Mais je reviens ici sur ses écrits sur la femme tels qu'ils les proposent dans ses deux articles : "La brutalisation du corps féminin..." et "La femme satyre...".
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Pour lui, les ritualisations médicales (à l'occasion d'un visite au planning familial ou d'un accouchement) sont perverses en ce sens que le discours qui les installe ("exigence hippocratique de chasteté" par exemple) diverge totalement avec le sens des actes pratiqués ("attentat à la pudeur" ou dé-"possessivité du mâle" face aux "actes de barbarie" pratiqués sur la femme). Ces "rituels d'inversion" comme les nomme Marc Girard sont renforcés symétriquement par le silence du corps médical face à certains problèmes de la femme comme les mycoses génitales ou le défaut d'allaitement. Des premières, aucune information claire et précise (malgré la littérature disponible) sur les risques iatrogènes de la contraception orale; du second, aucune parole sur le lien pourtant démontré entre orgasme et production de lait via l'ocytocine ! Dans les deux cas, l'homme -en tant que partenaire sexuel et/ou père- est soit mis à contribution de façon inutile, soit relégué en tant que "fonction" asexuée. Mais ces actes, nous dit Marc Girard, reflètent un état d'esprit plus profond : le déni de la" perplexité de l'homme devant la féminité" et "sa fascination pour [son] esthétique".
La femme est ainsi niée à tout âge et avec beaucoup de mauvaise foi tant la pertinence de l'argumentation retenue par le corps médical est construite de manière ad hoc, à l'opposé d'un véritable discours scientifique : contraception féminine, ménopause, procréation artificielle sont autant d'espaces où s'exerce le déni médical de l'intégrité sexuelle de la femme, voire de son intégrité d'humain tout court !
Le corps et la psyché de la femme sont constamment martyrisés tant le modèle médical du féminin est sinon outrageusement simplifié voire carrément absent. Ainsi les organes de la femme aux fonctions subtiles et complexes deviennent sinon remplaçables au moins tout à fait inutiles et les procédures de soins se transforment en automatismes aux effets antagonistes à ceux prévus par la promotion médicale !
La médecine a "réponse à tout" et Marc Girard pointe bien un excès de la "brutalité séculaire" de la médecine occidentale sur le corps féminin en lien avec une constante "surveillance toute spécifique" de chaque étape de la vie (de la pré-puberté à la post-ménopause). Cet excès amène irréductiblement au renversement d'un statut ou d'un principe féminin par sa négation même. Pire, Marc Girard souligne toute la perversité de ce renversement quand il s'agit pour la médecine de "récupérer" tout le prestige lié à un double renversement du discours, en l'espèce le dénigrement puis l'encensement de l'allaitement maternel.
Marc Girard tient cependant à replacer le rôle de la médecine occidentale vis à vis de la femme dans un mouvement historique sinon ontologique : "il revient à cette médecine d’avoir déplacé les racines de l’antagonisme d’une angoisse fondamentale – la peur viscérale de l’homme à l’égard des puissances supposées du féminin – à un simple dégoût rationalisé sur la base d’un supposé savoir quant à la physiopathologie des femmes."
Ce déplacement a une origine historique : dès la seconde moitié du XVIIè siècle, avec l'accréditation royale et religieuse des sages-femmes, en concomitance avec la dénonciation des femmes "sauvages" (les "sorcières") "auxquelles la société traditionnelle se référait dans les grands moments" de la vie. Ce geste précis envers la femme est baigné dans le mouvement plus général et plus ancien de la déculturation née de la Contre Réforme et d'une reprise en main des "esprits" populaires par le Concile de Trente sous la poussée des revendications protestantes.
Hélas, comme le souligne Marc Girard, le renversement historique du statut social de la femme est malheureusement toujours d'actualité...
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Dans le second article, Marc Girard propose un déplacement de la thèse freudienne sur le complexe de la castration. En tant que psychothérapeute, ne voyant plus sans doute dans nos comportements trace issue d'une telle analyse littérale, il propose comme "clé" de la castration non la présence/absence de phallus mais plutôt la tumescence/détumescence de ce dernier. Ainsi, la femme ne connait pas la castration parce qu'elle n'a pas effectivement de phallus et l'homme l'expérimente symboliquement tout au long de sa vie !
