Après avoir écouté Fabrice Midal, ( voir Bardo Thödol...) j'ai commencé la lecture de ses écrits et visionné certaines de ses vidéos.
Un article m'a particulièrement touché : Esprits Médiateurs au sein du Tantra Bouddhiste. Comment, en effet, lorsqu'on commence à s'intéresser au bouddhisme, saisir, hors de toute métaphysique cartésienne, le concept de "déité", sans identification trompeuse, fallacieuse et au final très paradoxale, à notre concept de "dieu" (inhérent aux poly- comme aux mono-théismes) ?
Chögyam Trungpa et Fabrice Midal (FM), une fois de plus, nous apportent des éclairages. Voyons çà.
D'emblée, FM introduit son propos en le relativisant, c'est à dire, en le mettant en relation avec un ensemble : le concept de déité tient entièrement, non dans un système composite de propriétés diverses (symboles, rituels, image) spécifiques à chaque école doctrinale, mais dans la relation, le rapport de présence qu'elle entretient avec le pratiquant bouddhiste. Interroger cette relation, ce rapport de présence, c'est questionner finalement la co-structure ou méta-système constitué de la déité et du pratiquant, cette co-structure émergeant par une rétroaction itérative de la relation. Or, Fabrice Midal l'énonce clairement : "La question du « rapport » est ici centrale. Elle est en fait au cœur du bouddhisme, l'enjeu de son déploiement propre." Ainsi, interroger la déité, c'est questionner le rapport de présence avec elle et in fine l'enjeu même du bouddhisme : la déité est bien la "clé" pour se saisir du bouddhisme.
FM enfonce ensuite le clou : "une déité n'est jamais une image, une conception mentale, mais toujours une présence vivante qui répond à la possibilité qu'à l'homme de s'ouvrir à elle."
Mais malgré cette présence vivante, la déité n'a pas d'existence ontologique. Pour bien s'imprégner de ce paradoxe, il faut prendre du champ : le paradoxe n'existe que pour nous, occidentaux, immergés dans "notre "métaphysique duelle qui sépare "sensible et intelligible" nous dit Fabrice Midal. Ainsi : "La déité n'y est pas véritablement sensible – elle n'a pas un corps matériel, sa manifestation est pure luminosité – ni pour autant intelligible : toute rencontre avec la déité se vit de la manière la plus émouvante et la plus sensible qu'il soit."
Comment comprendre cette dernière phrase ? FM nous rappelle que depuis Descartes, nous avons séparé sujet et objet, subjectivité et objectivité, en les reliant respectivement à sensible et intelligible alors que pour saisir le concept de déité, il ne s'agit pas d'utiliser ces biplets ainsi formés dans une logique d'exclusion d'antagonistes.
"Le pratiquant ne visualise pas une déité en en constituant une image dans sa tête ; il l'invite à être par tous ses sens, l'appelant ainsi à être présente en personne" même si cette présence n'est pas "substantielle". Mais notre existence l'est elle vraiment ?
FM relate la rencontre décisive entre un "érudit", Naropa, et la deité Vajrayogini et ses commentaires sont éloquents sur le sens du chemin à prendre pour prendre avec soi la déité : "Après avoir développé, pendant de longues années, son intelligence et sa science, Naropa fit l'expérience soudaine de l'espace sans point de référence. Telle est Vajrayogini, la déité, visage tangible de la vacuité. (...) Chez Naropa, la rencontre avec la déité répond à une expérience profonde. Il a vu, sur le champ, que ses constructions intellectuelles ne lui permettaient pas une entrée véritable au sein de la réalité, mais ne faisaient que l'en préserver." Nous retrouvons bien là le concept du mental qui masque la réalité, c'est à dire, qui remplace la relation directe et nue, vivante, par une relation figée et crispée, comme morte. Nous retrouvons bien là le concept de la logique de l'exclusion, (liée ici à l'investigation intellectuelle et scientifique de Naropa) qui enferme l'esprit et la conscience dans de vaines polarités réductrices voire perverses lorsqu'elles font croire à leur ouverture intrinsèque tandis qu'elles ne sont que fermetures !
Ouverture, Fabrice Midal le relate plus loin : "En effet, visualiser une déité ne consiste pas à mettre dans sa tête une représentation mentale particulière. Cela implique, dans une toute autre modalité, de sortir de soi jusqu'à rencontrer ce qui nous est le plus intime : cette ouverture vivante. La rencontre de la déité ne se joue pas dans notre intériorité. Sa visualisation se développe sur la base d'un espacement primordial qui, avant toute manifestation possible, est présence."
Et d'asséner encore combien nos conceptions erronées nous éloignent de cette présence ! FM relate ensuite la méprise intellectuelle de l'association identitaire réalisée entre déité et archétype jungien. Méprise sémantique profonde : l'esprit (pour un bouddhiste) n'est pas ce que désigne ordinairement notre philosophie et notre psychologie occidentale, "Un tel esprit [rigpa] – que la tradition bouddhiste distingue de l'esprit ordinaire et confus [sem] – est précisément sans limites, et ne recouvre nullement les différentes déterminations occidentales que nous donnons à ce terme." Or, "L'archétype repose sur une conception de l'esprit humain clôturé sur lui-même.(...) En lui-même, l'archétype est vide, (...) il est un élément purement formel, rien d'autre qu'une facultas praeformandi (une possibilité de préformation), forme de représentation donnée a priori." Et comme conclue Fabrice Midal : "Entre sentir le vent frais sur son visage en le vivant comme la compassion universelle de Tchenrézi [une déité] qui m'ouvre, sur-le-champ, à l'inconditionnel de ma condition, et un élément purement formel existant dans ma conscience, il y un abîme."
Nous, occidentaux, sommes enfermés dans cette métaphysique de l'exclusion, dans cet ego trompeur et séparateur. Alors, Fabrice Midal tente de nous représenter le non-ego, "cette forme du sans forme", cette espace où apparaît la déité. La méditation peut nous apporter cette expérience : "on se met à perdre le point de repère de la conscience de soi-même ; on fait l'expérience du milieu où se déroule la pratique et du
monde, sans tout ramener à la vue étroite du "moi"." Et FM le répète plus loin : "Une déité est avant tout une manifestation de la nature du non-ego,". Une déité est la manifestation de l'être éveillé et l'invoquer et la devenir est la voie royale pour actualiser cette nature de bouddha , dans la vajrayana.
Ainsi, invoquer puis devenir une déité, c'est devenir ce rapport de présence hors de la conscience de soi, cette vacuité et cette compassion inséparables. Que devient on exactement ? Le symbolisme bouddhiste nous apprend que "Penser à elle [la déité], c'est se commémorer, sous un visage immédiatement perceptible, la manière dont la doctrine bouddhiste considère la réalité, c'est éprouver la multiplicité des qualités de l'éveil." Nous devenons : nus, dépouillés de tout, omniscients (passé/présent/futur ne sont plus), connaissance discriminante et action juste, compassion universelle, perçants et inflexibles, sans attaches aucune, générosité, patience, discipline, patience, effort, méditation, intelligence pure, mobiles..
Mais ces mots sont encore à la fois peu et trop précis et surtout permettent une représentation mentale qui masque, in fine, le véritable rapport de présence que chaque être peut devenir par l'expérience d'une déité...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire