J'ai croisé Fabrice Midal par l'Inrees, un beau jour de décembre 2009. Il participait à une conférence sur le Bardo Thödol, ce fameux et énigmatique "livre des morts tibétains". J'ai bien dû écouter plusieurs fois, par morceaux, cette conférence de 2h, tant les paroles de Fabrice Midal m'ont interpellé. Cela a été le début d'une très riche investigation...
Fabrice Midal est philosophe et cet homme a cherché longtemps une autre voie au rabâchage incessant de concepts vides et creux. Un professeur de philosophie lui a d'abord transmis ce souffle si singulier de l'apprentissage de soi et du monde : François Fédier. Il a aussi trouvé en Chögyam Trungpa, un "maître" tibétain du XXè siècle, une parole libre et vivante et une incandescence de la spiritualité, qu'il tâche de transmettre, aujourd'hui, au sein de son association Prajna & Philia : Poésie, Philosophie et Méditation...
Ecouter Fabrice Midal est pour moi un enchantement, un décapage, une déconstruction et un apaisement : ses mots sont choisis, précis et justes.
Sur le Bardo Thödol, j'avais peu ou prou une idée générale qu'on peut éclairer par cet article.
Fabrice Midal m'a beaucoup surpris lorsqu'il me fait comprendre que ce fameux livre ne parle pas seulement de la "mort" mais bien plutôt des passages, des brèches, des bardos que, tous, nous rencontrons dans notre vie quotidienne et qui, sûrement, nous désarçonnent de nos habitudes, de nos certitudes, nous décentrent de notre ego centralisateur et trompeur.
J'ai déjà évoqué l'enseignement de Swami Prajnanpad (Voir et Connaitre) et sa dialectique de brahmane hindou intégrant tradition indienne, science physique et psychanalyse : son apport est nécessaire à la compréhension des implicites bouddhiques et tantriques contenus dans le Bardo Thödol. Nous y retrouvons les mêmes éclairages sur l'action du "mental" qui crée un "masque" sur la réalité et qui nous empêche de voir vraiment et de connaître. Et si ces bardos étaient des portes ouvertes sur ce qui est ?
Afin d'éclaircir d'abord les concepts ardus pour un occidental contenus dans le Bardo Thödol, j'ai lu ensuite le roman de Bruno Portier : "Bardo, le passage", qui explicite à travers une histoire moderne, la tradition liée à "la grande libération par l'écoute dans les états intermédiaires". Cet ouvrage a le mérite de nous livrer une version tout à fait "digestible" pour un Français mais il lui manque certainement l'éclairage plus profond, plus précis et plus provocateur en quelque sorte que Chögyam Trungpa a apporté à Fabrice Midal et que ce dernier nous a restitué lors de cette fameuse conférence du 17 décembre 2009.
Qu'a donc apporté Chögyam Trungpa à l'interprétation de ce livre dense et traditionnel ? Tout simplement un renversement !
Dans deux ouvrages (Fremantle et Trungpa, Le Livre des Morts Tibétain, Le courrier du Livre, 1979 et Chögyam Trungpa, Bardo. Au-delà de la folie, Seuil, 1995), Chögyam Trungpa propose en fait une description du "Livre Tibétain de la Naissance", tant, pour lui, il est nécessaire d'expliciter que l'état intermédiaire, le bardo, est un inter-monde, un état littéralement et historiquement "entre" le(s) "existence(s)" (antarabhava en sanskrit, bardo en tibétain). Cet état intermédiaire, Chögyam Trungpa ne le situe pas seulement entre deux "vies" dans le cycle du samsara, mais bien dans notre quotidien, "lorsque nous sommes pris par des moments d’incertitude où l’espace se déchire, s’ouvre et parfois nous effraie." nous rappelle Fabrice Midal. Là est l'enseignement essentiel du maître tibétain à l'occident, sur le Bardo Thödol.
Philippe Cornu (traducteur, tibétologue reconnu, auteur de nombreux ouvrages sur le bouddhisme) vient de terminer une dernière traduction du Bardo Thödol de Padmasambhava (Buchet-Castel, 2009) directement à partir des textes d'origine du courant nyingmapa. Nicolas d'Inca (psychologue clinicien qui travaille notamment avec Fabrice Midal au sein de Prajna & Philia) rapporte dans son blog un échange très intéressant avec cet enseignant bouddhiste. La tâche de Philippe Cornu était principalement, grâce à l'apport du tantrisme et du dzogchen, de replacer le livre dans son contexte historique et doctrinal. Dans un second article du blog, Philippe Cornu parle plus précisément de Chögyam Trungpa : "Quand Trungpa explique les six mondes ou scénarios d’existence, il montre que nous les avons dans notre vie." Cette interprétation n'est d'ailleurs pas totalement nouvelle.
La nécessité du bardo ou antarabhava apparaît lorsque la continuité doit être assurée entre deux "vies", lorsqu'un support, en quelque sorte, du "soi" doit être trouvé lorsque ce dernier ne semble plus vraiment "unifié" : entre la mort (d'une vie) et la conception (d'une autre vie). Cette nécessité est très ancienne dans le bouddhisme. Ainsi définit historiquement, le concept de bardo est renversé par Trungpa qui y voit finalement une sorte de discontinuité pour assurer in fine la continuité de la "vie" ou plutôt de la conscience/esprit. Discontinuité qui transparaît au sein de ce qu'on nomme communément la "vie" (l'existence) sous forme d'états de doute, de confusion, d'incertitude, et discontinuité où l'esprit a le choix entre "crispation et ouverture", entre conformisme/sécurité/obscurité/nécrose et lumière/inconfort/éveil/peur.
Ces discontinuités, nous les expérimentons tous dans notre vie sous forme de "vie/mort" symbolique ("symbolique" selon notre métaphysique cartésienne) en permanence, nous dit Fabrice Midal : le premier enseignement est de voir finalement que vie et mort sont inséparables et expérimentés, non pas une fois dans notre existence (selon le dogme catholique par exemple), mais à de multiples occasions au cours de l'existence. Nous pouvons même poursuivre en écrivant que notre existence n'est finalement qu'un ensemble de discontinuités où, à chaque fois, nous faisons un choix entre ouverture et crispation, entre ouverture-à-l'éveil et fermeture-à-l'éveil.
