samedi 19 juin 2010

Considérations sur les HPI : Universalité et Singularité.

Dans Surdoué, HPI : a-normalité.., nous avons, avec l'aide précieuse, théorique et expérientielle, de Nikos Lygéros, abordé la vue sociale du concept de HPI (Haut Potentiel Intellectuel). De la recherche basique de définition de concept, nous avons illustré qu'il était nécessaire de sortir du cadre dans lequel la société l'enferme et qu'il fallait, non réitérer ce cadre étroit au sein de sociétés spécifiques très spécialisées (car regroupant "exclusivement" des HPI par exemple) et ayant la tentation légitime et humaine de rester confinées, mais bien plutôt de tenter d'élaborer une heuristique sur cette complexité. En bref, s'intéresser au contenu et à la finalité plutôt qu'au contenant et à la forme.

N. Lygéros s'y est bien évidemment attelé : dans Sur les dangers de l'intelligence, il introduit comment la société Pi a été fondée en 1999 et sur quels principes et dans quel cadre elle fonctionne. L'architecture conceptuelle est donné par sa M-Classification. Ce document, qui se veut outil opératoire, est riche d'enseignements. Voyons çà.
Tout d'abord, il est clair que N. Lygéros souhaite, par le haut, construire un édifice : il s'interroge en premier sur la notion de génie et notamment de génie universel. De nombreux articles de son opus (en ligne) illustrent et documentent ce concept. Nous avons retenu la Nécessité de création et de découverte, comme une recherche bibliographique auprès de ces hommes et femmes qui ont inspiré sa pensée. Les plus importants sont certainement à ses yeux ceux qui, au sein de son opus, possèdent une entrée à leur nom !

M-Classification est une colonne vertébrale de l'arborescence des connaissances à saisir pour élaborer une "complexité de l'intelligence" ainsi  qu'une méthode.  { D'ailleurs, certains reprochent à N. Lygéros outre sa prolifique production (!), son auto-référencement assez fréquent qui débouche selon eux sur une pensée tautologique : il est plus certain que c'est le foisonnement arborescent d'articles en tous genres et sur de nombreux sujets qui crée le sentiment de confinement et d'auto-célébration intellectuelle, alors même qu'un nombre certain mais plus restreint (en mathématiques ou en philosophie) sont rigoureusement documentés et ouverts à la critique. } Il s'agit donc de méthode et les séquences décrites dans M-Classification renvoient pour la plupart à d'autres références, d'autres articles, d'autres items en arborescence ouverte.

Une méthode pour quoi ? Et bien, il semble aller de soi que cette méta-méthode, qui se veut générique, se décrit assez bien elle-même. Elle décrit aussi par nature son créateur qui depuis toujours semble se heurter à sa singularité : comment la saisir ? Il se sait intelligent, d'autres l'ont aussi ré-assuré, mais à un point où il se retrouve bien seul (cf Idées sur l'Homo Scientis, par exemple) et fort démuni par les modèles existant alors sur l'intelligence. Et si il construisait lui-même ce nouveau modèle, comme un nouveau paradigme, ouvrant l'horizon des Très Hauts Potentiels Intellectuels ?