Le "complexe" se déplace ainsi du champ de la possession matérielle binaire (en avoir ou pas) à celui d'une expérimentation de puissance sexuelle partielle : être "puissant" ou impuissant, selon l'état de son organe génital mais aussi de son "identité" sexuelle.
D'abord, la puissance/impuissance sexuelle est elle un problème égalitaire ? Selon Marc Girard, c'est tout à fait le cas mais d'une manière tout à fait particulière : si l'expérience de la détumescence constitue une "épreuve de vérité" pour l'homme et lui permet, face à cette contrainte physiologique, de se structurer, l'absence d'expérience de même nature pour la femme la contraint à se "structurer" sur un autre champ que celui restreint du coït ! (Or, ces autres champs sont, nous l'avons vu plus haut avec le premier article, pervertis par la société.) Pour appuyer sa thèse, Marc Girard convoque un cas extrême en relatant longuement les expériences sexuelles narrées de Catherine Millet où "embargo sur la détumescence" et "exil de l'orgasme" illustrent laborieusement "la misère sexuelle" de la narratrice. Cet exemple, analysé, in fine, comme un déplacement de la libido du stade génital à l'oral, sert à Marc Girard de catharsis pour démontrer que l'expérimentation sexuelle d'une puissance "continue" est un déni de l'inégalité des sexes, car la détumescence [vue comme l'expérimentation sexuelle d'une puissance "discontinue"] constitue bien la "limite (...) à l'égalité entre les sexes" ! En gros, nier l'inégalité des sexes, c'est désexuer la société, et augmenter la brutalité et la violence des rapports humains, notamment via le monde du travail. Marc Girard termine son article en reliant, par son activité de psychothérapie, la névrose féminine à un substitut du complexe de la castration (ce qui, il me semble, n'est pas nouveau comme interprétation...)...
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Ainsi, par ses deux articles, Marc Girard pointe le masculin/féminin dans la société par le prisme du féminin et met en exergue une convergence de deux mouvements ayant pour résultat la déstabilisation d'une harmonie sociale. Ces deux mouvements s'inscrivent pour moi dans un rapport similaire au temps et l'harmonie synchronique constatée vient renforcer la disharmonie sociale.
Explicitons. Le premier mouvement est lié au coït donc à la confrontation temporaire ("court terme") des deux sexes et le constat à cet instant de leur "différence" réside en fait entièrement dans l'expérimentation individuelle d'une puissance ou d'une maîtrise, continue pour le féminin et discontinue pour le masculin, d'après Marc Girard. Cette interprétation reste perverse en ce sens qu'elle réduit l'humain sexué à une binarité exemplairement "matérielle" (au sens où la discontinuité "est" l'actuel (donc le matériel) et la continuité "est" le potentiel par exemple). Cette réduction sur l'humain sexué est voulue par la société qui privilégie clairement le discontinu au continu et donc dans ce sens le masculin au féminin. Cette réduction explicitée est donc la négation de la position inverse ! Elle nie donc le plaisir sexuel féminin comme une voie vers le continu, à ce qui relie, à la complexité. Elle empêche enfin la conciliation des deux sexes sur la voie complexe d'une expérimentation duale (féminin ou masculin) et donc unitaire (féminin et masculin à la fois).
Le deuxième mouvement est lié essentiellement à la fécondité/reproduction donc à la confrontation "long terme" des deux sexes et le constat sur une longue période de leur "différence" réside en fait entièrement dans l'expérimentation sociétale de la puissance ou maitrise liée à la fécondité/reproduction, continue et stable (pour la phylogenèse) pour le féminin, discontinue et instable pour le masculin. Ainsi, nier les attributs reproducteurs de la femme dans sa médicalisation excessivement brutale, c'est nier la puissance et la stabilité phylogénique du féminin en exposant de manière très excessive symétriquement l'instabilité du masculin. Cette réduction va dans le même sens que celle issue du premier mouvement et dans la même volonté du rapport au temps : vouloir supprimer la mémoire, rester dans le court (terme), figer un discontinu, arrêter le temps.