Le Bardo Thödol expose ainsi ce que vivent les êtres, l'esprit, lorsque ces choix adviennent, au moment des bardo. Ces bardo, ces états intermédiaires de l'esprit, sont résumés et identifiés, symbolisés, par 6 scénarios ou 6 mondes.
Ce déplacement, ce renversement, proposé par Chögyam Trungpa ne se situe pas dans une logique du tiers exclu, selon Philippe Cornu, mais bien du tiers inclus : "Ce que n’arrive pas à entendre l’Occident, c’est que l’un n’exclue pas l’autre. Ce n’est pas parce que ce sont des situations existentielles qui teintent notre vécu à chaque moment, que pour autant ces tonalités dominantes ne se manifestent pas réellement." Ainsi, replacer l'enseignement du Bardo Thödol dans le point de vue du dzogchen, c'est, au moins pour la pensée occidentale, expliciter la nature non duelle de la pratique du bouddhisme (ni samsara, ni nirvana mais co-émergence entre les deux) : ce replacement est exactement isomorphe à la logique Lupascienne du Tiers Inclus. (voir Tiers Inclus... et Logique de l'Energie..)
Ainsi, l'enseignement de Chögyam Trungpa n'est jamais à prendre de manière identitaire et dogmatique mais de manière littérale, en tant que "mouvement" transitoire, en tant que voie pour rétablir un équilibre/déséquilibre. Fabrice Midal, qui tient à transmettre cet engagement fidèlement, le décrit parfaitement en 4 points ici.
Philippe Cornu tient même à souligner que la psychologie occidentale, imprégnée de métaphysique cartésienne dualiste et binaire, n'a pas pu comprendre le Bardo Thödol, comme elle ne saisit pas au fond le bouddhisme, sa pratique et sa "logique" sous-jacente, essentiellement non-dualiste mais non contradictoire, à l'instar de la logique sous-tendant la mécanique quantique par exemple.
Que sont ces 6 scénarios possibles dont nous sommes à la fois auteur et acteur ? Olivier Piazza, sur son blog, les retranscrit fidèlement. Comment s'en saisir ? Pour Fabrice Midal, à la fois comme des colorations qui teintent quotidiennement notre existence vécue, comme des visions de déités qui sont manifestations de l'énergie qui se déploie, grossièrement comme des "émotions" en quelque sorte, et à la fois comme des choix de vie, des scénarios, des manifestations très prégnantes, dans lesquelles nous entrons ou ré-entrons après la mort/naissance, que nous conditionnons et qui nous conditionnent. Une fois de plus, la difficulté à saisir vient de notre "métaphysique" dominante qui exclue et qui n'inclue pas. La difficulté provient aussi de notre acception de l'esprit/conscience et de ses rapports avec le monde phénoménal et sensoriel.
Philippe Cornu comme Svami Prajnanpad viennent à notre aide sur ce point : l'esprit conditionné/conditionneur, le mental, crée l'égo et le monde extérieur (le soi/l'autre) en réponse à son incompréhension de la "réalité", à son ignorance : "Cet épiphénomène prend toute la place et masque le fait que sous cet esprit se trouve le non-duel, inconditionné, ouvert : la nature éveillée." rappelle Philippe Cornu. L'esprit/conscience conditionné/conditionneur semble s'approcher selon deux identités antagonistes : le conditionné, relié à nos sens, organise la cohérence de nos représentations du monde, il ne donne pas de valeur affective aux objets et phénomènes ainsi discriminés; le conditionneur, relié à nos passions, nos affects, nos émotions, colore et donne une valeur affective à nos représentations et aux phénomènes qui nous traversent; les deux antagonistes forment le couple conditionné/conditionneur qui, in fine, enferme l'esprit/conscience dans la permanence, la douleur et l'égo, dans la crispation. Ce couple ignore la nature non-duelle, lumineuse, "vide" (au sens de vacuité, donc isomorphe à "vide quantique") et connaissante de l'esprit/conscience. Philippe Cornu le déclare clairement :"l'esprit est une substance étendue et non une substance pensante. (...) C’est l’esprit vide et lumineux, c’est-à-dire connaissant ; non-dualiste, il n’entre pas dans la distinction entre sujet et objet."
Je suis très tenté, à ce point, d'inclure cette dernière dénomination/propriété de l'esprit/conscience au sein d'une tridialectique lupascienne : l'esprit/conscience, unitaire, possèderait ainsi trois orientations privilégiées et divergentes. Il est tentant alors d'explorer la "doctrine" du trikaya qui dans le bouddhisme vajrayana ou mahayana explicite trois plans de la réalité du Bouddha et de rapprocher ces deux courants de pensée. Cela nous emmènerait trop loin pour le moment, nous y reviendrons...
Comment se saisir de l'esprit/conscience vide, lumineux et connaissant ? Fabrice Midal, Philippe Cornu, Svami Prajnanpad insistent sur l'enseignement premier de Bouddha : expérimenter pour voir, écouter et connaitre ce qui est ! La méditation selon Philippe Cornu : "Dans la méditation, on va débrancher le mental passionné. En ralentissant l’esprit on peut analyser clairement ce que sont les phénomènes qui nous entourent dans la vision pénétrante. On ralentit le flot des pensées et on ouvre l’espace, ce qui fait le plus peur à l’ego. La méditation est si difficile, on rame et on lutte tant, car le mental passionné ne veut pas lâcher prise. On se focalise sur le contenu des émotions ou des pensées plutôt que les voir comme de simples mouvements dans l’esprit."
Ainsi, écouter l'enseignement contenu dans le Bardo Thödol doit permettre à l'esprit/conscience de se libérer des choix multiples et antagonistes s'offrant à lui pendant les états intermédiaires, les bardo, et accéder ainsi à son état "naturel" (de rigpa) : pur, lumineux et vide.