1) il part donc de l'observable "intelligence" dont la mesure par le quotient intellectuel (Q.I.) se réduit aujourd'hui à quatre "domaines" de savoir : mathématiques, sciences, lettres, philosophie. Cette mesure donne lieu à une échelle normée donc à une quantification de l'observable (par isomorphisme). Mais N. Lygéros postule des seuils critiques correspondant à des phases qualitatives. Il étudie donc particulièrement les aspects qualitatifs liés aux seuils de rareté élevés (% de présence faible dans la population) et sur des QI élevés (supérieur à 150 ou + 3 écarts-types). (pour un simple aperçu de la notion de QI, pour un tableau reliant QI, Sigma (écart type), rareté et % de présence)
2) il définit ensuite ces aspects qualitatifs en les classant selon trois groupes : surdoué, génie et génie universel. Il rapproche ces notions de personnes célèbres. Il tente donc d'établir par analogie bibliographique un éclairage sur les trois groupes définis préalablement.
3) il définit alors les "bases" de nouveaux tests qui selon lui vont permettre de "mesurer" quantitativement ces aspects qualitatifs. Ces tests seront utilisés essentiellement pour affiner spécifiquement et discriminer un faible nombre d'individus entre eux puisque la plupart débutent à partir d'une rareté statistique supérieure à 1/1000. Nous y reviendrons en détail...
4) Ces discriminations réalisées, il est possible de réunir ensemble ces individus singuliers voire très singuliers. C'est là que N. Lygéros postule qu'il est nécessaire de sortir du cadre social "normal" pour ces individus : non pas réinventer la normalité de l'a-normalité au sein de clubs "chics" mais bien plutôt faire émerger un nouveau "modèle" : "Si le groupe est prométhéen alors c'est un modèle de l'humanité. (...) La notion de groupe s'identifie à celle de société. ". Au sein de ce raisonnement se tiennent les Principes Heuristiques que nous avons déjà évoqué (voir Principes Heuristiques ...), principes qu'il semble nécessaire d'utiliser pour arriver à cette fin.
5) Enfin, N.L. transfère tous ses axiomes au sein d'une structure sociale par un isomorphisme de groupe et établit ainsi formellement les "objets" sociaux d'une société "idéale" gérée par des individus très singuliers.
A quoi sert la méthode décrite ? A découvrir et non à conserver.
La formalisation des préceptes contenues dans M-Classification fournit une ontologie de la démarche heuristique consubstantielle à l'intelligence. Sa téléologie s'exprimant avec force au dernier point (6.7) : "L'œuvre crée l'être".
Autrement dit : l'intelligence existe (point 1) et elle s'exprime au travers de l'œuvre qui advient, nous la mesurons donc, in fine, par tout ce qu'elle permet de découvrir.

Voici bien une question/réponse ouverte !

Revenons cependant sur ces sociétés regroupant des individus à Haut Potentiel Intellectuel et leur statut : "ouverte sur le monde ou fermée" ? Par définition, une société, un regroupement d'humains, dont l'objet est clairement identifié, la finalité, les moyens, les ressources (les membres) et la production intellectuelle sont clairement visibles pour tous n'est pas une société "fermée" ni encore moins occulte. Que l'entrée soit restreinte à certains individus ne remet pas en cause le statut de système ouvert, en revanche, il existe un biais qui caractérise donc cette société. Pour prendre l'analogie avec une cellule vivante, celle-ci est un système dynamique ouvert sur son environnement et sa membrane (son "fermé") est bien le "biais", la cloison, la frontière qui la caractérise de son environnement. En d'autre termes, la coupure déplaçable entre le sujet et l'objet caractérise la dualité mais n'enferme pas cette dernière dans un schéma statique. Enfin, pour reprendre les termes de N. Lygéros, puisque toutes ces sociétés se définissent peu ou prou par leur rapport à l'intelligence, il faut examiner non leur statut proprement dit, mais ce qu'elle nous permettent de découvrir !

Cette question sur les conditions, critères,  d'admission au sein de ces sociétés à Haut QI est certainement LA question cruciale qui a animé nombre de ses membres. Nous pouvons en avoir un aperçu dans  ce document résumé de Darryl Myaguchi, avec beaucoup d'humour ! Enfin, l'organisation de l'information, du savoir et donc du pouvoir au sein de ces sociétés est symptomatique de leur degré d'ouverture aux autres : Kevin Langdon, membre de nombreuses sociétés regroupant des individus à haut QI (dont The Mega Society et Mensa USA) nous livre ici son manifeste pour une liberté d'expression, preuve qu'au sein de ces regroupements, les problèmes sociaux restent étonnamment similaires à ceux  de la société générale !