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Dans un article paru dans un hebdo, Françoise Héritier m'a interpellé sur cette question fondatrice du rapport féminin/masculin et j'ai trouvé ses réflexions issues des travaux de sa vie tout à fait passionnantes pour généraliser les propos de Dr Girard. Je me sers ici d'un article de Agnès Fine pour résumer et illustrer mon propos :
Françoise Héritier, anthropologue structuraliste dans la lignée de Claude Lévi-Srauss, a cherché le fondement de la hiérarchie entre les sexes dans le questionnement des systèmes de parenté construits sur "un donné biologique élémentaire". En comparant les rapports masculin/féminin dans ceux de parent/enfant et aîné/cadet qui contiennent "l'ordre naturel" (ancré dans le temps, dans la succession non commutative des lignées) des générations, elle remarque un rapport asymétrique : celui de sœur aînée par rapport à frère cadet (combinaison non commutative) qui signe selon elle "la valence différentielle des sexes", ce que Pierre Bourdieu nomme "la domination masculine". Cette valence différentielle est universelle et s'inscrit pour Françoise Héritier dans la pensée de la différence (la première différence observable étant sur l'anatomie de l'humain !). L'universalité de cette valence différentielle repose selon l'anthropologue sur la volonté de contrôle de la reproduction de la part de ceux qui ne disposent pas de ce pouvoir si singulier et, en généralisant, sur la volonté de maitrise de la cosmologie et du monde surnaturel.
Ainsi, les mouvements explicités par le Dr Girard et élargis par mes soins seraient universels, selon l'anthropologue structuraliste Françoise Héritier. Pierre Bourdieu ne dit pas autre chose, seulement il lui donne une causalité différente et le lien entre ces deux auteurs est un déphasage, donc une vue différente sur le temps. Car rechercher un invariant structurant "externe" (soi disant en dehors d'une subjectivité) ou un "pivot" constructeur "interne" (soi disant en dehors d'une objectivité) reflète bien curieusement le même mouvement déphasé et interroge la causalité. Encore une fois, n'est il pas possible de saisir, avec la logique du tiers inclus, les contradictoires apparents ?
Ce que je relie ici c'est finalement le sexe et le temps. Distinguer une valence différentielle des sexes, c'est intégrer dans sa démarche une évolution et un développement (aussi bien au sens biologique que sociologique) et c'est vouloir s'affranchir de la symétrie implicite sous-jacente : le temps ! Distinguer une construction incessante et permanente issue d'acteurs, c'est aussi intégrer dans sa démarche une évolution et un développement (au moins historique !) et vouloir implicitement s'affranchir du temps (en l'intégrant explicitement) ! Les deux positions sont liées par le temps de manière antagoniste.
Je définis ainsi une triade lupascienne (féminin, masculin, temps) qui a le mérite de contenir les deux causalités explicitées voire de permettre d'en visualiser d'autres (?).
Ainsi, le renversement du Dr Girard est un renversement du temps, du moins celui que psychiquement nous ressentons tous et qui nous conditionne. Françoise Héritier invoque elle aussi ce retournement lorsqu'elle place côte à côte l'évolution du féminin et du masculin dans la reproduction : le masculin (avec le test ADN) devient certain et le féminin (avec le don d'ovules, la FIV, la sélection d'embryons, les mères porteuses, ...) devient "éclaté" et incertain (qui est la "mère" ?). Lorsque le couple féminin/masculin se perturbe, il fait bouger aussi les couples parent/enfant et aîné/cadet, et nous retrouvons ainsi les perturbations partout dans la société. Cette dernière phrase se voulant a-causale, nous pouvons écrire aussi que ce sont les perturbations sociales qui in fine engendrent sinon un renversement, du moins un déplacement très net au sein du couple féminin/masculin.
Je souhaite envisager ce "déplacement" comme une réorganisation au sein de la triade {masculin, féminin, temps} et relier ainsi toutes les questions essentielles du masculin/féminin à notre rapport au temps.
Il faudra y revenir...
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