J'ai ressenti très tôt la tragique douleur devant la souffrance de l'être mortel, cette angoisse qui fait que RIEN de vivant ne semble y échapper. Cette angoisse exposée vous fait passer aux yeux de l'autre pour un pessimiste de la vie, qui ne voit que le côté sombre de la lumière. Mais rejeter cette angoisse sous le prétexte fallacieux de rester "positif", c'est créer une séparation non seulement subversive mais perverse. Combien de lectures, combien d'approches, combien de "vies" débutées m'aura t il fallu pour prendre avec moi cette angoisse et la relier, enfin, à la lumière ? Car il ne s'agissait pas de séparer mais bien de lier et de saisir enfin que si tout est déjà là, encore faut il déployer l'espace-temps des possibles, incessamment s'ouvrir, large et rapide, à l'autre.
Cette posture m'était naturel, je crois. Enfant, le monde m'a paru très étrangement et très extrêmement compréhensible. Ce qui me heurtait était plutôt le retour de mon environnement, parfois à l'opposé de cette simplicité, parfois muet et parfois franchement réprobateur. Etre un autre alors qu'on tente de vous éduquer comme soi est une sacrée gageure et au final une torsion. Torsion qui ne vous quitte plus et vous fait interroger sans cesse le pourquoi de la norme, du social, du bien et du mal, de l'espace-temps, du sexe, des combinatoires etc...
Le temps n'existe pas mais il m'aura fallu plus de 30 ans pour me saisir de cette évidence. Evidence qui, à ceux qui peuvent être tentés de me lire et courageux, de poursuivre (!), apparait comme une contre vérité ésotérique au mieux, voire comme la manifestation avancée d'une psychose ! Et pourtant, écouter et voir Carlo Rovelli parler de l'espace-temps, en 2005 à la Cité des Sciences, ne relève vraiment pas de la psychose et ce garçon est lumineux, dans son approche de la science, et simple, dans son approche de la physique, car il relie. Il relie Anaximandre, au 7è siècle avant JC, à Lee Smolin 28 siècles plus tard, c'est peu dire, donc, qu'il voit large et rapide !
L'évidence, à ce point, est limpide : "la relation à" est primordiale. "La relation à" est la base ou le nœud ou la clé qui permet de s'emparer de l'univers. Les sciences ont objectivé littéralement cette "relation à " en la réduisant à quelques propriétés "essentielles", opératoires, réfutables. Mais réfuter scientifiquement une ou des propriétés n'invalide jamais "la relation à" , sa propre réalité primordiale. Il suffit de trouver d'autre propriétés valides temporairement. En revanche, il ne faut pas perdre de vue, jamais oublier, la réalité primordiale, même et surtout si elle est insaisissable. Car c'est d'elle que tout vient et où tout va.
Il ne faut pas oublier. Il faut donc, non se contenter d'être l'instant présent, mais être tous les instants à la fois et s'en souvenir. Seule la mémoire permet de relier, donc d'être "en relation à".
Michel Serres, dans cette conférence de 2007, explicite comment la révolution de l'information numérique a poussé l'humain à externaliser sa mémoire et combien cela l'oblige à devenir (plus que jamais !?) intelligent ! Intelligent au sens d'inventif, créatif, reliant, transparent également (puisque la mémoire de chacun est exposée à la mémoire de tous) et tel St Denis, décapité, portant sa tête devant lui, l'être humain doit poser ses principes premiers, primordiaux, devant lui et en "faire" quelque chose !
La création et la transparence, ce sont les principes d'un blog sur le réseau internet, ouvert à tous. Ces principes sont à l'opposé de la logique mercantile d'exclusion qui veut aliéner, i.e. réduire, l'humain au consommateur passif devant une création opaque privée et souvent assez "pauvre" car justement dénuée de liens vers une ouverture riche et libératrice...
Stéphane Lupasco nous a laissé un bel héritage de sa pensée dense et complexe en écrivant toute sa vie durant sur le thème de la logique de l'inclusion, sur la logique du système ouvert gödelien. De l'antagonisme fort entre le besoin impérieux de l'intelligence créative et transparente pour tous et le postulat totalitaire de l'opacité réductrice et efficace d'une industrie (économique et politique) mondiale dénuée de mémoire, doit germer et s'ouvrir un "milieu". Une voie d'équilibre en quelque sorte. Comme est la vie, finalement...
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