Et si en fait, malgré ces batteries de tests, (voir ce tableau de 2000, où 60 tests sont répertoriés avec les scores minima d'entrée pour chaque société existante de l'époque (14)), l'observable "Intelligence" ne se laissait pas mesurer ? Nous reviendrons plus tard sur cette question...

Cela nous ramène à la classification initiale qualitative et quantitative des expressions de l'intelligence. N. Lygéros défend son point de vue dans ce très bel article : Ontologie et Téléologie. La synthèse lygérienne n'est pas dogmatique malgré les apparences, nous pouvons trouver d'autres sources d'études qui s'approchent des phases décrites ici : surdoué, génie et génie universel. Un document de 1987 (The Outsiders) paru chez Prometheus Society (fondée en 1982 par Ronald Hoeflin) de Grady Towers illustre ainsi les corrélations entre Haut QI, scores élevés à certains tests et fréquence de désordres mentaux et/ou sociaux dans ces populations : il apparait déjà chez Leta Hollingworth ("Children above 180 I.Q." 1942) que ce seuil de QI autour de 5 sigma discrimine fortement des comportements sociaux singuliers. Cette très forte singularité, exprimée socialement par des troubles psychologiques voire psychotiques (pour une forte partie de cette population d'après les travaux de Lewis Terman) explique aussi l'isolement de ces personnes. Il est troublant ensuite de lire N.Lygéros : "Autant le génie pouvait avoir une définition propre et au moins théoriquement indépendante de l’humanité, autant cela est impossible pour le génie universel. Car ce dernier, par nature, doit être nécessairement reconnu par l’humanité comme tel. Pour lui, son ontologie, c’est sa téléologie." Et plus loin : "De plus, à la différence du simple génie, il ne vit qu’à travers la mort car ce n’est uniquement en se consumant qu’il devient ce qu’il est. Il doit mourir pour être." Deux notions semblent s'opposer : génie/singularité (avec les troubles sociaux relevés) et universalité. Le couplage entre ces deux antagonismes est "brillamment" illustré chez Lygéros par la métaphore de la bougie et de la flamme : "le point de vue de la flamme est encore plus remarquable car elle n’appartient à aucune des bougies tout en faisant partie de chacune d’entre elles. Elle n’est à personne en particulier car elle est à tous. Elle s’appuie sur les bougies pour l’aider à éclairer le monde, elle est changeante par nature puisqu’elle ne cesse de changer de substrat néanmoins elle a un caractère immuable par sa diachronicité. Bien que de type caméléonien, elle ne représente pas un caméléon mais la pensée des caméléons, la téléologie de leur ontologie."

Toutes ces considérations nous amènent à :
1) Il semble difficile d'examiner scientifiquement les trop "hautes" singularités liées à l'intelligence, leur nombre très réduit empêche l'application de la méthodologie classique. Néanmoins, un certain nombre d'études longitudinales portant sur des groupes d'individus ont déjà permis des classifications et des comparaisons avec d'autres groupes de population. Par une démarche heuristique, N. Lygéros entend ouvrir cet examen vers de nouveaux horizons où l'universalité rejoint la singularité et définit son ontologie. Dit autrement, la science semble, in fine, de peu de secours pour comprendre les THPI. Prenons cela comme un état temporaire...

2) Les sociétés regroupant les HQI sont multiples mais ont toutes connues les mêmes problèmes de constitution, de régulation et de pérennité : à savoir des querelles d'ego. MENSA échappe sans doute quantitativement à ces problèmes récurrents du fait aussi de sa taille (nombre de membres de par le monde) et du seuil d'entrée : elle "recrute" à partir d'un seuil de 2%, (soit 2 sigma sur une échelle normée de QI), ce qui est loin des seuils de Pi ou de Méga.

3) Et si de l'intelligence, nous ne savions encore rien ?


Aucun commentaire: