Dans Autisme : le complexe Systemising/Empathising, nous avons longuement commenté une partie des travaux de l'équipe de Simon Baron-Cohen (SBC) sur la théorie E-S et l'EMB. Nous avons également présenté les quatre tests principaux (AQ, SQ, SQ-R et EQ), corrélés entre eux, qui permettent à chacun de se situer sur l'échelle du continuum autistique (le fameux "spectre" de Lorna Wing d'où la dénomination en anglais : ASC = Autistic Spectrum Conditions équivalent à TSA = Troubles du Spectre Autistique).
Nous allons ici reprendre simplement les principaux chiffres et tableaux issus d'un ensemble de publications à des fins pratiques d'utilisation individuelle. Passer de tels tests en ligne, c'est bien, mais avoir à disposition ensuite les éléments nécessaires à leur mise en relation, c'est mieux !
Prolégomènes : La théorie de l'"aveuglement cognitif" ("mindblindness") est parfaite pour rendre compte des 2 termes "sociaux" de la triade de Lorna Wing générant le spectre autistique (ACS - TSA) mais est inopérante pour le troisième terme (attention aux détails, intérêts "étroits", besoin de "compulsion"). Aussi, la théorie cognitive E-S (pour empathising et systemising) prend en compte 2 variables a priori indépendantes explicitant l'ensemble de la triade. Cette théorie, étendue à l'EMB (Extreme Male Brain), prédit également la prévalence masculine des TSA.
Définitions : Empathising : dans une théorie dualiste de l'esprit, l'empathising désigne la capacité d'un individu à comprendre et à interagir avec un autre, ce terme relie à la fois l'empathie cognitive et l'empathie affective/émotionnelle : capacité à se connecter aux états mentaux de l'autre, qu'ils soient émotionnels ou non. On peut aussi voir çà à la limite comme une connaissance sans compréhension dans le sens où savoir/compréhension seraient 2 variables indépendantes mais complémentaires de la "prise" du monde.
Systemising : le systemising désigne la capacité d'un individu à se saisir d'une analyse des entrées/sorties de tout système relationnel et à les construire voire les diriger. Cette capacité peut ainsi se relier à une théorie dualiste de l'esprit dans la mesure où nous admettons que les états mentaux forment de multiples systèmes entre eux et avec l'environnement. Mais le systemising est en quelque sorte la compréhension des systèmes relationnels de l'autre sans connaissance de l'autre à l'inverse de l'empathising. Enfin, l'empathising est intentionnelle et "attentionnelle" au sujet vivant lorsque le systemising s'adresse à tout système - objet, même non vivant (au sens littéral du mot français "systématiser" finalement).
L'équipe de S. Baron-Cohen a élaboré des indicateurs permettant d'estimer ces variables qualitatives que sont : systemising, empathising et autisme. Ces indicateurs mesurent de fait une quantité sur une échelle continue :
AQ (Autism Quotient) mesure le degré d'atteinte des TSA sur une échelle de 50 points;
EQ (Empathy Quotient) mesure le degré d'utilisation du facteur "empathie" (ou "empathising") dans la relation humaine sur un échelle de 80 points;
SQ (Systemising Quotient) mesure le degré d'utilisation du facteur "systemising" (ou "mode de pensée par systèmes") dans la relation humaine et avec son environnement en général, sur une échelle de 80 points. Cet indicateur est cependant apparu biaisé par le sexe (prévalence du masculin sur le féminin).
SQ-R (Systemising Quotient Revised) mesure peu ou prou la même chose que SQ mais cet indicateur a été élargi à des domaines plus généraux que ceux de SQ, son échelle est de 150 points. Cet indicateur est aujourd'hui plus adapté du fait du biais apparu sur SQ.
Tests : Les tests conçus sur différentes périodes et étalonnés avec différents échantillons de populations n'ont jamais été réalisés à "grande échelle" de manière systématique sur une population générale, ils restent des outils de recherche. Cependant, les études publiées démontrent une bonne prédiction et corrélation indirecte avec la population ciblée de personnes atteintes du Syndrome d'Asperger (AS) ou d'Autisme de Haut Niveau (HFA). Ces tests sont conçus pour des individus avec un QI moyen ou supérieur ( supérieur à 85 sur l'échelle de Wechsler).
Il s'agit dans tous les cas de tests en auto-évaluation dans lesquels il faut répondre à une batterie de questions (60 pour EQ et SQ, 50 pour AQ et 75 pour SQ-R) selon 4 items : "Tout à fait d'Accord", "Plutôt d'Accord", Plutôt Pas d'Accord" ou "Pas du Tout d'Accord".