Ecouter, c'est aussi voir et agir, donner à l'autre.
Lors d'un deuil, Philippe Cornu souligne : "Cela permet de faire le deuil de manière exemplaire, car vous êtes en contact avec la personne, plutôt qu’avec votre chagrin et votre perte. Vous avez fait quelque chose pour l’autre sans vous apitoyer sur vous, cela change totalement la donne. Il n’y a plus la culpabilité d’être vivant, car on peut faire du bien à la personne, en pensant vraiment à elle. Il y a un processus thérapeutique, une forme de deuil actif."
Le Bardo Thödol contient au final une formidable aventure humaine, pragmatique et théorique, une formidable approche de l'existence "à partir de l'expérience la plus directe et la plus nue".
Pour tenter, d'une singularité, de relier des savoirs, d'élaborer une complexité et de la transmettre...
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lundi 19 avril 2010
vendredi 2 avril 2010
Logique de l'Energie et Sens...
Dans Tiers inclus..., nous avons introduit la logique du tiers inclus de Stéphane Lupasco. Il faut y revenir en parlant cette fois-ci d'énergie et de matière. (ou d'énergie/matière puisqu'il y a correspondance entre eux depuis la relativité générale)
Dans cet entretien accordé en 1987, Stéphane Lupasco résume son approche de manière très claire.
Voyons çà.
Actualisation/Potentialisation, Hétérogène/Homogène et matière/énergie sont les trois doublets qui permettent de débuter. Il faut bien comprendre qu'un doublet ainsi défini est "irréductible" : dit autrement, chaque élément d'un doublet ne peut exister sans l'autre, sans son contradictoire. Ainsi, en première approche, le doublet défini est non-contradictoire.
L'articulation est la suivante :
Lorsque la matière/énergie actualise l'homogène et potentialise l'hétérogène, il advient la matière "inerte", macrophysique, nos "objets".
Lorsque la matière/énergie potentialise l'homogène et actualise l'hétérogène, il advient la matière "vitale", les êtres vivants.
Stéphane Lupasco se rend compte ensuite qu'il existe un état, un moment, où actualisation et potentialisation sont parfaitement symétriques, dit autrement, dans le doublet des antagonistes existe un état parfaitement contradictoire, l'état "mi-mi" en quelque sorte, parfaitement indéterminé. Cet état est nommé le tiers inclus et étend ainsi explicitement le doublet en triplet ou triade. Cet état explicité existait avant dans le doublet sous forme implicite, le rendre visible permet ainsi de donner toute la consistance à la logique ainsi conçue.
Lorsque la matière/énergie ni n'actualise l'homogène ni potentialise l'hétérogène ni potentialise l'homogène ni actualise l'hétérogène exactement, ou dit de façon plus condensée en tenant compte de la propriété du doublet contradictoire : ni actualise/potentialise l'hétérogène/homogène, ce qui est exactement équivalent aux trois autres permutations existantes *, alors il advient la matière "microphysique" ou/et psychique.
(* ni actualise/potentialise l'homogène/hétérogène <=> ni potentialise/actualise l'hétérogène/homogène <=> ni potentialise/actualise l'homogène/hétérogène <=> ni {actualise, potentialise} le {homogène, hétérogène}, cette dernière notation personnelle "contenant" les 4 permutations ou états possibles et servant aussi à écrire un triplet lupascien)
Ainsi l'énergie/matière fait advenir trois matières, chacune ensemble en même temps au même endroit.
La troisième matière, révélée par la physique quantique, caractérise aussi, d'une façon intuitive pour Stéphane Lupasco, le psychisme du vivant animal (y compris l'humain). Identification par réflexivité : je m'analyse quand je pense, ma conscience de moi me permet d'identifier simplement ce "tiers inclus" à la "structure" de ma pensée. Il est très frappant alors en lisant Lupasco de trouver les mêmes arguments "évidents" dont se sert par exemple François Martin de Volnay pour étudier le psychisme avec des outils de la mécanique quantique et pourtant ce dernier ne se réclame absolument pas de la logique Lupascienne !
Stéphane Lupasco identifie la troisième matière au psychisme du vivant ainsi qu'à celle, microphysique, régie par les lois quantiques; en revanche, il ne donne pas ici clairement les raisons de l'identification formelle du psychique et du "microphysique".
Levons ce paradoxe ou ce malentendu.
Pour Dominique Temple, qui a intégré les concepts lupasciens à sa propre œuvre philosophique, "Lupasco souligne une analogie de structure entre les états coexistants de la physique quantique et la conscience humaine. S'il n'est pas possible de connaître les états coexistants de degré de vérité zéro, il n'est pas impossible qu'ils ne se connaissent eux-mêmes, qu'ils ne soient consciences de consciences. Telle était déjà l'intuition de la noosphère de Teilhard de Chardin et de son évolution continue de l' alfa à l'oméga . " (ref) Ainsi, D. Temple reste prudent et parle d'analogie et non d'identification tout en faisant remarquer qu'il est possible d'envisager cette dernière mais que la preuve est certainement hors champ scientifique et de l'ordre de la révélation.
Lothar Schäfer (qui ne référence pas Lupasco dans son travail), nous l'avons déjà vu ici, ne dit pas autre chose : "Les états virtuels peuvent être décrits comme des Entités Parménidiennes (...) On peut considérer les états cosmiques virtuels comme des idées platoniciennes (...) Face à de tels phénomènes, nous pouvons dire que les particules élémentaires ont des propriétés rudimentaires de conscience. (...) La conclusion en est ici inévitable : la nature du fond de la réalité est semblable à celle d'un esprit. (...) ", cependant il manque à cet auteur l'explicitation du Tiers Inclus et il décrit plus les natures de la Potentialisation et de l'Actualisation.
