Catherine Besnard-Péron m'a transmis le livre de Laurent Dubois : "Les paradoxes du temps" peu après notre rencontre. Mes propres questions existentielles sur ce thème semblaient pouvoir trouver un écho dans ces écrits.
Construit en partie comme un dialogue platonicien, cet ouvrage explore les divers paradoxes liés au temps recensés dans la littérature, puisque le paradoxe offre une brèche étonnante voire stupéfiante de connaissance. Il a d'ailleurs été utilisé de tous temps pour condenser l'information et faire face au "bon sens". Comme si de tous temps, opposer sens et langage avait permis de faire varier notre conscience éveillée, dans le jeu oscillatoire du visible/invisible. Pour ma part, je considère que le plus beau paradoxe est sa non existence.
"Les paradoxes du temps" est un ouvrage composite construit à partir de cheminements et de questionnements au premier abord disjoints. Mais sans doute écrire sur les paradoxes temporels et du temps est-il un paradoxe en soi ! Laurent Dubois m'a cependant aidé à m'expliciter certains concepts.
Je pense notamment à sa (dé)construction du cône de lumière par des diagrammes 2D (en relativité restreinte). Ce n'est pas tant le résultat final que son approche didactique originale qui étonne et vous laisse un : "ah, oui, c'est vrai, je n'y avais pas pensé !"
Je pense aussi à son image de la dilatation du temps psychologique ressenti par rapport au temps mesuré de l'horloge. Laurent Dubois convoque à cette occasion un élastique étiré : en haut le futur, en bas le passé. A l'instant présent, vous pincez l'élastique avec vos doigts. Puis, pour expliciter votre ressenti du temps, vous tirez (par votre imaginaire !) alors sur l'élastique perpendiculairement à l'élastique déjà étiré. Vous étirez en fait un instant t sur l'élastique étiré du temps. Cet instant, vous imaginez que vous pouvez l'étirer très très loin. Vous avez devant vous alors l'instant de votre songe d'un instant, l'instant de vos pensées. On peut en généralisant cela imaginer que cet instant est aussi celui de votre vie, qui finalement, au seuil de votre mort, n'aura duré qu'un souffle...
Prenant cette image, j'ai imaginé simplement étirer de la même manière tous les instants t contenus dans l'élastique étiré du temps. Nous avons alors devant nous tous les instants de toutes les vies. Comme une matrice temporelle infinie contenant tous les temps "propres" de toutes les vies. Le temps de fait devient bi-dimensionnel : étonnant, non ? (aurait dit Pierre Desproges).
Je n'ai malheureusement jamais encore à ce jour compris pourquoi et comment le temps était unidimensionnel.
Il me paraissait si évident, si immédiat, que l'unité du monde pouvait s'aborder immédiatement, sans délai, sans distance aucune, simplement et intuitivement par la pensée. Pourquoi se compliquer avec ces histoires de degrés de liberté, de nombre de variables indépendantes au moins nécessaires à la description de l'espace considéré, donc du monde ?
Il m'aura fallu bien du "temps" justement pour accepter de regarder ailleurs que là où "on" m'avait dit de regarder. Il m'aura fallu bien du temps pour me saisir du langage et de ses concepts, des connaissances et des modèles organisateurs mais réducteurs, de l'envie d'aller dans le tumulte, d'oser affronter mes peurs de ressentir la complexité, d'oser prendre avec moi le vertigineux amour de la vie au risque raisonné de la perdre. Il m'aura fallu bien du temps pour (re)créer ma vie.
Le temps est il alors ce nécessaire recul à l'émotion ? Le temps est il cet espace qui se crée, ici et maintenant, par notre désir de transmettre ?
L'uni-dimension du temps de la physique a comme mérite au moins de servir de pivot à toutes les investigations.
Mais ce simple concept est dépassé, nous l'avons vu, Einstein nous l'a démontré: le temps est de l'espace et l'espace est du temps. Vouloir réduire ce "temps" à une expression séparée, à une grandeur physique à 1 degré de liberté est très sclérosant et annihile in fine tout possibilité de le développer, de le complexifier. La piste la plus prometteuse réside donc dans notre capacité à ressentir et appréhender par la conscience cette "chose" qui nous semble nous contenir et dont incessamment nous semblons nous vouloir nous affranchir.
Quelle est en fait la dualité de l'unité paradoxale du temps ? Dit autrement, puisque nous considérons le temps comme une entité unitaire, indécomposable, existe t il une autre entité plus "large" et qui l'engloberait ? Est il possible par exemple d'appliquer l'heuristique de Grothendieck au temps ?
La première étape, nous l'avons déjà vu, est de considérer une fois pour toutes que le temps est lié de manière indéfectible à l'espace et que le modèle dominant actuel physique pour expliciter notre univers est un de ces modèles d'espace temps à 4 dimensions au moins. ( Je laisse ici la place aux conjectures des espaces temps à n dimensions, n étant supérieur ou égal à 4 : cf Théories des Cordes etc..).
La curiosité de ces modèles pour le temps tient d'ailleurs au fait qu'à l'exception d'une ou de deux théories, la plupart considère des dimensions supplémentaires d'espace et jamais de temps !
L'espace-temps à 4 dimensions semble donc être le plus petit modèle d'espace-temps efficient et réalisable même si in fine, il n'est pas satisfaisant pour tout et ne permet pas de tout expliquer. L'heuristique ne mène nulle part...
L'espace-temps est orienté. Il faut en finir une fois pour toutes avec cette croyance que l'espace seul ne l'est pas et que le temps seul l'est. On ne peut revenir en arrière dans notre temps déjà vécu : certes ! Mais dans notre espace non plus que je sache et croire le contraire est un joli déni de la réalité. Car l'espace-temps dans lequel nous étions n'est déjà plus !
Ce que j'aime dans les paradoxes du temps, c'est certainement de nous éclairer sur ce que le temps n'est pas : ni durée, ni mouvement, ni phénomène temporel. Et de façon amusante, il peut être enrichissant de postuler sa non existence pour trouver sa "matière". Comment définir un fantôme autrement que par l'arbitraire ? Supprimons l'arbitraire, la croyance que le "temps" existe, et regardons autour de nous.
St Augustin nous a déjà convié à cet acte : "Qu’est-ce donc que le temps? Si personne ne m’interroge, je le sais; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore. Et pourtant j’affirme hardiment, que si rien ne passait, il n’y aurait point de temps passé; que si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir, et que si rien n’était, il n’y aurait point de temps présent. Or, ces deux temps, le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore? Pour le présent, s’il était toujours présent sans voler au passé, il ne serait plus temps; il serait l’éternité. Si donc le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé, comment pouvons-nous dire qu’une chose soit, qui ne peut être qu’à la condition de n’être plus? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce qu’il tend à n’être pas? " (Les Confessions, Livre 11, Chap XIV § 18) Et plus loin (Chap XV) : "Ainsi, le présent est sans étendue". Plus loin encore, St Augustin confronte clairement le temps et l'esprit qui le perçoit (Chap XX : "Il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de l’avenir. Car ce triple mode de présence existe dans l’esprit; je ne le vois pas ailleurs. Le présent du passé, c’est la mémoire; le présent du présent, c’est l’attention actuelle; le présent de l’avenir, c’est son attente." Il est d'ailleurs intéressant de souligner chez ce père de l'Eglise, un "triple mode de présence" du temps, comme une analogie à la Sainte Trinité ?
Ainsi le temps n'est pas. Mais a t il à être ? Kant a clairement proposé que non : le temps est une forme a priori de notre intuition. Comment alors quantifier et mesurer cette vacuité, inséparable de notre conscience ?
Le problème de la mesure du temps n'a cessé et ne cesse encore d'occuper les philosophes et les scientifiques ! Sa résolution, au moins arbitraire, à toutes époques, ne résout en fait nullement la "consistance" de l'objet temps...
Laurent Dubois semble montrer, au moins illustrer, par la forme même de son ouvrage, par la forme même de son discours, une discontinuité de l'investigation "temporelle" non ancrée dans un récit. Cette discontinuité est à l'image des paradoxes cités : il est comme une mise en abyme ou une représentation de fractale. Le vertigineux, l'infini, semblent la règle et se trouvent bornés cependant par de rassurants piliers. Quelle est alors la réalité du temps ?
Cette réponse a t elle d'ailleurs une importance ?
2 commentaires:
Quand j'ai lu cet article il y a un bon mois, j'avais dans ma tête un ruban de Möbius avec un homme marchant dessus et le temps passant au travers et aussi une autre image avec deux repères 3D superposés un pour l'espace l'autre pour le temps. Depuis j'ai continuer à penser à ce paradoxe du temps...
Puis j'en suis arriver à penser que le temps n'est jamais que la conséquence du mouvement. L'univers serait immobile, il n'y aurait pas de temps. Lapalisse n'aurait pas fait mieux, mais si on s'accroche à ce point de vue qui est que c'est le mouvement qui génère le temps, alors on peut considérer que le temps n'est qu'un moyen de mesurer le mouvement et non pas l'inverse.(on se sert du mouvement pour mesurer le temps)
J'aime beaucoup cette image du ruban et du temps qui passe à travers. Elle me fait songer à une triade lupascienne contenant la causalité... Cependant, si l'univers est immobile, il n'existe pas alors que fait il ou mieux dit, qu'est il ? J'en viens à penser (comme d'autres penseurs) que c'est l'affect, comme un rythme, une pulsation, qui est ce temps/mouvement. Le temps n'est plus une donnée en soi, il advient, oui, ce postulat est désormais établi. Mais par quoi ? Je postule pour ma part que c'est l'amour qui le fait advenir (et encore ce mot advenir est mal choisi car il sous entend une causalité extérieure)...Il faut aller lire le blog de Stéphane Laborde (cité) qui étudie un modèle d'univers en 5D où le temps n'a plus la même saveur qu'ici bas en 4D...
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