Versions en ligne : en anglais : AQ ; SQ ; EQ ; SQ-R
en français : AQ ; EQ et SQ-R
Ceux qui souhaitent réaliser le test SQ en français peuvent aller télécharger le questionnaire directement sur le site d'origine où se trouvent d'ailleurs tous les tests créés par l'ARC avec souvent des versions traduites en différentes langues.
(à noter une implémentation technique sur ces versions en ligne : la possibilité éventuelle pour le testeur de changer la pondération des réponses dans le calcul du quotient : cela n'est ABSOLUMENT PAS souhaitable et mieux vaut laisser la pondération par défaut qui est bien pour AQ : fort=faible (strongly=slightly) et pour les autres : fort=2*faible (strongly=2*slightly).)
Résultats : Les résultats sont des scores. Ils sont ensuite à comparer aux gradients construits par l'équipe de S. Baron-Cohen pour se situer dans l'un des 5 types de "modes de pensée" (ou "Brain Types"). Ces "constructions" ont ensuite été échantillonnées et aujourd'hui reposent directement sur les valeurs obtenues aux tests et sont liées directement aux centiles.
Comparaison 1 : comparer ses scores aux moyennes et écarts types standards
Pour AQ : le seuil statistique significatif pour la population HFA/AS a été fixé à 32. Ce qui veut dire seulement qu'un score supérieur au seuil peut signifier une symptomatologie demandant à être dûment diagnostiquée si cela s'accompagne de souffrances psychologiques.
Comparaison 2 : rapporter graphiquement ses scores EQ et SQ ou SQ-R sur les tableaux correspondants pour se situer parmi les 5 types de mode de pensée. Le premier graphique concerne SQ et EQ: (source : 2006 a p.6)
Le deuxième graphique concerne SQ-R et EQ: (source : 2006 p.52)
Comparaison 2bis : calculer précisément sa situation par rapport aux 5 types de mode de pensée : peut-être intéressant pour les cas "limites" et bien sûr pour ceux qui utilisent +++ leur pensée "systématique" afin de comprendre pourquoi ils se retrouvent là !
Exemples : Un homme obtient un score de 40 en EQ , 52 en SQ et 86 en SQ-R puis 22 en AQ.
D'après le tableau 1, EQ est juste dans la moyenne, SQ est situé à moins de + 2 sigma, SQ-R est situé à +1 sigma et AQ est situé dans la moyenne à moins de +1 sigma. Il est à noter ensuite que le calcul de AQ donne un résultat de 17,35 d'après ses composantes co-variantes, ce qui reste dans la moyenne. Grossièrement, il est plausible de déclarer que cet homme se situe dans le Type S.
D'après le tableau 2, le point (40,52) est situé dans le Type S, proche d'un Type extrême S car le score en SQ est relativement élevé.
D'après le tableau 3, le point (40,86) est clairement situé dans le Type S.
D'après le tableau 4, S = 0,31675 et E = -0,05012 soit D = + 0,18. Nous retrouvons le Type S, proche du Type extrême S (le seuil est à +0,21). Enfin, S' = 0,20266 et E' = -0,05375 soit D' = +0,12. Nous retrouvons sans ambiguïté le Type S.
Au final cet homme est comme 49,5% du groupe des hommes de l'échantillon ayant servi à "étalonner" en 2006 le test SQ-R et se sert donc d'un mode de pensée "systématique" plus intensément que de son "empathie" pour entrer en relation avec son environnement.
Une femme obtient un score de 33 en EQ, 33 en SQ, 70 en SQ-R et 30 en AQ.
D'après le tableau 1, EQ est situé à plus de -1 sigma et à moins de -2 sigma, SQ est située à +1 sigma, SQ-R est situé à +1 sigma et AQ est situé à plus de +2 sigma (dans la moyenne de la population HFA/AS). Il est à noter que le calcul de AQ donne 31,61 d'après ses composantes co-variantes.
D'après le tableau 2, le point (33,33) est clairement situé dans dans le Type S.
D'après le tableau 3, le point (33,70) est clairement situé aussi dans le Type S.
D'après le tableau 4, S = +0,07925 et E = -0,13762 soit D = +0,11; S' = +0,09600 et E' = -0,14125 soit D'= +0,12. Clairement, nous retrouvons sans ambiguïté le Type S.
Au final, cette femme est comme 20% du groupe des femmes de l'échantillon de 2006 (test SQ-R) et se sert donc d'un mode de pensée "systématique" plus intensément que de son "empathie" pour entrer en relation avec son environnement. N'ayant pas été diagnostiquée Autiste de Haut Niveau (HFA) ou Asperger (AS), son score de 30 en AQ la situe dans une grande rareté statistique : seulement 1% des femmes "échantillonnées" pour le test AQ (Table 5 source de 2001).