En convoquant les philosophies Idéalistes allemandes, il fait bien référence à une trinité ("le contraste entre la thèse (l'ego) et l'antithèse (le non-ego) se résout dans la perception de leur unité dans un ego absolu. (Hirschberger, 1981, p.368)") mais cette confrontation avec le contradictoire absolu ou irréductible : "Les états quantiques virtuels représentent un ordre qui est à la fois immanent (les états quantiques sont dans les choses) et transcendant" ne semble bien déboucher pour lui que sur une interrogation du divin : "On arrive ainsi à se demander pourquoi on ne peut penser ensemble la réalité
immanente-et-transcendante et au-delà-de-ce-monde-et-dans-le-monde, qui est Dieu, avec la réalité
immanente-et-transcendante et au-delà-de-ce-monde-et-dans-le-monde qui est la réalité quantique ?"
Basarab Nicolescu est aussi nuancé que le philosophe Dominique Temple en écrivant ici : "En effet, pour Lupasco il doit y avoir isomorphisme (et non pas identité) entre le monde microphysique et le monde psychique. (...) Le monde quantique et le monde psychique sont deux manifestations différentes d'un seul et même dynamisme tridialectique. Leur isomorphisme est engendré par la présence continuelle, irréductible de l'état T dans toute manifestation."
Le malentendu lupascien provient en fait d'une subtilité évidente mais mal comprise : la potentialisation est pour lui clairement une conscience "élémentaire" de l'actualisation, mais ce n'est pas la conscience de la conscience, ou "conscience de soi" pour le vivant. Dominique Temple est très clair là dessus : "Le principe d'antagonisme conduit ainsi à la reconnaissance d'une entité sans matière ni énergie, aussi réelle que la réalité, une matière-énergie, qui est à la fois une conscience de conscience. Lupasco l'appelle l'énergie psychique. (...) L'énergie psychique a bien une spécificité comme conscience de soi, révélation transparente d'elle-même, dénuée de toute connaissance autre que la sensation de sa liberté propre, mais cette dynamique n'en est pas moins relié aux pôles du contradictoire par tous les degrés de vérité de Weizsäcker, de sorte qu' entre la conscience de soi et les consciences élémentaires peuvent apparaître toutes les consciences de consciences que nous appellerons consciences objectives." et en note ce commentaire limpide : "Le principe d'antagonisme implique que l'actualisation de l'énergie et de la matière ne peuvent atteindre une non-contradiction absolue. Dans toute matière ou énergie il demeure donc du contradictoire qui la relie à l'énergie psychique, mais réciproquement, le contradictoire ne peut s'affranchir des dynamismes qui lui donnent naissance par leur confrontation. Il n'y a pas d'esprit sans matière et sans énergie."
Cette dernière phrase peut s'écrire symétriquement : " il n'y a pas de matière sans énergie et sans esprit" ou "il n'y a pas d'énergie sans matière et sans esprit", les trois possibilités sont équivalentes, au moins d'un point de vue logique.
Pour Stéphane Lupasco, il n'y a plus identité absolue, mais seulement isomorphisme, car sa logique du tiers inclus explicite proprement chaque dynamisme dans une triade où aucun des trois éléments inclus ne peut s'expliciter sans les deux autres.
Il est frappant ici de constater d'ailleurs l'analogie (ou l'isomorphisme !) entre cette triade conceptuelle et le triplet de quarks de la chromodynamique quantique. (nous y reviendrons...) De telles analogies existent dans d'autres domaines, par exemple, les divers "courants" de spiritualité comme ceux de la religion en sont riches !
Ainsi, les trois matières/énergies définies plus haut le sont irréductiblement en référence à elles mêmes. L'identité propre à chacune est seulement vue désormais comme une limite "idéale" ou "matérialiste" mais sans consistance. Seule la triade lupascienne inclusive est consistante. Mais que définit elle exactement ?
B. Nicolescu le rappelle clairement : "La structure ternaire de systématisations énergétiques se traduit, (...), par la structuration de trois types de matières, ou plutôt par l'existence de trois orientations privilégiées d'une seule et même matière.(...) ses trois aspects constituent... trois orientations divergentes (...) La conclusion que toute manifestation, tout système comporte un triple aspect - macrophysique, biologique et quantique (microphysique ou psychique) - est certes étonnante et riche de multiples conséquences."
Ainsi, la triade est unitaire et définit en quelque sorte une nouvelle vue du "point", de l'unité. C'est une vue du point beaucoup plus riche et complète que le simple "point-identité". Pour les mathématiques, la triade lupascienne est analogue au triplet spectral utilisé par Alain Connes en géométrie non commutative : une "redéfinition" du "point" de l'espace "généralisé" en quelque sorte.
Et cette triade est "ouverte" c'est à dire que bien que complète, elle est irréductiblement liée à toutes les triades possibles de l'univers. "La tridialectique lupascienne est une vision de l'unité du monde, de sa non-séparabilité" écrit Nicolescu. Elle aboutit aussi à l'idée qu'il n'y a pas de constituant ultime, pas de brique élémentaire, que "tout système est toujours système de système". Le tiers inclus est ainsi l'élément logique irréductible qui ouvre irrémédiablement la systémogénèse lupascienne.
Ces propriétés de la logique de l'énergie ont des conséquences sur l'espace-temps, ce que les physiciens cherchent "désespérément" à démontrer depuis presque un siècle (la fameuse théorie unificatrice ou bien la théorie de la gravité quantique), c'est à dire une quantification aussi bien de l'espace que du temps : "Le temps évolue par saccades, par bonds, par avances et reculs... " nous dit Lupasco. "L'espace-temps quantique est celui de la troisième matière, des phénomènes quantiques, esthétiques et psychiques". (il faudra revenir sur cette notion d'esthétisme pour Lupasco...)
La logique de l'énergie vue selon la logique du contradictoire, l'ontologique de S. Lupasco, laisse cependant un concept en dehors : l'affectivité. Le philosophe l'a toujours dit et écrit clairement : l'affectivité n'est pas de l'énergie. L'affectivité n'est pas logique mais alogique. Elle est. Comme l'être, elle est, mais sans rapport avec l'énergie donc avec le "reste".
