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dimanche 24 octobre 2010

L'Amour - La Solitude - Partie B


Dans L'amour La Solitude, partie A, j'ai présenté ma lecture personnelle d'une partie de ce livre de André Comte-Sponville : "L'amour la solitude". Cette lecture m'a permis de prendre avec moi des enseignements amicaux, de les agréger, de les transformer et de les exposer différemment.

Car toute re-présentation est une re-connaissance.


L'amour, La solitude : Violence et Douceur

André Comte-Sponville (ACS) s'entretient ici avec Judith Brouste, écrivain et amie du philosophe. Que l'entretien, ici, soit entre un homme et une femme n'est pas anodin pour la teneur de la co-écriture exposée.
Je prétends également que parler d'amour et d'intimité de l'amour n'est réellement fécond pour l'esprit de "l'honnête homme/femme" que si le dialogue s'instaure entre deux personnes de sexe opposé. Car seule l'opposition apporte, par l'ambivalence également implicitement ou explicitement présente, une "voie de sortie" autre que fusionnelle et/ou consensuelle, bref inextinguible. Mais deux personnes de sexe opposé n'arrivent pas toujours, hélas, à engendrer cette "sortie verticale": cet argument me semble nécessaire mais non suffisant...

ACS parle ici d'abord de son amour de la littérature que, jeune, il a exploré avec avidité. Et puis, un jour, il a pris conscience que la vie, "la vie surtout, la vie toute simple, toute vraie, et tellement difficile", s'était glissée là, dans ce rêve que jusque là, il entretenait avec elle. "La vie est un roman suffisant, non ?"

Car la vie est là et éclaire les blessures et la fragilité des hommes. "Ce que les gens disent, le plus souvent, ne sert qu'à les protéger : rationalisations, justifications, dénégations... A quoi bon ?"

La parole devrait pourtant servir à cesser de se cacher.

ACS parle aussi des philosophes et de leurs systèmes philosophiques. "Un système est un vêtement, qui protège et masque. J'aime mieux la nudité des corps et des idées. (...)A quoi bon inventer un système ?"

Oui, rendu à ce point, moi également, je me demande s'il est toujours bon "d'inventer" des systèmes ou du moins de les raconter, de les relever, de les exposer, de les relier : à quoi bon ? Et bien, il semble qu'ACS esquisse une réponse : pour se rapprocher de sa blessure, "plutôt, comme presque toujours, que de tourner autour ou d'essayer de la dissimuler."
Finalement, et je l'ai déjà raconté, "créer" un système ou s'en emparer (ce qui au moins pour soi revient au même) c'est se permettre de verbaliser l'indicible qui est là. C'est une certaine manière de s'emparer de son être pour le transmettre, ensuite. Le trans-mettre où ? Le mettre , mais trans-formé. S. Prajnanpad nous l'a enseigné déjà : l'unique chemin qui vaille est celui qui vous fait être, ici et maintenant.

Ainsi, un système ne fait point voyager au sens commun du terme, il existe pour trans-former l'être, indépendamment de l'espace-temps envisagé. C'est à dire alors qu'accumuler les systèmes revient à se dénuder : voilà un joli mouvement d'antagonismes ! A ne pas galvauder ni raccourcir : accumuler les idées et les systèmes formels d'idées permet la nudité in fine, pas l'accumulation de biens matériels ou de divertissements littéraires...

Mais, et c'était un thème récurrent dans certains de mes échanges amicaux de ces derniers mois, jusqu'où se dénuder, se demande t on ? (non, sans malice évidemment) (ou de manière plus "systémique" : jusqu'où "décentrer" le référentiel ?)
Il semble y avoir deux réponses possibles :
- jusqu'à accumuler suffisamment d'idées, de systèmes, de référentiels, donc d'informations, pour atteindre un état maximal de pertinence, donc pour exposer du sens. Cette pertinence exposée, détruisant alors non l'information accumulée mais le ou les sens précédemment relevés. L'accumulation, ici, engendre alors une destruction en même temps qu'une émergence, de sens, de pertinence. Cette destruction peut être assimilée à un "déshabillage" aboutissant peu à peu à une "nudité"et l'émergence peut être assimilée à un re-centrage ou bien un mouvement vers le "cœur" de l'être. La nudité est alors liée à ce que l'être est "le plus en propre" : se dénuder pour cesser de se cacher, se dénuder pour se trouver, en quelque sorte...
- jusqu'à être confronté au néant de l'ennui, de la vanité, de la futilité, de la solitude et de la tristesse. Cela doit être nécessaire sinon suffisant pour prendre conscience, alors, du plein de l'amour, de la joie, de l'humilité, de la gravité et de l'interdépendance absolue des êtres.

