dimanche 7 mars 2010

Tiers Inclus : Logique, Ontologique et Amour ?

Basarab Nicolescu s'est penché avec attention et rigueur sur l'œuvre de Stéphane Lupasco. Ce physicien théoricien du CNRS qui s'intéresse à la transdisciplinarité a apporté une nouvelle compréhension de la logique du tiers inclus.

Examinons l'axiomatique de la logique du tiers exclu (en reprenant également la métaphysique de la célèbre expérience de pensée dite du Chat de Schrödinger)(déjà citée) :

1) l'axiome d'identité : e=e (un chat vivant est un chat vivant)
2) l'axiome de non-contradiction : e n'est pas non-e (un chat vivant n'est pas un chat mort)
3) l'axiome du tiers exclu : il n'existe pas de troisième terme T qui soit à la fois e et non-e (il n'existe aucun état de chat qui soit à la fois un chat mort et un chat vivant)

En couplant les deux premiers axiomes, on arrive naturellement à saisir que le troisième semble dépendant des deux premiers : non-e n'est pas e (un chat mort n'est pas un chat vivant); on en déduit apparemment qu'il n'existe aucune place pour un tiers entre e et non-e !

A la suite de la mécanique quantique, de nombreux logiciens ont tenté des "logiques quantiques" en modifiant seulement l'axiome de non-contradiction et en imaginant des tables à multiples valeurs de vérité à la place de celle du couple binaire (e; non-e). (un chat mort-vivant est dans un état de superposition de multiples états entre un chat vivant et un chat mort ?) Finalement, on en revenait à dissoudre presque l'axiome d'identité : e est il encore e ? (qu'est ce qu'un chat vivant ?) Cette dissolution est certainement riche d'investigations...

Aujourd'hui, nous comprenons que le principe de complémentarité de Bohr impose la représentation d'un autre "objet" incluant e et non-e (la lumière n'est ni une onde ni une particule ET les deux à la fois, elle est un objet dont les deux propriétés complémentaires ne sont que des valeurs identitaires mais ne sont pas l'"objet" en lui-même)

Lorsque Stéphane Lupasco modifie l'axiome du tiers exclu en le "retournant" : il existe un tiers T qui est à la fois e et non-e, il semble violer l'axiome de la non-contradiction et pourtant il l'étend.
Il définit ainsi pour chaque couple (e; non-e) une table des valeurs logiques issue de son principe d'antagonisme (Actualisation; Potentialisation; Tiers Inclus=quantum de contradictoire=ni A et ni P).
Nous lisons ainsi : e s'actualise (en même temps que) non-e se potentialise
e ni ne s'actualise ni ne se potentialise (en même temps que) non-e {idem}
e se potentialise (en même temps que) non-e s'actualise
de façon abrégé :
e non-e
A P
T T
P A
Le Tiers inclus apparait alors effectivement comme le plus petit "élément" irréductible qui fait exister la non-contradiction entre e et non-e. T est un quantum du contradictoire. La triade ainsi définie (A; P; T) fait coexister les trois termes en même temps.
L'axiome de non-contradiction est aussi non seulement respecté mais étendu :
la contradiction s'actualise (en même temps que) la non-contradiction se potentialise
la non-contradiction s'actualise (en même temps que) la contradiction se potentialise
il n'existe aucun état ni actuel ni potentiel de la contradiction et de la non-contradiction

Paradoxalement, la contradiction et la non-contradiction semblent se soumettre à la logique du tiers exclu. B. Nicolescu nous éclaire dans son article très riche sur le tiers inclus: (...) "le quantum logique faisant intervenir l'indice T est associé a l'actualisation de la contradiction, tandis que les deux autres quanta logiques, faisant intervenir les indices A et P, sont associés à la potentialisation de la contradiction. Dans ce sens, la contradiction est irréductible, car son actualisation est associée à l'unification de e et non-e. Par conséquent, la non-contradiction ne peut être que relative ." T apparaît très clairement ici comme le quantum du contradictoire, comme le plus petit élément logique irréductible de la contradiction qui déplace nettement dans chaque couple (e; non-e) un opposé exclu en un contradictoire inclus.

B. Nicolescu clarifie cette proposition en introduisant la notion de "niveaux de réalité". Il imagine un triangle formé par le triplet (A; P; T) où A et P appartiennent à un même niveau de réalité et où T appartient à un niveau différent. Ainsi, dans le niveau de réalité de A et P, c'est la projection T' de T qui produit l'apparence de couples mutuellement exclusifs; T' ne peut, dans ce niveau de réalité concilier l'Actualisation et la Potentialisation, un évènement e et le non-évènement non-e associée. En revanche, puisque T se situe dans un autre niveau de réalité que A et P, les trois dynamismes peuvent exister en même temps, ensemble, sans contradiction. Comme le souligne B. Nicolescu : "la tension entre les contradictoires bâtit une unité plus large qui les inclut."
Le "niveau de réalité" n'est pas un niveau d'organisation, concept cher à la systémique.