Dominique Temple écrit : "l'affectivité se traduit comme un en-soi absolu.(...)A cause de ce caractère absolu, Lupasco situait l'affectivité hors de la conscience de conscience, et n'acceptait pas l'idée que l'illumination de la conscience puisse se fondre en une pure affectivité, le passage lui paraissant impliquer une solution de continuité irréductible entre deux natures."
Pour Lupasco, l'affectivité , c'est à dire en quelque sorte le "sens" que l'humain lui donne et donne à l'univers n'est absolument pas du domaine de la science et de la logique. Dominique Temple, également, ne dit pas autre chose (voir plus haut). Stéphane Lupasco a construit une logique de l'énergie, cette dernière existe, mais il lui est impossible scientifiquement et logiquement de trouver le "sens" de cette énergie.
L'affectivité est un arbitraire, dont on ne pourrait rien dire en rapport avec les tri-composantes de l'énergie/matière.
Il y a là manifestement une discontinuité éminemment singulière !
J'ai déjà écrit mon avis sur la question dans Discontinuité... Je ne peux concevoir, aujourd'hui, qu'une discontinuité aussi "fondatrice" que l'affectivité pour la subjectivité ne puisse se relier à rien d'autre qu'au "néant". Car Lupasco oublie que si d'une "entité", d'une "chose", il est impossible d'y relier un signe intelligible quelconque (par une intelligence quelconque), cela signifie selon lui, soit qu'elle est "néant" ou "tout" ou le contradictoire irréductible et non pas seulement un des termes ici écrit !
Mais je crois personnellement que Stéphane Lupasco par son intelligence savait parfaitement ce qu'il ne voulait pas questionner, avec cette question sur l'affectivité : l'arbitraire du sens !
Dans cet entretien accordé en 1987, Stéphane Lupasco résume son approche de manière très claire.
Voyons çà.
Actualisation/Potentialisation, Hétérogène/Homogène et matière/énergie sont les trois doublets qui permettent de débuter. Il faut bien comprendre qu'un doublet ainsi défini est "irréductible" : dit autrement, chaque élément d'un doublet ne peut exister sans l'autre, sans son contradictoire. Ainsi, en première approche, le doublet défini est non-contradictoire.
L'articulation est la suivante :
Lorsque la matière/énergie actualise l'homogène et potentialise l'hétérogène, il advient la matière "inerte", macrophysique, nos "objets".
Lorsque la matière/énergie potentialise l'homogène et actualise l'hétérogène, il advient la matière "vitale", les êtres vivants.
Stéphane Lupasco se rend compte ensuite qu'il existe un état, un moment, où actualisation et potentialisation sont parfaitement symétriques, dit autrement, dans le doublet des antagonistes existe un état parfaitement contradictoire, l'état "mi-mi" en quelque sorte, parfaitement indéterminé. Cet état est nommé le tiers inclus et étend ainsi explicitement le doublet en triplet ou triade. Cet état explicité existait avant dans le doublet sous forme implicite, le rendre visible permet ainsi de donner toute la consistance à la logique ainsi conçue.
Lorsque la matière/énergie ni n'actualise l'homogène ni potentialise l'hétérogène ni potentialise l'homogène ni actualise l'hétérogène exactement, ou dit de façon plus condensée en tenant compte de la propriété du doublet contradictoire : ni actualise/potentialise l'hétérogène/homogène, ce qui est exactement équivalent aux trois autres permutations existantes *, alors il advient la matière "microphysique" ou/et psychique.
(* ni actualise/potentialise l'homogène/hétérogène <=> ni potentialise/actualise l'hétérogène/homogène <=> ni potentialise/actualise l'homogène/hétérogène <=> ni {actualise, potentialise} le {homogène, hétérogène}, cette dernière notation personnelle "contenant" les 4 permutations ou états possibles et servant aussi à écrire un triplet lupascien)
Ainsi l'énergie/matière fait advenir trois matières, chacune ensemble en même temps au même endroit.
La troisième matière, révélée par la physique quantique, caractérise aussi, d'une façon intuitive pour Stéphane Lupasco, le psychisme du vivant animal (y compris l'humain). Identification par réflexivité : je m'analyse quand je pense, ma conscience de moi me permet d'identifier simplement ce "tiers inclus" à la "structure" de ma pensée. Il est très frappant alors en lisant Lupasco de trouver les mêmes arguments "évidents" dont se sert par exemple François Martin de Volnay pour étudier le psychisme avec des outils de la mécanique quantique et pourtant ce dernier ne se réclame absolument pas de la logique Lupascienne !
Stéphane Lupasco identifie la troisième matière au psychisme du vivant ainsi qu'à celle, microphysique, régie par les lois quantiques; en revanche, il ne donne pas ici clairement les raisons de l'identification formelle du psychique et du "microphysique".
Levons ce paradoxe ou ce malentendu.
Pour Dominique Temple, qui a intégré les concepts lupasciens à sa propre œuvre philosophique, "Lupasco souligne une analogie de structure entre les états coexistants de la physique quantique et la conscience humaine. S'il n'est pas possible de connaître les états coexistants de degré de vérité zéro, il n'est pas impossible qu'ils ne se connaissent eux-mêmes, qu'ils ne soient consciences de consciences. Telle était déjà l'intuition de la noosphère de Teilhard de Chardin et de son évolution continue de l' alfa à l'oméga . " (ref) Ainsi, D. Temple reste prudent et parle d'analogie et non d'identification tout en faisant remarquer qu'il est possible d'envisager cette dernière mais que la preuve est certainement hors champ scientifique et de l'ordre de la révélation.
Lothar Schäfer (qui ne référence pas Lupasco dans son travail), nous l'avons déjà vu ici, ne dit pas autre chose : "Les états virtuels peuvent être décrits comme des Entités Parménidiennes (...) On peut considérer les états cosmiques virtuels comme des idées platoniciennes (...) Face à de tels phénomènes, nous pouvons dire que les particules élémentaires ont des propriétés rudimentaires de conscience. (...) La conclusion en est ici inévitable : la nature du fond de la réalité est semblable à celle d'un esprit. (...) ", cependant il manque à cet auteur l'explicitation du Tiers Inclus et il décrit plus les natures de la Potentialisation et de l'Actualisation.