Conclusions : Les TSA (ASC) sont aujourd'hui un paradigme pour intégrer et étendre les "désordres" ou troubles cognitifs et sociaux liés à "l'autisme". Dans ce paradigme, nous avons vu que l'équipe de S. Baron-Cohen avec sa théorie E-S permet de relier sur deux axes principaux (ou deux variables co-variantes) un indicateur pour mesurer l'intensité de ces troubles sur une échelle linéaire de 50 points, échelle isomorphe au concept historique de "continuum autistique". Très clairement, SBC expulse de son champ sémantique le normal/anormal en illustrant la complémentarité des deux modes principaux de saisie du réel : l'un "compense" en général l'autre, le second "ré-équilibre" le premier. En cas de déséquilibrage, de rupture d'une certaine "homéostasie" de ce double flux d'antagonistes (Empathising/Systemising), en cas de "décompensation", un biais apparaît et signe statistiquement la population diagnostiquée en ASC. Cependant, il reste néanmoins que cette population n'est qu'un cas particulier et non anormale de la population générale. Dans la logique de l'inclusion, la complémentarité n'est qu'une extension logique, ni plus mais ni moins...
2 commentaires:
Etrange tout de même cette femme non-autiste, avec un score de 30 en AQ... Je me demande ce que cela donne au quotidien, comment elle est perçue par autrui, elle qui perçoit par systemizing en premier lieu...
Peut-être cela n'a-t-il rien à voir... mais cela peut-il exclure une préférence neuro-droitière pour autant?
1) le score de AQ est ici en effet une rareté statistique, le sexe ajoutant à la rareté (cf Tableau 5 signalé => les femmes sont 1% à obtenir un AQ de 30 contre 5,3% pour les hommes de l'échantillon considéré en 2001, ce qui donne globalement une rareté à 2% !). Ce score est directement imputable à l'auto-passation du questionnaire ainsi qu'à sa construction-validation : le calcul de AQ à partir de SQ et EQ (co-variance prouvée par SBC) donne ici aussi une "bonne" réponse donc la rareté ne semble pas sortir cependant de l'échantillon statistique. Dit autrement, il me semble donc que rien n'est incohérent ici, mais rare.
La perception de cette femme par autrui est un problème d'un autre niveau. Peut-être cette femme peut elle plus facilement entrer en relation avec une certaine partie de la population HFA/AS, qu'un autre profil Type S comme elle par exemple, peut-être également cette femme peut elle "voir" plus facilement les "mouvements" relationnels entre les gens, issus "naturellement" de sa perception plus systématique ? Il est selon moi très imprécis de tenter une telle exploration psychologique à partir seulement de ces concepts probabilitaires et statistiques, cette démarche est analogue à l'intention de l'étude d'une population à partir seulement du concept du QI par exemple, dés qu'on "entre" dans la rareté où je conjecture que l'hétérogénéité est plus importante que dans la moyenne. Ce qui compte ici, dans le concept AQ, SQ et EQ est selon moi "la complémentarité" prouvée par SBC entre les quotients. Ainsi, globalement, c'est à dire, par émergence d'une complexité (dont la réduction sur deux axes complémentaires fournit la mesure de EQ et SQ par exemple), cette femme "rare" n'est pas disqualifiée dans sa prise de l'environnement, si on la compare à une autre (type E ou B par exemple), la réponse peut être isomorphe, même si les algorithmes de l'élaboration cognitive sont différents ! La perception par autrui, encore une fois, ne parle que d'autrui, c'est à dire de sa capacité à percevoir l'entier de l'autre et non des "réductions" de l'être sur son ou ses paradigmes/croyances.
Enfin, pour terminer, je n'ai pas encore étudié sérieusement ici le modèle "cerveau gauche/cerveau droit" mais d'emblée je conjecture un concept plongé dans une logique binaire exclusive, donc laissant de côté in fine toute la subtilité de la coopération entre les deux hémisphères cérébraux. Si j'osais, au vu de mon interprétation du système immunitaire(voir article sur la mort cellulaire), je conjecturerais bien là aussi que "tout" s'élabore peut être dans ce "tiers inclus" entre cerveau gauche et cerveau droit et non dans chacun en réalité. Ainsi répondre à la dernière question est trop tôt pour moi, mais n'oublions pas que nous ne parlons ici que de modèles, de "cartes", et non de cette femme dans son entier, de son "territoire" ....
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