Laissons parler le physicien : "deux niveaux de Réalité sont différents si, en passant de l'un à l'autre, il y a rupture des lois et rupture des concepts fondamentaux (comme, par exemple, la causalité)." Un niveau de réalité c'est "(...) un ensemble de systèmes invariant à l'action d'un nombre de lois générales (...)". Ainsi, en physique, le niveau quantique est un niveau de réalité différent du niveau "classique", macro-physique car il y a rupture des lois. Personnellement, je suis aujourd'hui plus nuancé, j'ajouterais : "dans les limites de nos connaissances". Car lorsque Basarab Nicolescu déclare que : "Personne n'a réussi à trouver un formalisme mathématique qui permet le passage rigoureux d'un monde à l'autre. Il y a même de fortes indications mathématiques pour que le passage du monde quantique au monde macrophysique soit à jamais impossible." , il oublie la théorie (et l'ensemble de ses développements) d'Alain Connes en Géométrie Non-Commutative qui semble fournir ce passage rigoureux. Il est vrai qu'il faudra beaucoup de temps pour que (si l'expérimentation valide sa théorie du modèle standard des particules élémentaires) ses travaux soient repris et vulgarisés abondamment...Mais il a raison dans le sens où il met en évidence (voir plus loin) que ce mouvement de la connaissance est ouvert donc sans fin (et donc que la géométrie non commutative nous ouvrira d'autres portes à leur tour ouvertes sur d'autres, etc..)

Mais le concept de B. Nicolescu est là dans son entier : discontinuité. Et n'a donc rien à voir avec un niveau d'organisation qui n'est en quelque sorte qu'un changement de vue continue sur un système (voir de l'ouvert à la systémique). Dit autrement, le "niveau de réalité" décrit deux ouverts disjoints et on ne parle plus d'identité, mais bien d'isomorphisme. Le problème conceptuel essentiel est que cet isomorphisme est encore très loin (voire pas du tout) d'être éclairé, documenté, informé, construit. Il est d'ailleurs à redouter que ce terme employé (par analogie) ne convienne absolument pas !

B. Nicolescu est allé plus loin et a conceptualisé un "objet transdisciplinaire" au sein d'un modèle transdiciplinaire de la Nature et de la connaissance. La lecture de son article synthétique (déjà cité) est très clair à ce sujet.
Prenons le concept de "niveau de réalité" , plaçons le dans un processus itératif supposé infini : nous obtenons une structure ouverte, gödelienne, de l'ensemble des niveaux de Réalité. Appréhender cette structure consiste en fait à appréhender un mouvement sans fin (donc sans début), sans non-contradiction absolue, incomplet. Cette structure discontinue est un espace topologique, son complémentaire existe et B. Nicolescu l'appréhende comme une "zone de non-résistance" à nos sens, expériences, représentations, descriptions, images, formalisations mathématiques. Si cela ne résiste pas, c'est qu'on ne peut l'appréhender, rien n'est saisissable. Cette zone est certainement à rapprocher du concept de "voile" de Bernard d'Espagnat (Le réel Voilé) ou de "l'affectivité" de Stéphane Lupasco voire du "sacré" irrationnel. Les deux ensembles/espaces définis : ensemble ouvert des niveaux de réalité et son complémentaire forment l'Objet Transdisciplinaire. A cet Objet T correspond de manière isomorphe un Sujet T, le complémentaire du Sujet T étant en fait la même "zone de non-résistance"identique à celle de l'Objet T.

Ainsi, par un processus itératif du concept de niveau de réalité couplé à la logique du tiers inclus, Basarab Nicolescu construit un modèle de la réalité et de la connaissance basiquement décrit par une triade (Objet T, Sujet T, T s.inclus) où l'Objet T (T pour Transdisciplinaire) se construit peu à peu par la rationalité, par l'accumulation d'information de la part du Sujet T qui devient peu à peu par la perception ce flux de conscience isomorphe à l'information mais unifié à lui seulement incomplètement grâce au Tiers secrètement inclus.
J'ai envie de modifier : grâce à l'amour !

Ainsi s'étalerait devant nous : la logique, l'ontologique et l'amour.

B. Nicolescu ajoute un concept éclairant et fondateur d'une ontologique à venir : le principe de relativité. "aucun niveau de Réalité ne constitue un lieu privilégié d'où l'on puisse comprendre tous les autres niveaux de Réalité . Un niveau de Réalité est ce qu'il est parce que tous les autres niveaux existent à la fois. Ce Principe de Relativité est fondateur d'un nouveau regard sur la religion, la politique, l'art, l'éducation, la vie sociale. Et lorsque notre regard sur le monde change, le monde change. Dans la vision transdisciplinaire, la Réalité n'est pas seulement multidimensionnelle - elle est aussi multiréférentielle."

Ce dernier mot est certainement l'(origine;finalité; T) de mon propre mouvement, ici et maintenant. Ah, non, j'oubliais l'(amour; amour;amour) !

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