En convoquant les philosophies Idéalistes allemandes, il fait bien référence à une trinité ("le contraste entre la thèse (l'ego) et l'antithèse (le non-ego) se résout dans la perception de leur unité dans un ego absolu. (Hirschberger, 1981, p.368)") mais cette confrontation avec le contradictoire absolu ou irréductible : "Les états quantiques virtuels représentent un ordre qui est à la fois immanent (les états quantiques sont dans les choses) et transcendant" ne semble bien déboucher pour lui que sur une interrogation du divin : "On arrive ainsi à se demander pourquoi on ne peut penser ensemble la réalité
immanente-et-transcendante et au-delà-de-ce-monde-et-dans-le-monde, qui est Dieu, avec la réalité
immanente-et-transcendante et au-delà-de-ce-monde-et-dans-le-monde qui est la réalité quantique ?"
Basarab Nicolescu est aussi nuancé que le philosophe Dominique Temple en écrivant ici : "En effet, pour Lupasco il doit y avoir isomorphisme (et non pas identité) entre le monde microphysique et le monde psychique. (...) Le monde quantique et le monde psychique sont deux manifestations différentes d'un seul et même dynamisme tridialectique. Leur isomorphisme est engendré par la présence continuelle, irréductible de l'état T dans toute manifestation."
Le malentendu lupascien provient en fait d'une subtilité évidente mais mal comprise : la potentialisation est pour lui clairement une conscience "élémentaire" de l'actualisation, mais ce n'est pas la conscience de la conscience, ou "conscience de soi" pour le vivant. Dominique Temple est très clair là dessus : "Le principe d'antagonisme conduit ainsi à la reconnaissance d'une entité sans matière ni énergie, aussi réelle que la réalité, une matière-énergie, qui est à la fois une conscience de conscience. Lupasco l'appelle l'énergie psychique. (...) L'énergie psychique a bien une spécificité comme conscience de soi, révélation transparente d'elle-même, dénuée de toute connaissance autre que la sensation de sa liberté propre, mais cette dynamique n'en est pas moins relié aux pôles du contradictoire par tous les degrés de vérité de Weizsäcker, de sorte qu' entre la conscience de soi et les consciences élémentaires peuvent apparaître toutes les consciences de consciences que nous appellerons consciences objectives." et en note ce commentaire limpide : "Le principe d'antagonisme implique que l'actualisation de l'énergie et de la matière ne peuvent atteindre une non-contradiction absolue. Dans toute matière ou énergie il demeure donc du contradictoire qui la relie à l'énergie psychique, mais réciproquement, le contradictoire ne peut s'affranchir des dynamismes qui lui donnent naissance par leur confrontation. Il n'y a pas d'esprit sans matière et sans énergie."
Cette dernière phrase peut s'écrire symétriquement : " il n'y a pas de matière sans énergie et sans esprit" ou "il n'y a pas d'énergie sans matière et sans esprit", les trois possibilités sont équivalentes, au moins d'un point de vue logique.
Pour Stéphane Lupasco, il n'y a plus identité absolue, mais seulement isomorphisme, car sa logique du tiers inclus explicite proprement chaque dynamisme dans une triade où aucun des trois éléments inclus ne peut s'expliciter sans les deux autres.
Il est frappant ici de constater d'ailleurs l'analogie (ou l'isomorphisme !) entre cette triade conceptuelle et le triplet de quarks de la chromodynamique quantique. (nous y reviendrons...) De telles analogies existent dans d'autres domaines, par exemple, les divers "courants" de spiritualité comme ceux de la religion en sont riches !
Ainsi, les trois matières/énergies définies plus haut le sont irréductiblement en référence à elles mêmes. L'identité propre à chacune est seulement vue désormais comme une limite "idéale" ou "matérialiste" mais sans consistance. Seule la triade lupascienne inclusive est consistante. Mais que définit elle exactement ?
B. Nicolescu le rappelle clairement : "La structure ternaire de systématisations énergétiques se traduit, (...), par la structuration de trois types de matières, ou plutôt par l'existence de trois orientations privilégiées d'une seule et même matière.(...) ses trois aspects constituent... trois orientations divergentes (...) La conclusion que toute manifestation, tout système comporte un triple aspect - macrophysique, biologique et quantique (microphysique ou psychique) - est certes étonnante et riche de multiples conséquences."
Ainsi, la triade est unitaire et définit en quelque sorte une nouvelle vue du "point", de l'unité. C'est une vue du point beaucoup plus riche et complète que le simple "point-identité". Pour les mathématiques, la triade lupascienne est analogue au triplet spectral utilisé par Alain Connes en géométrie non commutative : une "redéfinition" du "point" de l'espace "généralisé" en quelque sorte.
Et cette triade est "ouverte" c'est à dire que bien que complète, elle est irréductiblement liée à toutes les triades possibles de l'univers. "La tridialectique lupascienne est une vision de l'unité du monde, de sa non-séparabilité" écrit Nicolescu. Elle aboutit aussi à l'idée qu'il n'y a pas de constituant ultime, pas de brique élémentaire, que "tout système est toujours système de système". Le tiers inclus est ainsi l'élément logique irréductible qui ouvre irrémédiablement la systémogénèse lupascienne.
Ces propriétés de la logique de l'énergie ont des conséquences sur l'espace-temps, ce que les physiciens cherchent "désespérément" à démontrer depuis presque un siècle (la fameuse théorie unificatrice ou bien la théorie de la gravité quantique), c'est à dire une quantification aussi bien de l'espace que du temps : "Le temps évolue par saccades, par bonds, par avances et reculs... " nous dit Lupasco. "L'espace-temps quantique est celui de la troisième matière, des phénomènes quantiques, esthétiques et psychiques". (il faudra revenir sur cette notion d'esthétisme pour Lupasco...)
