A l'écoute : The Meaning of Life de Dajla
J'ai enfin pris avec moi cet été que j'ai "besoin" de quelques jours pour changer de rythme, les premiers jours de vacances étant quasiment toujours insupportables pour mon entourage (!). Je n'ai pas en revanche compris pourquoi, encore, bien que des pistes s'offrent à moi...
Ces moments de perturbation sont des instants de changement et peuvent se rapprocher ainsi du concept de "seuil". Avant ce seuil, l'obsession est de partir, après ce seuil, l'intention est de ne pas rentrer, entre les deux, je ne sais plus rien, je ne ressens plus rien, tout semble là, en désordre, le verre est à la fois à moitié plein et à moitié vide, l'action est vaine et la pensée mouline à "vide".
Ainsi se dégagent trois "éléments" ou plutôt une vue ternaire de cette perturbation liée au changement. Cela nous rappelle un changement d'état en physique-chimie... Cela se rapproche aussi de la phase liminaire conceptualisée par Arnold van Gennep dans son ouvrage "Les Rites de Passage" édité en 1909. Ethnologue de formation, A. van Gennep va relier sous le vocable "Rite de Passage" un ensemble de rites jusque là vus sans aucun rapport : l'image qui lui sert de lien est le seuil.
Nicolas Journet nous l'explique très bien ici : "C'est sur ce motif spatial - celui du franchissement d'un seuil - que van Gennep construit l'image qui va lui permettre de comparer un très grand nombre de rites, habituellement considérés comme sans rapports les uns avec les autres : rites de fécondité, fêtes calendaires, cérémonies de mariage, baptêmes, circoncisions, rites de purification, cérémonies d'accès à une fonction, à une société guerrière ou religieuse, à un culte totémique ou ancestral, initiations chamaniques, etc."
Or, précise N. Journet, ce seuil se relie bien à une structure ternaire : pré-liminaire, liminaire (sur le seuil) et post-liminaire. Cette image de trois phases liées ensemble nous rappelle aussi Discontinuité et A-causalité où j'ai étudié la triade lupascienne {continu, seuil, discontinu }. Du point de vue de l'acteur, ajoute N. Journet, cette vue (ou tri-vue) peut aussi s'interpréter par les trois phases suivantes : "séparation (de l'état ou du lieu antérieur), marge (entre deux), et agrégation (à un nouvel état)".
Ainsi, la phase "liminaire" de van Gennep est aussi une phase "marginale" qu'il est bien tentant ici de relier par analogie au tiers inclus de S. Lupasco.
Or, l'image la plus rigoureuse certainement du tiers inclus lupascien consiste en la définition suivante : un état où co-existe "simultanément" un double antagonisme de propositions non-contradictoires mais opposées, cet état définissant ainsi un irréductible contradictoire absolu entre deux non-contradictions relatives (selon B. Nicolescu). Cet état, S. Lupasco l'a martelé dans ses ouvrages, est l'exact opposé de la synthèse hégélienne ou marxiste consistant selon lui en une fusion dissolvante des contradictions. Dans le tiers inclus, il n'y a aucune dissolution, bien au contraire, mais intégration c'est à dire ouverture d'un espace, accès à une dimension supplémentaire voire à un autre "niveau de réalité" selon Nicolescu. La dissolution pourrait dans ce cas être interprétée comme une dés-intégration.
"Irréductible contradictoire" signifie bien littéralement que dans le niveau de réalité où sont situés les deux évènements contradictoires, la contradiction n'y est jamais "réduite" et présente.
Une analogie géométrique apporte ici de la clarté. Prenons une hyperbole formée par la cissoïdale de deux droites sécantes quelconques :
Étant donné deux droites sécantes et un point A en dehors de ces droites, le lieu des points M tels que où P et Q sont les deux points d'intersection avec les asymptotes d'une droite variable passant par A, est l'hyperbole passant par A et d'asymptotes les deux droites de départ (on en déduit facilement que l’hyperbole est la cissoïdale de deux droites sécantes). |
Ainsi, passer d'une demi-hyperbole à une autre nécessite "un saut" au-dessus d'une asymptote, cette dernière, par définition ne contenant jamais aucun point de l'hyperbole. Ce saut s'accompagne en outre à chaque fois d'un changement de "signe" des coordonnées des points de la courbe. Il y a donc comme une inversion de polarité.
Cette inversion est donc "contenue" dans le tiers inclus, siège irréductible de la contradiction et seuil/passage entre e et non-e.
Cette inversion, Victor Turner l'a conceptualisée clairement en ethnologie, en poursuivant les travaux de A.van Gennep, et l'a associé à la phase liminaire, au seuil. Ainsi, comme le rapporte N. Journet, "Turner en arrive-t-il à une interprétation beaucoup plus large de la dynamique sociale : toutes les sociétés seraient construites sur une opposition entre structure et antistructure." Entre les deux, le passage/seuil, la phase liminaire permet à l'individu social de prendre conscience à la fois de la structure et de l'anti-structure, de la séparation et de l'agrégation, de l'avant et de l'après. C'est exactement analogue à la position du tiers inclus T qui "contient" à la fois une part de l'évènement e et une part "égale" mais opposée de l'évènement non-e antagoniste. C'est exactement analogue, comme je l'ai illustré dans Bardo : au delà de la folie..., à l'état de bardo , concept opératif du bouddisme tibétain selon C.Trungpa.
Cette inversion reliée au seuil/passage est certes transitoire mais néanmoins consubstantielle du changement.
Ainsi, heureusement pour mon entourage, mon changement d'humeur post-liminaire à l'état de vacance de mon esprit en "vacances" d'été est transitoire et s'agrège sans difficulté aux humeurs de mes semblables en congés, après s'être séparé avec conflit des ambiances de travail...
"Partir, revenir" : un modèle paradigmatique du seuil ?