Comme dit ACS : "la question n'est pas de savoir si la vie est belle ou tragique, dérisoire ou sublime (elle est l'un et l'autre évidemment), mais si nous sommes capables de l'aimer telle qu'elle est, c'est à dire de l'aimer."

Sommes nous alors capables d'aimer ? Et qu'est ce donc que l'amour ?

Le "déshabillage" est analogue "au débarrassage des pelures " de soi-même : un passage par l'ombre, une certaine mort de "soi", de l'ego. La vraie "vie vraie" est là mais l'ego s'en empare et prend toute la place. F. Midal et C. Trungpa nous ont déjà appris cela : comment les "passages", les seuils, (initiatiques ?), les bardo, peuvent être autant de "résurrections" pour vivre un "présent qui dure", cette éternité de l'instant qui dure.

L'absence à "soi", à son ego, n'est pas alors dispersion ou folie mais son exact contraire : "disponibilité; non divertissement, mais accueil.(...) attention." L'absence à soi, à son ego, est alors un affranchissement, une libération, un don : "que peut on prendre au don, quand il n'a rien à donner que soi ? (...) La vie libérée de soi : l'éternité. Le désir libéré du manque : l'amour. La vérité sans phrases : le silence."

Eternité, Amour, Silence. Ce n'est point mystique ni encore moins mystérieux : c'est le simple de la vie !

André Comte-Sponville nous a déjà enseigné comment l'espérance et la dés-espérance étaient liés à l'amour (voir L'amour, la solitude, partie A). Il rappelle ici, avec Judith Brouste, le relativisme de Spinoza : "ce n'est pas parce qu'une chose est bonne que nous la désirons, c'est parce que nous la désirons que nous la jugeons bonne." Alors, l'amour, le désir, semble premier. Mais, précise ACS, "c'est le Réel qui est premier, mais il ne vaut que par et pour l'amour."
L'amour est désir, l'amour est jouissance, en puissance (potentielle) et en action (actuelle).
Et il ne faut pas confondre le désir du manque (la souffrance) et le désir de la présence : l'amour.

Ainsi désirer, aimer un être serait se réjouir de son existence, "qui est là", et non de son manque à notre ego; se réjouir de sa différence, de sa singularité qui constitue son être indivisible et non des écarts mesurés ou mesurables à notre ego. ACS rappelle alors les trois "visages" traditionnels de l'amour : (eros, philia et agapé). L'amour qui prend, celui qui partage et enfin le dernier qui donne. Vision "tri-dimensionnelle" de l'amour, vision "inclusive" de ce sentiment qui lie ensemble deux antagonistes reliés par un tiers inclus : prend, donne, partage.
S. Lupasco, dois je le rappeler, nous a appris de manière générique qu'une triade ainsi constituée contient une tension, est une tension.
L'amour, ainsi défini, est une tension. Ce que, finalement, tout à chacun, sait déjà...

Et cette tension est violence. Et cette tension est douceur.

André et Judith abordent alors l'amour physique : la violence de la sexualité. " Dans le sexe, on risque son identité, celle de l'autre. On risque de ne plus savoir qui on est, de perdre ses petits repères." Oui, le sexe révèle certainement "un peu de la vie à l'état pur : bouleversante, effrayante. Toujours collée à la mort. Toujours collée à soi.(...) un bloc d'abîme (...) la nuit obscure : l'horreur éblouissante."

Car le sexe est amorale, comme la vie, et "c'est aussi pourquoi il nous oblige à en avoir une" : les comportements sexuels sont moralement indifférents mais certains sont moralement condamnables. La littérature n'a rien inventé : "l'horreur est en nous, en nous la bête et le bourreau."
Sade ou G. Bataille n'ont rien inventé, pas plus que tous les auteurs de toutes époques ayant écrit sur la sexualité et ses différents "visages" (érotisme, pornographie...) (comme le montre cette page wiki.)

L'Origine du monde de G. Courbet - 1866

La sexualité est puissance de vie comme de mort. "Post coïtum omne animal triste est". C'est que, selon ACS, l'animal "a vu la vie face à face, et qu'elle ressemble à la mort comme sa sœur jumelle". La sexualité assène ainsi cette gravité de la vie, obscure et effrayante : "sous l'amour, la mort".
Nous avons déjà vu cela d'une certaine manière avec le Dr Girard dans Feminin/Masculin... où l'analogie du renversement proposé entre les deux sexes peut aussi se lire comme le renversement ultime (intégrant le temps en l'espèce) entre la vie et la mort. Le complexe de castration freudien relu par Marc Girard comme le "complexe de la détumescence phalique" (c'est moi ici qui raccourcit le propos) rejoint d'emblée ce que nous raconte A. Comte-Sponville ici et prend ainsi, s'il en était besoin, une autre légitimité : en effet, il apparait plus clair car plus banal, plus quotidien, l'effroi devant la détumescence réelle et pragmatique de l'homme que devant une castration imaginaire de la femme. Cet effroi fait peur, la mort fait peur, c'est pourquoi le sexe fait peur, mais comme le précise ACS, très sage, n'exagérons pas ces abîmes non plus : "nos plaisirs sont plus ordinaires, nos abîmes, plus médiocres.(...) Le corps est plus simple que les discours qu'on fait autour, et plus proche de la bête, pour le meilleur et pour le pire, que du divin..."

Et l'amour "qui se fait" est aussi douceur.

"Tu n'es aimé que lorsque tu peux montrer ta faiblesse, sans que l'autre s'en serve pour affirmer sa force" nous rappelle ACS en citant T.W. Adorno dans Minima moralia.

L'amour est alors ici "une puissance qui refuse de dominer,  une force qui refuse de s'exercer". L'amour est aussi douceur : "c'est la vie même, qui dévore et qui protège, qui prend et qui donne, qui déchire et qui caresse...
L'amour-douceur ainsi défini rappelle les mots de RM Rilke ds le Printemps :

Que vaudrait la douceur
Si elle n’était capable,
Tendre et ineffable,
De nous faire peur ?
                           
Elle surpasse tellement
Toute la violence
Que, lorsqu’elle s’élance,
Nul ne se défend.
Judith Brouste, ici, s'oppose au philosophe ami : "l'expérience m'a appris qu'à montrer sa faiblesse, l'autre s'y engouffre pour la rendre plus grande. Je ne crois pas aux bienfaits de l'amour. Je ne crois pas au paradis du sexe."
ACS lui répond que si elle pointe ici les "bienfaits de l'état amoureux", lui non plus n'y croit pas. Le sentiment amoureux, la passion, n'est pas le tout de l'amour, nous l'avons déjà vu avec la triade, plus haut. Eros exalté, c'est le "délire de l'imaginaire et du désir, ce narcissisme à deux...(...) Ce n'est qu'un leurre de l'ego."

La vraie question selon le philosophe "est de savoir s'il faut cesser d'aimer quand on cesse d'être amoureux (...) ou bien s'il faut aimer autrement, et mieux." De nombreux couples nous montrent la voie possible, la voie difficile, comme le soulignais Rilke : ...Il est bon aussi d'aimer; car l'amour est difficile."




Je me suis demandé alors cependant s'il n'était point possible d'aimer entièrement et inconditionnellement une personne sans passer par Eros. Est ce alors de l'amour en totalité, en entier ? La logique exposée ici voudrait que non. On oublie alors un peu vite l'amour filial par exemple où la douceur de l'amour prime sur sa violence. ACS le rappelle : "et c'est ce que la mère sait bien, ce que l'enfant sait bien, et par quoi l'humanité s'invente, (...) en surmontant la bête malgré tout qui la dévore."
Car même si certains enfants entrevoient parfois la bête, chez l'adulte censé les aimer et les protéger, il n'en reste pas moins enfants et adultes advenus, aimants et aimables, pouvant aimer et être aimé. La violence ou l'ego-ïsme est peut-être nécessaire à la totalité de l'amour mais ils ne sont pas justement suffisants pour le définir ou le détruire.

Alors, le sentiment amoureux dans l'amour ?

Et bien, j'ose prendre les mots de ACS pour finir et répondre à la question du type de femme que j'aime : "Celles qui ne se font pas d'illusions sur les hommes, et qui les aiment pourtant" En ajoutant, pour ma part : ...inconditionnellement.


"Ces femmes existent, (...), et c'est le plus cadeau qu'elles puissent nous faire : un peu d'amour vrai, de désir vrai, de plaisir vrai...C'est ce que j'aime dans la nudité, dans la sexualité, dans la rencontre risquée des corps : cette vérité parfois qui s'y joue, qui s'y dévoile, qui s'y abandonne...Cela suppose, presque toujours, qu'on prenne le temps de se connaitre, de s'apprivoiser, de s'aimer. Puis la vie passe, et nous passons avec elle..."


à suivre...


mercredi 10 mars 2010

Féminin/Masculin <=> Temps

C'est la "fameuse" grippe A (H1N1) de l'année 2009 qui m'a relié au Dr Marc Girard. Ce médecin et psychothérapeute est expert en pharmaco-vigilance et, à ce titre, a alimenté quelque peu les polémiques sur la pertinence de la vaccination massale proposée aux Français.
Mais je reviens ici sur ses écrits sur la femme tels qu'ils les proposent dans ses deux articles : "La brutalisation du corps féminin..." et "La femme satyre...".

*

Dans le premier article, Marc Girard propose son analyse de la médicalisation du corps féminin, essentiellement comme une analogie d'un renversement.
Pour lui, les ritualisations médicales (à l'occasion d'un visite au planning familial ou d'un accouchement) sont perverses en ce sens que le discours qui les installe ("exigence hippocratique de chasteté" par exemple) diverge totalement avec le sens des actes pratiqués ("attentat à la pudeur" ou dé-"possessivité du mâle" face aux "actes de barbarie" pratiqués sur la femme). Ces "rituels d'inversion" comme les nomme Marc Girard sont renforcés symétriquement par le silence du corps médical face à certains problèmes de la femme comme les mycoses génitales ou le défaut d'allaitement. Des premières, aucune information claire et précise (malgré la littérature disponible) sur les risques iatrogènes de la contraception orale; du second, aucune parole sur le lien pourtant démontré entre orgasme et production de lait via l'ocytocine ! Dans les deux cas, l'homme -en tant que partenaire sexuel et/ou père- est soit mis à contribution de façon inutile, soit relégué en tant que "fonction" asexuée. Mais ces actes, nous dit Marc Girard, reflètent un état d'esprit plus profond : le déni de la" perplexité de l'homme devant la féminité" et "sa fascination pour [son] esthétique".
La femme est ainsi niée à tout âge et avec beaucoup de mauvaise foi tant la pertinence de l'argumentation retenue par le corps médical est construite de manière ad hoc, à l'opposé d'un véritable discours scientifique : contraception féminine, ménopause, procréation artificielle sont autant d'espaces où s'exerce le déni médical de l'intégrité sexuelle de la femme, voire de son intégrité d'humain tout court !
Le corps et la psyché de la femme sont constamment martyrisés tant le modèle médical du féminin est sinon outrageusement simplifié voire carrément absent. Ainsi les organes de la femme aux fonctions subtiles et complexes deviennent sinon remplaçables au moins tout à fait inutiles et les procédures de soins se transforment en automatismes aux effets antagonistes à ceux prévus par la promotion médicale !
La médecine a "réponse à tout" et Marc Girard pointe bien un excès de la "brutalité séculaire" de la médecine occidentale sur le corps féminin en lien avec une constante "surveillance toute spécifique" de chaque étape de la vie (de la pré-puberté à la post-ménopause). Cet excès amène irréductiblement au renversement d'un statut ou d'un principe féminin par sa négation même. Pire, Marc Girard souligne toute la perversité de ce renversement quand il s'agit pour la médecine de "récupérer" tout le prestige lié à un double renversement du discours, en l'espèce le dénigrement puis l'encensement de l'allaitement maternel.
Marc Girard tient cependant à replacer le rôle de la médecine occidentale vis à vis de la femme dans un mouvement historique sinon ontologique : "il revient à cette médecine d’avoir déplacé les racines de l’antagonisme d’une angoisse fondamentale – la peur viscérale de l’homme à l’égard des puissances supposées du féminin – à un simple dégoût rationalisé sur la base d’un supposé savoir quant à la physiopathologie des femmes."
Ce déplacement a une origine historique : dès la seconde moitié du XVIIè siècle, avec l'accréditation royale et religieuse des sages-femmes, en concomitance avec la dénonciation des femmes "sauvages" (les "sorcières") "auxquelles la société traditionnelle se référait dans les grands moments" de la vie. Ce geste précis envers la femme est baigné dans le mouvement plus général et plus ancien de la déculturation née de la Contre Réforme et d'une reprise en main des "esprits" populaires par le Concile de Trente sous la poussée des revendications protestantes.
Hélas, comme le souligne Marc Girard, le renversement historique du statut social de la femme est malheureusement toujours d'actualité...

*

Dans le second article, Marc Girard propose un déplacement de la thèse freudienne sur le complexe de la castration. En tant que psychothérapeute, ne voyant plus sans doute dans nos comportements trace issue d'une telle analyse littérale, il propose comme "clé" de la castration non la présence/absence de phallus mais plutôt la tumescence/détumescence de ce dernier. Ainsi, la femme ne connait pas la castration parce qu'elle n'a pas effectivement de phallus et l'homme l'expérimente symboliquement tout au long de sa vie !
Le "complexe" se déplace ainsi du champ de la possession matérielle binaire (en avoir ou pas) à celui d'une expérimentation de puissance sexuelle partielle : être "puissant" ou impuissant, selon l'état de son organe génital mais aussi de son "identité" sexuelle.
D'abord, la puissance/impuissance sexuelle est elle un problème égalitaire ? Selon Marc Girard, c'est tout à fait le cas mais d'une manière tout à fait particulière : si l'expérience de la détumescence constitue une "épreuve de vérité" pour l'homme et lui permet, face à cette contrainte physiologique, de se structurer, l'absence d'expérience de même nature pour la femme la contraint à se "structurer" sur un autre champ que celui restreint du coït ! (Or, ces autres champs sont, nous l'avons vu plus haut avec le premier article, pervertis par la société.) Pour appuyer sa thèse, Marc Girard convoque un cas extrême en relatant longuement les expériences sexuelles narrées de Catherine Millet où "embargo sur la détumescence" et "exil de l'orgasme" illustrent laborieusement "la misère sexuelle" de la narratrice. Cet exemple, analysé, in fine, comme un déplacement de la libido du stade génital à l'oral, sert à Marc Girard de catharsis pour démontrer que l'expérimentation sexuelle d'une puissance "continue" est un déni de l'inégalité des sexes, car la détumescence [vue comme l'expérimentation sexuelle d'une puissance "discontinue"] constitue bien la "limite (...) à l'égalité entre les sexes" ! En gros, nier l'inégalité des sexes, c'est désexuer la société, et augmenter la brutalité et la violence des rapports humains, notamment via le monde du travail. Marc Girard termine son article en reliant, par son activité de psychothérapie, la névrose féminine à un substitut du complexe de la castration (ce qui, il me semble, n'est pas nouveau comme interprétation...)...

*

Ainsi, par ses deux articles, Marc Girard pointe le masculin/féminin dans la société par le prisme du féminin et met en exergue une convergence de deux mouvements ayant pour résultat la déstabilisation d'une harmonie sociale. Ces deux mouvements s'inscrivent pour moi dans un rapport similaire au temps et l'harmonie synchronique constatée vient renforcer la disharmonie sociale.
Explicitons. Le premier mouvement est lié au coït donc à la confrontation temporaire ("court terme") des deux sexes et le constat à cet instant de leur "différence" réside en fait entièrement dans l'expérimentation individuelle d'une puissance ou d'une maîtrise, continue pour le féminin et discontinue pour le masculin, d'après Marc Girard. Cette interprétation reste perverse en ce sens qu'elle réduit l'humain sexué à une binarité exemplairement "matérielle" (au sens où la discontinuité "est" l'actuel (donc le matériel) et la continuité "est" le potentiel par exemple). Cette réduction sur l'humain sexué est voulue par la société qui privilégie clairement le discontinu au continu et donc dans ce sens le masculin au féminin. Cette réduction explicitée est donc la négation de la position inverse ! Elle nie donc le plaisir sexuel féminin comme une voie vers le continu, à ce qui relie, à la complexité. Elle empêche enfin la conciliation des deux sexes sur la voie complexe d'une expérimentation duale (féminin ou masculin) et donc unitaire (féminin et masculin à la fois).
Le deuxième mouvement est lié essentiellement à la fécondité/reproduction donc à la confrontation "long terme" des deux sexes et le constat sur une longue période de leur "différence" réside en fait entièrement dans l'expérimentation sociétale de la puissance ou maitrise liée à la fécondité/reproduction, continue et stable (pour la phylogenèse) pour le féminin, discontinue et instable pour le masculin. Ainsi, nier les attributs reproducteurs de la femme dans sa médicalisation excessivement brutale, c'est nier la puissance et la stabilité phylogénique du féminin en exposant de manière très excessive symétriquement l'instabilité du masculin. Cette réduction va dans le même sens que celle issue du premier mouvement et dans la même volonté du rapport au temps : vouloir supprimer la mémoire, rester dans le court (terme), figer un discontinu, arrêter le temps.