La logique de l'énergie vue selon la logique du contradictoire, l'ontologique de S. Lupasco, laisse cependant un concept en dehors : l'affectivité. Le philosophe l'a toujours dit et écrit clairement : l'affectivité n'est pas de l'énergie. L'affectivité n'est pas logique mais alogique. Elle est. Comme l'être, elle est, mais sans rapport avec l'énergie donc avec le "reste".
Dominique Temple écrit : "l'affectivité se traduit comme un en-soi absolu.(...)A cause de ce caractère absolu, Lupasco situait l'affectivité hors de la conscience de conscience, et n'acceptait pas l'idée que l'illumination de la conscience puisse se fondre en une pure affectivité, le passage lui paraissant impliquer une solution de continuité irréductible entre deux natures."
Pour Lupasco, l'affectivité , c'est à dire en quelque sorte le "sens" que l'humain lui donne et donne à l'univers n'est absolument pas du domaine de la science et de la logique. Dominique Temple, également, ne dit pas autre chose (voir plus haut). Stéphane Lupasco a construit une logique de l'énergie, cette dernière existe, mais il lui est impossible scientifiquement et logiquement de trouver le "sens" de cette énergie.
L'affectivité est un arbitraire, dont on ne pourrait rien dire en rapport avec les tri-composantes de l'énergie/matière.
Il y a là manifestement une discontinuité éminemment singulière !
J'ai déjà écrit mon avis sur la question dans Discontinuité... Je ne peux concevoir, aujourd'hui, qu'une discontinuité aussi "fondatrice" que l'affectivité pour la subjectivité ne puisse se relier à rien d'autre qu'au "néant". Car Lupasco oublie que si d'une "entité", d'une "chose", il est impossible d'y relier un signe intelligible quelconque (par une intelligence quelconque), cela signifie selon lui, soit qu'elle est "néant" ou "tout" ou le contradictoire irréductible et non pas seulement un des termes ici écrit !
Mais je crois personnellement que Stéphane Lupasco par son intelligence savait parfaitement ce qu'il ne voulait pas questionner, avec cette question sur l'affectivité : l'arbitraire du sens !
mercredi 3 mars 2010
Ombre et Principe d'Antagonisme
Mon premier "travail" avec Catherine Besnard-Péron a consisté à tenter de changer de référentiel, d'intégrer, par une heuristique, le problème posé et défini, dans une autre vue, dans un ouvert homéomorphe à l'espace au premier abord envisagé.
Le mot pivot était "creux". Je me suis beaucoup servi aussi de "l'ombre" et du "refus".
Il était troublant à l'époque de constater d'ailleurs la coïncidence de lecture avec Svami Prajnanpad qui dans les premiers entretiens avec S. Prakash débute lui aussi par une décapante déconstruction d'une métaphysique dominante : tout est mental, on ne voit que ce que le mental nous montre à voir, on ne voit pas la réalité telle qu'elle est en soi.
Voir en "creux", c'est s'interroger sur le sens et l'utilisation non seulement des mots mais également des signes en général et notamment pour moi des images mentales, qu'elles soient issues "directement" de sensations ou bien indirectement, par retraitement successifs, d'abstraits. C'est donc au delà d'une sémantique, l'approche pragmatique d'une sémiotique. Pratiquer cet exercice dans une relation thérapeutique ou par l'(auto)expérimentation d'un état modifié de conscience, peut être également, par réflexivité et par désir de "généricité" une tentative d'approche de méta-sémiotique (selon S. Tomasella).
Mais, au moins dans un premier temps, il y a invitation, dans un voisinage d'un ouvert, à questionner tout ce que l'on dit et pense comme l'expression ou la forme d'une exclusion. Observer ensuite les deux formes dégagées, en parallèle, revient à expérimenter une dualité, une complémentarité. Rendre complémentaire, c'est à la fois, par abduction, se saisir d'un cadre "englobant", et à la fois se saisir de la coupure déplaçable entre les deux formes duales. Cette action définit finalement un changement de niveau de réalité et fait émerger une triade donc une complexité.
Le mot pivot était "creux". Je me suis beaucoup servi aussi de "l'ombre" et du "refus".
Il était troublant à l'époque de constater d'ailleurs la coïncidence de lecture avec Svami Prajnanpad qui dans les premiers entretiens avec S. Prakash débute lui aussi par une décapante déconstruction d'une métaphysique dominante : tout est mental, on ne voit que ce que le mental nous montre à voir, on ne voit pas la réalité telle qu'elle est en soi.
Voir en "creux", c'est s'interroger sur le sens et l'utilisation non seulement des mots mais également des signes en général et notamment pour moi des images mentales, qu'elles soient issues "directement" de sensations ou bien indirectement, par retraitement successifs, d'abstraits. C'est donc au delà d'une sémantique, l'approche pragmatique d'une sémiotique. Pratiquer cet exercice dans une relation thérapeutique ou par l'(auto)expérimentation d'un état modifié de conscience, peut être également, par réflexivité et par désir de "généricité" une tentative d'approche de méta-sémiotique (selon S. Tomasella).
Mais, au moins dans un premier temps, il y a invitation, dans un voisinage d'un ouvert, à questionner tout ce que l'on dit et pense comme l'expression ou la forme d'une exclusion. Observer ensuite les deux formes dégagées, en parallèle, revient à expérimenter une dualité, une complémentarité. Rendre complémentaire, c'est à la fois, par abduction, se saisir d'un cadre "englobant", et à la fois se saisir de la coupure déplaçable entre les deux formes duales. Cette action définit finalement un changement de niveau de réalité et fait émerger une triade donc une complexité.
Ce mouvement local, puisque il est dans une communication, dans une relation humaine, dans une dynamique, évoque le principe d'antagonisme défini par Stéphane Lupasco dans son ouvrage "Le principe d'antagonisme ou la logique de l'énergie". Ce principe s'expose ainsi : "A tout phénomène ou élément ou événement logique quelconque, et donc au jugement qui le pense, à la proposition qui l'exprime, au signe qui le symbolise : e, par exemple, doit toujours être associé, structuralement et fonctionnellement, un anti-phénomène ou anti-élément ou anti-événement logique, et donc un jugement, une proposition,un signe contradictoire : non-e ; et de telle sorte que e ou non-e ne peut jamais qu'être potentialisé par l'actualisation de non-e ou e, mais non pas disparaître afin que soit non-e soit e puisse se suffire à lui-même dans une indépendance et donc une non-contradiction rigoureuse (comme dans toute logique, classique ou autre, qui se fonde sur l'absoluité du principe de non-contradiction)."
L'antagonisme selon Stéphane Lupasco est un contraire qui n'exclut pas mais un pôle du couple (actualisé; potentialisé). Nous avons déjà rencontré cette proposition chez Lothar Schäfer (cf La mort est une transition quantique) bien que chez ce dernier, il s'agissait d'états structurants. Chez S. Lupasco, en revanche, il s'agit bien de phénomènes dynamiques. On pourra réfléchir par la suite à la connexion possible entre ces deux propositions.
Si l'actualisation d'un phénomène ne semble pas poser de problèmes de compréhension, la potentialisation mérite explicitation : cette dernière n'est pas négation, ni disparition totale car dépendante d'une dynamique. Elle est même, selon un statut ontologique ad hoc, "conscience élémentaire" de ce qui s'actualise. (conscience et non "conscience de soi")
Considérant des phénomènes dynamiques, ces concepts rendent compte d'une coexistence dynamique d'antagonismes (unité/diversité; continue/discontinue; etc) et non d'actualisations "simultanées". Le couple unité/diversité par exemple est similaire à un oscillateur entre deux pôles contraires. Tous les états à l'intérieur de ce couple sont donc possibles, il existe alors une position intermédiaire où survient un moment contradictoire (deux actualisations inverses sont à égalité et s'annulent) nommé état "T" pour Tiers Inclus.
Les 3 états définis A, T, P (Actualisation, Tiers inclus, Potentialisation) forment alors les variables (observables) de la table des valeurs d'une logique du Tiers Inclus. Cette logique du tiers inclus ne s'oppose pas à la logique d'identité puisque cette dernière est une limite de la première : A=A rejette la potentialisation de A à l'infini et tous les états intermédiaires, contradictoires entre A et non-A.
Cette logique du tiers inclus se retrouve bien en systémique et la "boucle de rétroaction" est parfois un couple antagoniste.
Le principe d'antagonisme de Stéphane Lupasco est isomorphe au principe de complémentarité de Niels Bohr, aussi la logique du tiers inclus définit bien, au delà des disciplines, une logique de la connaissance.
Dans ma problématique personnelle, me servir des "creux", des "ombres" ou du "refus" m'a servi à exposer non seulement des états psychiques mais aussi des dynamiques. Changer de niveau de conscience par abduction et/ou saisir la "coupure déplaçable" d'un couple de contraires m'a permis ensuite d'intégrer psychiquement la logique du tiers inclus dans mes représentations. La complexité étalée sur une carte heuristique pouvait alors, de façon néguentropique, abstraire une sorte de symbole complexe, une matrice faite de l'ensemble des oscillateurs mis en évidence.
Cette prise de conscience est bien liée à l'énergie.
Nous aborderons cela plus loin...
L'antagonisme selon Stéphane Lupasco est un contraire qui n'exclut pas mais un pôle du couple (actualisé; potentialisé). Nous avons déjà rencontré cette proposition chez Lothar Schäfer (cf La mort est une transition quantique) bien que chez ce dernier, il s'agissait d'états structurants. Chez S. Lupasco, en revanche, il s'agit bien de phénomènes dynamiques. On pourra réfléchir par la suite à la connexion possible entre ces deux propositions.
Si l'actualisation d'un phénomène ne semble pas poser de problèmes de compréhension, la potentialisation mérite explicitation : cette dernière n'est pas négation, ni disparition totale car dépendante d'une dynamique. Elle est même, selon un statut ontologique ad hoc, "conscience élémentaire" de ce qui s'actualise. (conscience et non "conscience de soi")
Considérant des phénomènes dynamiques, ces concepts rendent compte d'une coexistence dynamique d'antagonismes (unité/diversité; continue/discontinue; etc) et non d'actualisations "simultanées". Le couple unité/diversité par exemple est similaire à un oscillateur entre deux pôles contraires. Tous les états à l'intérieur de ce couple sont donc possibles, il existe alors une position intermédiaire où survient un moment contradictoire (deux actualisations inverses sont à égalité et s'annulent) nommé état "T" pour Tiers Inclus.
Les 3 états définis A, T, P (Actualisation, Tiers inclus, Potentialisation) forment alors les variables (observables) de la table des valeurs d'une logique du Tiers Inclus. Cette logique du tiers inclus ne s'oppose pas à la logique d'identité puisque cette dernière est une limite de la première : A=A rejette la potentialisation de A à l'infini et tous les états intermédiaires, contradictoires entre A et non-A.
Cette logique du tiers inclus se retrouve bien en systémique et la "boucle de rétroaction" est parfois un couple antagoniste.
Le principe d'antagonisme de Stéphane Lupasco est isomorphe au principe de complémentarité de Niels Bohr, aussi la logique du tiers inclus définit bien, au delà des disciplines, une logique de la connaissance.
Dans ma problématique personnelle, me servir des "creux", des "ombres" ou du "refus" m'a servi à exposer non seulement des états psychiques mais aussi des dynamiques. Changer de niveau de conscience par abduction et/ou saisir la "coupure déplaçable" d'un couple de contraires m'a permis ensuite d'intégrer psychiquement la logique du tiers inclus dans mes représentations. La complexité étalée sur une carte heuristique pouvait alors, de façon néguentropique, abstraire une sorte de symbole complexe, une matrice faite de l'ensemble des oscillateurs mis en évidence.
Cette prise de conscience est bien liée à l'énergie.
Nous aborderons cela plus loin...
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