car sa logique du tiers inclus explicite proprement chaque dynamisme dans une triade où aucun des trois éléments inclus ne peut s'expliciter sans les deux autres.
Il est frappant ici de constater d'ailleurs l'analogie (ou l'isomorphisme !) entre cette triade conceptuelle et le triplet de quarks de la chromodynamique quantique. (nous y reviendrons...) De telles analogies existent dans d'autres domaines, par exemple, les divers "courants" de spiritualité comme ceux de la religion en sont riches !
Ainsi, les trois matières/énergies définies plus haut le sont irréductiblement en référence à elles mêmes. L'identité propre à chacune est seulement vue désormais comme une limite "idéale" ou "matérialiste" mais sans consistance. Seule la triade lupascienne inclusive est consistante. Mais que définit elle exactement ?
B. Nicolescu le rappelle clairement : "La structure ternaire de systématisations énergétiques se traduit, (...), par la structuration de trois types de matières, ou plutôt par l'existence de trois orientations privilégiées d'une seule et même matière.(...) ses trois aspects constituent... trois orientations divergentes (...) La conclusion que toute manifestation, tout système comporte un triple aspect - macrophysique, biologique et quantique (microphysique ou psychique) - est certes étonnante et riche de multiples conséquences."
Ainsi, la triade est unitaire et définit en quelque sorte une nouvelle vue du "point", de l'unité. C'est une vue du point beaucoup plus riche et complète que le simple "point-identité". Pour les mathématiques, la triade lupascienne est analogue au triplet spectral utilisé par Alain Connes en géométrie non commutative : une "redéfinition" du "point" de l'espace "généralisé" en quelque sorte.
Et cette triade est "ouverte" c'est à dire que bien que complète, elle est irréductiblement liée à toutes les triades possibles de l'univers. "La tridialectique lupascienne est une vision de l'unité du monde, de sa non-séparabilité" écrit Nicolescu. Elle aboutit aussi à l'idée qu'il n'y a pas de constituant ultime, pas de brique élémentaire, que "tout système est toujours système de système". Le tiers inclus est ainsi l'élément logique irréductible qui ouvre irrémédiablement la systémogénèse lupascienne.
Ces propriétés de la logique de l'énergie ont des conséquences sur l'espace-temps, ce que les physiciens cherchent "désespérément" à démontrer depuis presque un siècle (la fameuse théorie unificatrice ou bien la théorie de la gravité quantique), c'est à dire une quantification aussi bien de l'espace que du temps : "Le temps évolue par saccades, par bonds, par avances et reculs... " nous dit Lupasco. "L'espace-temps quantique est celui de la troisième matière, des phénomènes quantiques, esthétiques et psychiques". (il faudra revenir sur cette notion d'esthétisme pour Lupasco...)
La logique de l'énergie vue selon la logique du contradictoire, l'ontologique de S. Lupasco, laisse cependant un concept en dehors : l'affectivité. Le philosophe l'a toujours dit et écrit clairement : l'affectivité n'est pas de l'énergie. L'affectivité n'est pas logique mais alogique. Elle est. Comme l'être, elle est, mais sans rapport avec l'énergie donc avec le "reste".
Dominique Temple écrit : "l'affectivité se traduit comme un en-soi absolu.(...)A cause de ce caractère absolu, Lupasco situait l'affectivité hors de la conscience de conscience, et n'acceptait pas l'idée que l'illumination de la conscience puisse se fondre en une pure affectivité, le passage lui paraissant impliquer une solution de continuité irréductible entre deux natures."
Pour Lupasco, l'affectivité , c'est à dire en quelque sorte le "sens" que l'humain lui donne et donne à l'univers n'est absolument pas du domaine de la science et de la logique. Dominique Temple, également, ne dit pas autre chose (voir plus haut). Stéphane Lupasco a construit une logique de l'énergie, cette dernière existe, mais il lui est impossible scientifiquement et logiquement de trouver le "sens" de cette énergie.
L'affectivité est un arbitraire, dont on ne pourrait rien dire en rapport avec les tri-composantes de l'énergie/matière.
Il y a là manifestement une discontinuité éminemment singulière !
J'ai déjà écrit mon avis sur la question dans Discontinuité... Je ne peux concevoir, aujourd'hui, qu'une discontinuité aussi "fondatrice" que l'affectivité pour la subjectivité ne puisse se relier à rien d'autre qu'au "néant". Car Lupasco oublie que si d'une "entité", d'une "chose", il est impossible d'y relier un signe intelligible quelconque (par une intelligence quelconque), cela signifie selon lui, soit qu'elle est "néant" ou "tout" ou le contradictoire irréductible et non pas seulement un des termes ici écrit !
Mais je crois personnellement que Stéphane Lupasco par son intelligence savait parfaitement ce qu'il ne voulait pas questionner, avec cette question sur l'affectivité : l'arbitraire du sens !
Inscription à :
Articles (Atom)