*

Dans un article paru dans un hebdo, Françoise Héritier m'a interpellé sur cette question fondatrice du rapport féminin/masculin et j'ai trouvé ses réflexions issues des travaux de sa vie tout à fait passionnantes pour généraliser les propos de Dr Girard. Je me sers ici d'un article de Agnès Fine pour résumer et illustrer mon propos :
Françoise Héritier, anthropologue structuraliste dans la lignée de Claude Lévi-Srauss, a cherché le fondement de la hiérarchie entre les sexes dans le questionnement des systèmes de parenté construits sur "un donné biologique élémentaire". En comparant les rapports masculin/féminin dans ceux de parent/enfant et aîné/cadet qui contiennent "l'ordre naturel" (ancré dans le temps, dans la succession non commutative des lignées) des générations, elle remarque un rapport asymétrique : celui de sœur aînée par rapport à frère cadet (combinaison non commutative) qui signe selon elle "la valence différentielle des sexes", ce que Pierre Bourdieu nomme "la domination masculine". Cette valence différentielle est universelle et s'inscrit pour Françoise Héritier dans la pensée de la différence (la première différence observable étant sur l'anatomie de l'humain !). L'universalité de cette valence différentielle repose selon l'anthropologue sur la volonté de contrôle de la reproduction de la part de ceux qui ne disposent pas de ce pouvoir si singulier et, en généralisant, sur la volonté de maitrise de la cosmologie et du monde surnaturel.

Ainsi, les mouvements explicités par le Dr Girard et élargis par mes soins seraient universels, selon l'anthropologue structuraliste Françoise Héritier. Pierre Bourdieu ne dit pas autre chose, seulement il lui donne une causalité différente et le lien entre ces deux auteurs est un déphasage, donc une vue différente sur le temps. Car rechercher un invariant structurant "externe" (soi disant en dehors d'une subjectivité) ou un "pivot" constructeur "interne" (soi disant en dehors d'une objectivité) reflète bien curieusement le même mouvement déphasé et interroge la causalité. Encore une fois, n'est il pas possible de saisir, avec la logique du tiers inclus, les contradictoires apparents ?

Ce que je relie ici c'est finalement le sexe et le temps. Distinguer une valence différentielle des sexes, c'est intégrer dans sa démarche une évolution et un développement (aussi bien au sens biologique que sociologique) et c'est vouloir s'affranchir de la symétrie implicite sous-jacente : le temps ! Distinguer une construction incessante et permanente issue d'acteurs, c'est aussi intégrer dans sa démarche une évolution et un développement (au moins historique !) et vouloir implicitement s'affranchir du temps (en l'intégrant explicitement) ! Les deux positions sont liées par le temps de manière antagoniste.
Je définis ainsi une triade lupascienne (féminin, masculin, temps) qui a le mérite de contenir les deux causalités explicitées voire de permettre d'en visualiser d'autres (?).

Ainsi, le renversement du Dr Girard est un renversement du temps, du moins celui que psychiquement nous ressentons tous et qui nous conditionne. Françoise Héritier invoque elle aussi ce retournement lorsqu'elle place côte à côte l'évolution du féminin et du masculin dans la reproduction : le masculin (avec le test ADN) devient certain et le féminin (avec le don d'ovules, la FIV, la sélection d'embryons, les mères porteuses, ...) devient "éclaté" et incertain (qui est la "mère" ?). Lorsque le couple féminin/masculin se perturbe, il fait bouger aussi les couples parent/enfant et aîné/cadet, et nous retrouvons ainsi les perturbations partout dans la société. Cette dernière phrase se voulant a-causale, nous pouvons écrire aussi que ce sont les perturbations sociales qui in fine engendrent sinon un renversement, du moins un déplacement très net au sein du couple féminin/masculin.
Je souhaite envisager ce "déplacement" comme une réorganisation au sein de la triade {masculin, féminin, temps} et relier ainsi toutes les questions essentielles du masculin/féminin à notre rapport au temps.
Il faudra y revenir...